Je vous parle d’un temps que les moins de… 40 ans ne peuvent pas connaître !
Nous sommes en 68, j’ai 21 ans et viens d’entrer à Var Matin.
Adorant le théâtre, je me suis branché avec Monique Gérard, attachée de presse des tournées Karsenty, par encore Herbert, qui faisaient alors florès en province.
Il s’agissait de faire tourner les pièces parisiennes à succès dans toute la France.
L’Opéra de Toulon était une étape et Monique m’arrangeait alors une rencontre avec l’artiste vedette.
Comme c’était simple alors… Il suffisait d’un coup de fil.
Pas d’autre intermédiaire que Monique, pas de producteur, d’attachée de presse, de régisseur, de tourneur, et l’artiste était toujours d’accord. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer Jean Marais, François Périer, Michel Galabru, Jean Piat, Jean-Claude Brialy, Jacqueline Maillan, Sophie Desmarets, Serge Reggiani, Daniel Gélin, Micheline Presle, Danielle Darrieux, Michèle Morgan et bien d’autres dont certains restèrent des amis. Un seule refusa : Ralf Vallone, alors qu’on avait rendez-vous et qui me jeta… mieux, qui me claqua la porte au nez.
Au milieu de tous ces grands artistes aujourd’hui hélas disparus, (hormis Micheline Presle) qui à l’époque, faisaient le bonheur des théâtreux et remplissaient partout les salles où il passaient… Marthe Mercadier !
Une des plus belles rencontres tant elle était pétillante, volubile, excentrique et drôle.
Une question toute simple et la voilà partie dans une douce folie, sa façon de raconter me faisant rire aux larmes.
Elle jouait alors la reprise de «N’écoutez pas mesdames» de Jean Marsan avec un Jean le Poulains, aussi «destroy» qu’elle, et c’était un feu d’artifice. Marthe était virevoltante, sa voix tonitruante portait sur des répliques qui faisaient hurler de rire un public qui en redemandait. Un charisme, un abattage qu’elle garda jusqu’à la fin de sa carrière.
Ca y était, on avait sympathisé, elle m’invita à souper (Ce que je fis souvent avec ces artistes, chose qui ne se fait plus aujourd’hui).
De ce jour, nous avons commencé à nous écrire (Ca aussi ça ne se fait plus, Internet et les SMS sont passés par là) et je garde des tas de courriers de tous ces beaux artistes que j’ai eu la chance d’approcher.
Au fil des ans, nous nous sommes toujours revus avec joie, surtout à l’Opéra de Toulon où, comme elle accumulait les succès, elle fait toujours partie des tournées dès qu’une pièce s’arrêtait de jouer à Paris. A chaque fois nous passions la soirée ensemble avec certains membres de l’équipe.
Les dernières fois que nous nous sommes vus c’était d’abord au festival du court métrage de Hyères qui en était à ses balbutiements, pas encore très au point et dont elle était une invitée… Pourquoi ? Elle ne le sut pas. Elle ne faisait pas partie du jury, elle venait de sortir un livre mais personne ne pensa à lui organiser une dédicace, il n’y eut même pas un hommage. Très en colère, elle se demandait ce qu’elle faisait là. Et du coup, je passais de grands moments avec elle, ce qui la rassurait, et avec mon amie Fiona Gélin, qui était à peu près dans le même cas qu’elle.
Qu’est-ce qu’on a pu rigoler !
On se vit aussi au théâtre Galli de Sanary où elle devait créer une pièce et où elle vint faire des castings pour les seconds rôles. Pièce qui ne se fit jamais. Mais il fallait la voir, avec son tempérament de feu, bousculer les apprentis artistes, leur expliquant avec force gestes et sa voix de stentor, ce qu’il fallait faire. Ce fut un grand moment, même si le projet capota.
Et puis elle vint à la fête du livre en 2011, je crois, où l’on se tomba dans les bras et où nous fîmes un mémorable déjeuner. Elle parlait tellement fort, elle racontait avec tellement de passion qu’il était difficile de ne pas s’apercevoir qu’elle était là ! Et tous ceux qui y déjeunaient assistèrent à un one woman show inédit !
Marthe, ça a toujours été la joie de vivre, de rire, une énergie débordante et pourtant elle ne démarra pas dans la joie puisqu’elle fut d’abord muette puis bègue, paralysée après un accident de la route… Et malgré ça, elle alla toujours de l’avant, se redressant comme un Phénix. Elle eut pour professeur Léopold Sédar Senhor dont elle avait une immense admiratio, qui lui permet de créer une troupe de théâtre dans l’école et avec qui, plus tard, elle fonda une association dans son pays, le Sénégal et dont le projet était d’y construire un hôpital. Mais le gouvernement sénégalais voulant récupérer l’argent, le projet tomba à l’eau. Elle aida l’Abbé Pierre, elle épaula Line Renaud dans la lutte contre le sida. Elle risqua aussi cent fois sa vie dans la Résistance.
Mais il ne faut pas oublier la carrière éblouissante qu’elle fit au théâtre, au cinéma, à la télé la terminant à 80 ans dans l’émission «Danse avec les stars» où elle y mit le feu et leva la jambe comme une jeunette !
Son livre s’intitulait «Je jubilerai jusqu’à 100 ans !». Mais la vie (ou le mort) en a décidé autrement, disparaissant à 93 ans… On n’était pas loin !
Jacques Brachet