CHANTAL POULLAIN
Une comédienne marseillaise exilée à Prague

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Elle est belle est blonde, possède un regard vert, une classe innée.
Chantal Poullain est française et comédienne. Mais son parcours est particulièrement original puisqu’elle fait carrière en république tchèque.
Du coup, la France, son pays, la connaît peu ou prou et c’est par une heureuse coïncidence que je l’ai rencontrée : sur un tournage… tchèque, à Six-Fours-les-Plages.
Le film s’intitule « Prazdniny y Provence », c’est-à-dire « Les vacances en Provence » réalisé par Vladimir Michalek.
En plus d’être française, elle est marseillaise et malgré les années passées à l’étranger, elle parle toujours impeccablement français et peut même reprendre sans difficulté son accent marseillais, surtout lorsqu’elle est attablée avec un journaliste qui, lui, ne l’a jamais perdu !

« Chantal, expliquez-nous comment une jeune comédienne française se retrouve à faire carrière dans un pays qui, à l’époque, s’appelait encore la Tchécoslovaquie ?
C’était en 1980. Je tournais un film en Suisse. Pendant le tournage, je suis allé voir un spectacle et j’ai eu le coup de foudre pour un comédien. Je devais partir quelques jours après le tournage aux Etats-Unis pour faire un stage à l’Actor’s Studio. J’avais déjà mon billet.  Je ne suis jamais partie en Amérique, j’ai déchiré mon billet et une semaine plus tard je partais avec mon comédien. Il se trouve qu’il était tchèque !
Depuis, ma vie est là-bas mais j’avoue que le Sud me manque terriblement. Pas un seul jour que je n’y pense.

Etes-vous aujourd’hui totalement tchécoslovaque ?
Non et je ne le serai jamais tout à fait car j’ai besoin de ma langue. Au bout de plusieurs décennies, je parle toujours mal le tchécoslovaque qui est une langue très difficile. D’ailleurs, je pense toujours en français et mon univers est français : la musique, les livres, même le téléphone ! Tout est français, tout fonctionne en français chez moi !

Mais pour vous comprendre avec votre mari ?
Il ne parlait pas français, je ne connaissais pas le moindre mot  tchécoslovaque mais nous nous parlions en anglais. Chacun de nôtre côté, nous avons fait des progrès !

Et pour votre métier de comédienne ?
Au début, évidemment, ça a été très difficile. Durant quelques temps, j’ai mis mon métier entre parenthèses. J’ai galéré et j’ai fait des efforts surhumains pour pouvoir me débrouiller au plus vite avec cette langue. Aujourd’hui tout va bien, même si je garde un accent que je ne perdrai jamais. Mais il se trouve que ça plait aux Tchécoslovaques ! C’est un peu plus difficile au cinéma mais pour le théâtre ça ne pose plus aucun problème. Enfin… presque car, avec mon accent, ça m’empêche de jouer des femmes tchécoslovaques. Je suis toujours « l’étrangère ».

Aujourd’hui, êtes-vous faite à cette nouvelle vie ?
J’y ai très vite été à l’aise car, même à l’époque du communisme, la culture a toujours tenu une très grande place. Les Tchèques sont des gens très cultivés, très ouverts, ils ont un grand sens de l’humour et ont des artistes magnifiques… Et ils m’aiment !

Avez-vous raté beaucoup de rôles à cause de votre accent ?
Au cinéma, peut-être plus qu’au théâtre. Sur scène, lorsque je joue, à un certain moment j’oublie totalement mon problème linguistique. En ce moment, je joue une adaptation de « Chéri » et « La mort de Chéri » de Colette. J’en adore ce que le scénariste en a fait et j’ai une tournée de quarante dates cet été.

Jouez-vous dans d’autres langues ?
Oui, en français bien sûr, en anglais, en italien. Avec mon mari, nous avons fait le tour du monde avec une pièce intitulée « Le bouffon de la reine ». Jouer en italien en Italie a été quelque chose de formidable.

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Et la France alors ?
C’est la seule chose que je regrette : ne pas jouer souvent en français mais la France ne me connaît pas et là est la difficulté. Je suis venue jouer un mois à Paris en tournée mais c’est tout. Heureusement, dans le monde entier, il y a des Tchèques disséminés partout dans le monde. Je me souviens d’un spectacle que nous avons joué à Bruxelles devant un public de folie. C’était du délire !

Vous jouez beaucoup, finalement ?
Oui. En ce moment je joue cinq spectacles en alternance !

Comment faites-vous pour jouer plusieurs spectacles en même temps ?
J’apprends mes rôles par cœur ! Mais je vais vous faire une confidence : tous les textes que je joue me sont traduits en français afin que je m’en imprègne totalement, afin de les absorber et pouvoir déclencher un processus pour mes les approprier totalement.

Comptez-vous revenir un jour en France, à Marseille ?
Même si cela me manque beaucoup, aujourd’hui il me serait difficile de recommencer une carrière ici, même si ça me plairait beaucoup. D’autant que j’ai ma vie là-bas, que je m’occupe aussi de fondations pour enfants. Alors ce me semble utopique pour ne pas dire impossible de venir y travailler régulièrement.
Mais j’y reviendrai un jour, c’est sûr… lorsque j’arrêterai ce métier ! »

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J’avoue que, sous le charme de cette belle personne et de sa non moins belle voix grave, j’imagine qu’elle doit faire merveille sur scène.
Espérons que les Français la découvriront un jour et qu’elle nous reviendra dans ce Midi qui lui manque tant et qu’elle a retrouvé le temps de ce tournage qui a été, comme le titre du film, un peu des vacances et une belle parenthèse pour elle.
Un film hélas, dédié à son pays d’adoption et que nous avons peu de chance de découvrir sauf si le producteur, qui avoue avoir été superbement accueilli à Six-Fours, aimerait en remerciement, venir le présenter dans cette ville.
C’est que je nous souhaite.

Propos recueillis par Jacques Brachet