En ce mois de septembre 2021 le Théâtre de l’Arlequin de Cherbourg reprenait vie avec la pièce «Être ou ne pas être» de Luca Franceschi interprétée par Gérard Picot. Mise en scène : Mirabela Vian – Lumières : Richard Croisé
De quoi s’agit-il ?
C’est une pièce qui englobe toute l’histoire du théâtre occidental moderne en une heure vingt minutes. On pourrait se dire bigre ! Quelle prétention, ça va être un pensum des plus ennuyeux. Détrompez-vous, c’est un festival mené par un seul et incroyable comédien, tournant, vibrionnant, sautant, gesticulant, grimaçant, ou bien statique, grave, dramatique, émouvant. On rit souvent, on est touché par tout ce qui s’y véhicule sur la condition humaine, car la grande question d’Hamlet « être ou ne pas être » qu’on traduit parfois par « être ou n’être pas » – je vous laisse réfléchir à la subtilité de sens entre les deux versions – devient « être ou ne pas pas être » pour le personnage, car tout est là, c’est le fondement de la pièce, le personnage ne peut être sans le comédien, et en retour le comédien a besoin du personnage pour être, sur scène.
En fond de scène la cabane de Guignol. Posés à gauche un réveil, un masque vénitien, et à droite un crâne; le temps de la vie avant la mort dans la lucarne de Guignol. Côté jardin un manteau « shakespearien », rouge.
Le théâtre moderne commence avec la Commedia dell’ Arte au XVI° siècle. C’est l’auteur italien Carlo Goldoni (1707-1793) qui partant de là va participer à la naissance du théâtre moderne occidental en y amenant la psychologie et la philosophie des lumières, mais sans négliger la fonction de divertissement. Confer sa pièce « La Locandiera » de 1752.
Les spectacles de la Commedia Dell’ Arte étaient en grande partie improvisés à partir d’une trame narrative sur laquelle les acteurs brodaient des dialogues et des « lazzi » : toutes sortes de plaisanteries burlesques, soit en paroles, soit en actions, des jeux de mots, des grimaces, des gestes grotesques et, et des échanges avec le public. Et les rôles sont des caractères bien définis: Arlequin, Colombine, etc. C’est là qu’est le génie de Gérard Picot : il reprend à lui tout seul toutes ces techniques, y ajoutant celles des artistes du stand up contemporain, comme ce jeu avec le gong et une spectatrice à laquelle il demande de marquer les scènes quand il fera un geste de la tête : de là toutes une série de gags du plus haut comique. Il est tour à tour – changeant de rôle en un clin d’œil – Arlequin, Polichinelle, ou bien un comédien shakespearien grandiose, ou prétentieux, ou plein de doute, et bien d’autres rôles. Le comédien dira quelques tirades de grandes pièces de Shakespeare, Hamlet bien sûr, Macbeth, Richard III… dans des tons divers ; là encore on admire la plasticité de la voix, capable d’imiter tous les tons, et nombre de sons de gorge. On admire aussi la malléabilité du visage.
D’entrée le personnage déclare qu’il a kidnappé le comédien, qu’il l’a enfermé en lui. On y vivra aussi le rapport du metteur en scène au comédien, celui-ci d’abord humble, confiant, puis révolté devant l’emprise dictatoriale du metteur en scène. Ce ne fut certainement pas le cas avec Mirabela Vian qui assura une mise en scène solide laissant une grande liberté d’improvisation au comédien. Les relations comiques avec l’éclairagiste
C’est la lutte entre ces deux rôles, personnage et comédien, pour avoir la sensation d’exister, d’être, dans un maelstrom étourdissant de la part du comédien.
En résumé, partant de la Commedia dell’ Arte pour aller jusqu’au théâtre intellectuel d’aujourd’hui, Gérard Picot a réussi, par le corps et par le verbe à nous faire rire, nous émouvoir, et vivre toute cette histoire. Nous soumettant de plus la grande difficulté d’arriver à être du personnage et du comédien, tant l’un ne va pas sans l’autre ; et pour nous faibles humains cette même question sans réponse : Être ou ne pas être ? Mais nous étions là, au théâtre.
Souhaitons que cette pièce puisse continuer à vivre dans d’autres théâtres. Avis aux directeurs de salle, car dans la pièce Gérard Picot aborde aussi les difficultés de trouver une scène pour tout jouer.
Serge Baudot
Gérard Picot vient du théâtre amateur, notamment de la troupe de l’Arlequin, comme quoi en art on peut être grand par soi même. Il a tourné dans des courts métrages, dont un de Stéphane Birette en 1998. Depuis on l’a vu pendant une semaine au Théâtre du Châtelet à Paris, et sur bien d’autres scènes en France. Quant à moi je l’avais déjà admiré il y a quelques années dans une comédie musicale « Le Petit Monde de Georges Brassens » de Laurent Madiot. C’est dire qu’il peut jouer.