Anne SINCLAIL : Passé composé (Ed Grasset – 375 pages)
Anne Sinclair est une femme belle, intelligente, une battante qui est, dit-elle douée pour le bonheur.
Discrète, elle ne s’est jusqu’ici épanchée sur sa vie. Le confinement lui en a donné l’occasion.
Devenue malgré elle une icône, grâce à la télé et cette émission devenue culte «7 sur 7» créée en 81 et qu’elle a animée jusqu’en 97, elle est aujourd’hui encore dans toutes les mémoires, ayant réuni chaque dimanche entre six et douze millions de téléspectateurs.
Elle y a reçu des personnalités de tous bords, politiques, intellectuels, chanteurs, musiciens, scientifiques, sportifs… Ses grandes qualités : La curiosité de l’autre, sa façon de leur faire dire des choses qu’ils n’avaient jamais dites avant, sans jamais les critiquer, les agresser, les couper, les piéger, ce qui est, hélas, souvent le cas aujourd’hui.
Jamais dupe de leurs propos, surtout chez les politiques, sans se faire d’illusions, elle se contentait de les jauger et non de les juger, même si pour certains, elle ne mâche pas ses mots, faisant des portraits sans concessions et avouant avoir été parfois déçue par leur attitude et leur passé.
A aucun moment elle ne règle ses comptes mais raconte les moments qu’elle a vécus, plus ou moins rapprochés avec certains comme cette soirée des élections où Mitterrand a été élu, qu’elle a passé en toute intimité avec lui, son ex-mari Yvan Levaï et quelques amis choisis.
Le moment fondateur de son amour pour la politique a été lors du débat Michel Debré-Pierre Mendès-France, d’où est née son admiration pour ce dernier.
Foncièrement de gauche, même si elle en fut chahutée – car issue d’une famille juive et riche – elle tient à préciser qu’elle est «une vraie française et profondément juive même» si, en même temps, elle se trouve « inaboutie et incomplète» !
Elle se définit ainsi : «je suis femme, mère, française, juive, de gauche, journaliste et plutôt dans cet ordre».
Son enfance a été sinon chaotique, du moins mouvementée, née à New-York dans un ménage instable, une mère pas prolixe en câlins mais trop protectrice, et un père disparu trop tôt.
Intéressée très tôt par le journalisme, elle s’est battue pour arriver à ses fins dans ce milieu tenu alors par des hommes machos à souhait. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille mais elle n’a jamais rien lâché, même si elle fut «virée» par Patrick Lelay, homme cynique, violent, caractériel, Nonce Paoli achevant le travail par manque de courage.
Rencontre au festival de Ramatuelle
Elle nous brosse de mini-portraits de quelques-uns de ses invités et nous raconte des anecdotes avec humour comme sa rencontre avec Berlusconi, vraiment prêt à tout pour qu’elle le rejoigne sur la 5, ce qu’elle refusa catégoriquement car pas un seul instant dupe de cet homme au antécédents douteux.
Bien entendu, elle ne pouvait passer sous silence «L’affaire DSK» car le lecteur n’aurait pas compris. Mais c’est à la toute fin du livre et elle se contente de livrer des faits sans pathos, sans entrer dans l’intime, sans acrimonie, avouant sa naïveté, sa crédulité, son manque de lucidité. Ce fut un épisode terrible de sa vie mais dont elle se remit, son caractère étant de regarder devant elle avec optimisme.
Elle dresse un portrait édifiant de la politique française, du journalisme aussi et ce qu’il est devenu avec les réseaux sociaux, les scoops à tout prix, les fameuses «fake news» et autres «éditions spéciales» qui n’ont rien de spécial.
Ce livre est passionnant, magnifiquement écrit, plein d tendresse pour les gens qu’elle aime et admire avec, en fin de parcours, le bonheur retrouvé, la renaissance et l’espoir en la vie.
«Les souvenirs – conclue-t-elle – servent à baliser le temps et borner le présent»
Son seul regret, en quelque sorte un mea culpa, d’avoir souvent fait passer sa passion au détriment de sa vie de femme et de mère.
Portrait d’une femme courageuse, passionnée, sensible, naïve souvent mais sincère, lucide, élégante et exemplaire.
Jacques Brachet