NOTES de LECTURES

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Christophe BATAILLE : La brûlure (Ed Grasset – 152 pages)
Quoi de plus beau qu’un grand arbre qui s’élève vers les cieux ?
Mais combien de dangers menacent les élagueurs chargés de les entretenir : chutes de branches, chutes au sol, chenilles, guêpes, abeilles, frelons et depuis peu frelons asiatiques.
Dans ce court roman, l’auteur s’inspire de ce qui est arrivé il y a sept ans à son cousin, Philippe, joliment nommé le grimpeur d’arbres. Un élagage tourne au drame. Caché dans les hautes branches, un essaim de frelons asiatiques s’en prend à l’homme. Il subit des milliers de piqûres provoquant cette brûlure dans tout son corps, son transport à l’hôpital, sa mise en coma artificiel pour qu’il ne sente plus ces douleurs atroces.
Le romancier présente ce fait divers en deux parties. Dans la première partie, intitulée «Les grandes chaleurs», c’est un écrit poétique à deux voix, celle de l’élagueur puis, quand l’homme est hospitalisé, celle de la femme qu’il aime et qui va le soutenir dans cette épreuve. Une belle ode à la nature et à l’amour.
Puis c’est le récit de l’homme, tel que recueilli auprès de Philippe par l’écrivain et dont l’issue diffère du récit de la fiction.
Le lecteur appréciera surement ce livre dont le héros est l’arbre, dans une nature non transformée.
Mais il pourra regretter comme nous ce double récit qui est une quasi redite.
Gianfranco CALLIGARICH : Le dernier été en ville (Ed : Gallimard –  213 pages)
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Ce sera le dernier été en ville, mais surtout le dernier jour pour Léo Gazzaro, étrange électron libre déambulant dans Rome, regardant sa vie d’errance avec humour.
Ce dernier été où pour vivre, Léo a dû travailler dans un journal à rédiger quelques articles, un journal tenu par un aristocrate complètement ruiné mais toujours élégant, un dernier été et sans doute un dernier amour avec une jeune femme psychiquement perturbée.
Un dernier été aussi à courir dans les bars pour boire un puis deux whiskys et pourquoi pas la bouteille. Et toujours la rencontre de personnes fortunées offrant le gîte et le couvert à Léo pendant leurs longues croisières dans les îles tropicales.
Difficile de vivre dans la légèreté, l’aisance, la mobilité d’une société fermée quand on a l’intelligence et que l’on sait que cela ne peut durer éternellement. Léo aime Rome, il y a ses habitudes, particulièrement sur la Place Navone, mais le sens de la vie lui échappe. Connaît-il  ses erreurs, ses défauts, ses manquements ?
Un roman délicat qui retrace avec beaucoup d’humour la lente descente aux enfers d’un homme amoureux, déçu, acceptant l’inévitable chute et lucide jusqu’à son dernier jour.
Un beau roman sur la dolce vita que l’auteur décrit avec un regard d’adulte sur des enfants gâtés mais perdus.
Un très bon moment de lecture
Yves DUTEIL : Chemins de liberté (Ed l’Archipel – 228 pages)
Les grands poètes de la chanson française, aujourd’hui on les compte sur le doigt d’une main.
Yves Duteil est de ceux-là. Le sens des mots qu’il nous inocule avec précision, avec poésie, avec émotion nous a donné et nous donne toujours de superbes petits bijoux sertis dans des mélodies aussi simples que belles.
On s’est beaucoup gaussé de lui, on ne sait pourquoi mais lorsqu’on crée des chansons comme «La langue de chez nous», «Prendre un enfant», élue «Plus belle chanson du XXème siècle» on peut se targuer d’être dans la droite ligne de Brel, Barbara, Brassens.
Mais lui ne se targue de rien : il vit en toute simplicité avec son épouse Noëlle, immuable et indispensable depuis des décennies auprès de lui et compose sa vie avec amour, passion, avec surtout une humanité que l’on rencontre peu aujourd’hui.
Il nous dit être devenu «obsédé textuel grâce à Nougaro». Tout son œuvre est tournée vers la poésie, la musique et l’amour. L’amour de son prochain, des belles et simples choses de la vie, de la nature et des grandes causes, sans jamais y mêler la politique, même s’il est resté maire de son village, Précy (où vivait sa voisine Barbara) très longtemps et s’il partageait une amitié sans faille avec Chirac.
L’ouverture de ce livre est en hommage à Noëlle, sa femme, son amour, sa complice et tout au long du livre elle y est omniprésente car il n’aurait pas fait tout ce qu’il a fait sans elle à ses côtés.
Ce livre, est un livre d’émotion que l’on partage tout le temps le regard embué tant il  sait nous délivrer de belles choses avec cette poésie unique : «Ecrire une chanson c’est attraper un courant d’air avec un filet à papillons».
Et tout au long des pages, Duteil nous parle d’amour, de tendresse, de fidélité. Comme cette chanson «Dreyfus» dont il est le petit neveu, à qui il a dédié cette chanson après avoir pu apprendre tout ce qu’il pouvait de cet ancêtre malmené et dont en famille on ne parlait pas.
Fidèle, il l’est avec ses amis, avec les artistes qu’il aimait, de Gréco à Barbara, de Devos à Brassens, de d’Ormesson à Jeanne Moreau, de Barjavel à Félix Leclerc avec qui il partagea l’amour du Québec et de la langue française.
C’est grâce à Monique le Marcis, directrice des programmes de RTL, que par deux fois la chanson «Prendre un enfant» fut sauvée. D’abord en l’imposant sur sa radio alors que personne n’en voulait et en la rajoutant à la liste des chansons où elle avait été «oubliée», devenant ainsi une chanson universelle.
On ne compte plus les causes humanitaires qu’il a défendues avec Noëlle, et cela sans s’en donner la vedette mais en les menant au bout et en y entraînant plein de gens, d’associations et souvent les politiques.
Couvert de prix, il en parle toujours comme un honneur en s’en excusant presque et à chaque fois, c’est un grand moment d’émotion, qu’il nous parle de ses amis, de ses combats, de ses rencontres.
Lui si discret nous ouvre son cœur en grand et si cela était possible car on s’en doutait, on découvre un homme, un vrai, courageux, sensible toujours prêt à aider, à combattre pour de justes causes, pour les enfants malmenés par la vie, avec toujours à ses côtés cet «ouragan de douceur» nom dont il affuble sa femme avec infinie tendresse.
Un homme beau, libre, d’une grande humanité et un de nos plus beaux artistes qui soit.

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Gilert BORDES : La prisonnière du roi (Ed Presses de la cité – 374 pages)
A partir d’un fait réel situé aux XII° et XIII° siècles Gilbert Bordes bâtit un superbe roman racontant de façon romancée le mariage du roi de France Philippe Auguste  avec la belle et jeune princesse danoise Ingeburge.
Que s’est il passé après les fastes de la noce pour que le roi répudie sa jeune épouse et la fasse enfermer dans la forteresse d’Étampes puis le cloitre  sans qu’elle comprenne les raisons de sa disgrâce ?
Comme toujours l’auteur nous impressionne par la véracité des faits historiques, le réalisme de ses descriptions et le foisonnement de ses reconstitutions donnant à cette fiction un très grand réalisme.
Chantal THOMAS :  De sable et de neige (Ed Mercure de France – 208 pages.
L’auteure romancière, essayiste, dramaturge, chercheuse est de  l’Académie Française Elle poursuit son œuvre autobiographique.
Voici des mémoires magnifiquement vivantes, des réserves  inépuisables de bonheurs physiques. C’est l’art de vivre l’instant. C’est la liberté d’une enfance au bord de l’océan, de la grande  dune d’Arcachon, des excursions au Cap Ferret.
L’auteure aime l’eau, la  mer, l’océan. Ses souvenirs reviennent comme des vagues : sa copine
Louisette, les aiguilles de pin qui piquent, les huîtres, le sable qui  file entre les doigts, la chaleur d’un galet rond chauffé au soleil, le  jeu des poupées  citadines et rurales……
Elle rend un bel hommage à son père, à ses parties de pêche, à ses  ballades à ski. Cet homme- si secret, si silencieux mais si aimant,  meurt à quarante trois ans alors qu’elle en avait dix sept; ce qui  marquera la fin de son enfance et  de ce lien d’amour.
Grande voyageuse, elle sera un 31 décembre  à Kyoto, ville mélancolique et magique d’où elle décrira la beauté de la  neige, son silence. Elle découvrira le rite du nom des morts qui la  stupéfiera . D’autres souvenirs, d’autres voyages.
Savoir exprimer la beauté des choses et la puissance de leur silence, savoir exprimer les sensations les plus fugitives avec l’élégance de phrases tantôt lumineuses et claires, tantôt drôles et féroces, c’est magique.
Très, très beau texte de Chantal Thomas illustré par des photographies d’Allen Weiss  expliquées en fin de livre.
Michel SARDOU : Je ne suis pas mort… je dors (XO Ed – 155 pages)
Nous avons déjà eu droit à plusieurs bios ou auto bios de Sardou, dont une assez copieuse.
Surprise, après ce premier plat de résistance, voilà qu’il nous propose un dessert qui nous laisse un peu perplexe, avec ce petit livre fait de bric et de broc, qui nous révèle en fait peu de choses, quelques bribes de souvenirs, quelques petites anecdotes dont certains sont connus, servis dans un curieux désordre.
On peut se poser la question… pourquoi ce livre ? Pour prouver qu’il n’est pas mort ?
Il l’a écrit sur l’instant, lorsqu’une idée lui venait, il n’y a aucun lien entre chaque histoire, sinon – et ça c’est la seule drôle d’idée du livre ! – il a imaginé un dialogue avec sa mère Jackie Sardou, qui lui pose des questions, qui le coupe où le renvoie à un sujet, lui confie ses réflexions sans mâcher ses mots… C’est une conversation à bâtons rompus et ce qu’il y a d’incroyable c’est que, connaissant sa mère par cœur, évidemment,   ç’aurait pu être un vrai dialogue entre eux, comme lorsqu’elle l’interrompait dans son tour de chant alors qu’il chantait  sur scène «Comme d’habitude».
A tel point qu’en la lisant, on croit entendre sa  voix haut perchée de titi parisienne !
Heureusement qu’il y a cette idée car le livre n’est pas très passionnant
C’est un livre à lire sur la plage cet été.

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Annie DEGROOTE :  Des cendres sur nos cœurs  (Presses de la Cité- 512 pages)
Un beau titre de roman, mérité par l’histoire très riche et très documentée de l’auteure, sur les guerres de religion en Flandres et aux Pays Bas espagnols (1563) avec les rôles importants de Charles Quint et de Philippe II d’Espagne
L’inquisition est omniprésente avec des tortures plus cruelles les unes que les autres
Les calvinistes finissent par avoir beaucoup d’adeptes, la religion catholique en perd à cause du trafic des indulgences, de ses richesses étalées et de l’Inquisition
Le lecteur est emporté dans la vie quotidienne de l’époque grâce à un jeune chevalier qui fréquente les grands d’Espagne, dont la sœur et la fiancée se rapprochent peu à peu des Calvinistes.
Ce jeune chevalier réussira-t-il à réunir sa famille et à réaliser sa vie et celle des siens dans ce contexte extrêmement dangereux et instable avec des guerres qui n’ en finissent pas et bien sûr des exils, parfois très lointains
Jonathan ZACCAÏ : Ma femme écrit (Ed. Grasset – 208 pages)
Jonathan Zaccaï plus connu comme acteur de la série «Le bureau des légendes» se lance dans la littérature avec ce premier roman inspiré par le lien très fort qui le reliait à sa mère décédée en 1910, artiste peintre talentueuse et méconnue, avec il avait un lien très fort.
Alors qu’il entreprend l’écriture de ce témoignage il se rend compte que son épouse, actrice elle aussi, a commencé en cachette à écrire sur cette femme disparue.
La guerre est ouverte. De quel droit peut-elle s’approprier ce personnage dont lui seul est le dépositaire de ses souvenirs ? S’ensuit une autofiction fantaisiste et burlesque nous livrant son expérience personnelle et dévoilant peu à peu son penchant à la paranoïa.
Brouillant les pistes tant familiales que de voisinages, créant des situations tant burlesques que déjantées il ruinera les relations ce qui conduira à un dénouement inattendu.
Roman bizarre mais prenant quand même, foutraque, exubérant. Il crée la surprise ou la sidération en termes souvent crus mais bien écrit, agréable quand il revient dans une actualité plus sereine.
Bizarre !
Régis JAUFFRET : Le dernier bain de Gustave Flaubert (Ed du Seuil – 330 pages)
Ce roman n’est pas une nouvelle biographie de Flaubert.
L’imagination de l’auteur l’amène, certes, à rappeler les grands évènements de la vie de l’écrivain, en passant par ses multiples aventures homosexuelles et hétérosexuelles, son voyage en Orient mais surtout il le fait parle et  commenter les faits actuels de 2021 puis dialoguer avec son héroïne Emma Bovary.
Nous sommes ainsi face à un ouvrage curieux composé de trois parties intitulées : « Je puis », « Il », « Chutier ». Un récit mêlant vérité et fiction, mélangeant les époques, dans une écriture riche et subtile.
On sent que le romancier a fait un vrai travail de recherches, montrant les pratiques de lectures à haute voix par Flaubert auprès de ses amis, son obsession du style, ses relations avec sa nièce Caroline.
Mais on ne peut qu’être surpris par la dernière partie, intitulée « Chutier », dont la calligraphie est en si petits caractères qu’elle en rend la lecture quasi impossible et extrêmement fatigante. Elle trace une chronologie qui reprend beaucoup de points évoqués dans les pages antérieures et dont on ne comprend pas dès lors la nécessité.
Serait-ce pour cela que l’on ne peut pas le lire ? Drôle de choix.

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Patrice QUELARD :  Place aux immortels (Ed Plon 383 – pages
Prix du roman de la Gendarmerie Nationale 2021
En 1915, Léon Cognard, le héros du livre , lieutenant de gendarmerie rejoint le front de Picardie. On apprend le rôle important et ingrat des gendarmes pendant cette guerre et que l’armée traite de planqués car ils ne sont pas directement sur le front.
Nous connaissons les horreurs de cette guerre que l’on nous décrit quand, brusquement, l’armée fait appel à la gendarmerie à propos d’un suicide qu’il va falloir élucider.C’est tout le sujet du roman, dur, impitoyable, très intéressant malgré tout ce que l’on sait déjà sur cette terrible période.
Ondine KHAYAT : Le parfum de l’exil (Ed  Charleston – 443 pages)
Taline est une jeune femme heureuse, elle vit auprès de sa grand-mère qui lui a révélé le monde très particulier des parfums, le travail de compositions pour arriver à la perfection.
Or Taline a ce don exceptionnel de mémoire des odeurs. Le jour où sa grand-mère meurt, celle qu’elle croyait éternelle lui laisse, tel un jeu de piste, trois carnets qui lui révèleront le parcours difficile de ses ancêtres arméniens, victimes du génocide perpétré par les Turcs, et le chemin des survivants traumatisés par les drames qu’ils ont vécus.
Des traumatismes qui se transmettront sur plusieurs générations : pourquoi ses grand et arrière-grand-mères n’arrivent-elles pas à aimer leurs enfants ?
La réponse est dans les lignes écrites par Louise, une arrière-grand-mère.
Il faudra que Taline comprenne la complexité des êtres humains confrontés à l’inhumain pour qu’elle-même découvre sa véritable personnalité et aille vers son épanouissement.
Un roman sur l’exil et le parcours des ancêtres de l’auteur, ainsi que sur le monde très technique et passionnant des parfums.
Mireille CALMEL :  La louve cathare –  Tome 2 (Ed XO – 363 pages)
Mireille Calmel poursuit son roman inspiré de l’histoire des cathares.
Nous avions quitté Griffonelle en décembre 1226 poursuivie par le fils du sinistre Simon de Montfort, Amaury de Monfort qui cherche une carte de l’emplacement des mines d’or de la Montagne Noire qu’elle détiendrait de Mahaut,sa mère.
Le jeune roi Louis, futur Louis IX, l’avait sauvée de la mort en la déposant à l’abri de l’Abbaye royale de Montmartre. Trois ans plus tard en avril 1229, par le traité de Meaux, la régente Blanche de Castille met un terme à la croisade des albigeois en faisant plier lourdement Raymond VII de Toulouse mais elle n’a toujours pas trouvé cette carte des mines d’or qui l’intéresse aussi au plus haut chef.
Commence alors de nouvelles péripéties pour Griffonelle qui réussit à s’échapper de l’abbaye et à aller au château de Lastours, encore occupé par les seigneurs de Cabaret et des populations cathares qui doivent aller se réfugier dans la forteresse de Montségur.
L’auteure excelle toujours dans les complots, félonies, combats, poursuites, rebondissements en tout genre. Les amateurs seront ravis.
Ceux que l’Histoire intéresse, liront avec attention les dernières pages de l’ouvrage dans lesquelles l’auteure indique ses sources et décrit  ceux des  personnages du roman qui ont réellement existé dans leur chronologie.