NICOLETTA – Hervé VILARD… Ils chantent, ils écrivent

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J’ai rencontré Nicoletta et Hervé Vilard le même jour, je l’ai souvent raconté.
Hervé faisait partie des trois mousquetaires révélations de l’année avec Michèle Torr et Christophe, partis en tournée d’été. Nous étions en 65.
Et puis, dans les coulisses, il y avait une jeune femme joyeuse et heureuse d’être là. Elle était habilleuse d’Hervé et se nommait Nicole Grisoni.
Dès ce moment, nous avons beaucoup ri ensemble sans savoir que quelques mois après, Nicole Grisoni deviendrait Nicoletta.
Hormis avec Christophe qui était toujours un peu à l’écart je suis, dès cette tournée, devenu ami avec les trois autres.
Nous avions le même âge, nous débutions tous (moi, dans le journalisme) et de cette tournée, nous ne nous sommes jamais perdus de vue, malgré le succès de chacun. A cette époque, les artistes ne se considéraient pas comme des stars, étaient abordables et tellement heureux de ce qui leur arrivait.
J’ai donc suivi leurs péripéties, leur succès, leurs tournées, leurs galas, leurs galères et je ne compte plus le nombre d’articles que j’ai pu faire d’eux.
Les décennies ont passé, avec elles leur carrière s’est prolongée jusqu’à ce jour où, hormis Hervé qui a décidé d’arrêter de chanter, les deux chanteuses continuent leur carrière avec des fans fidèles depuis les premiers jours.

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Chacun a déjà écrit sa biographie mais aujourd’hui, hasard des parutions, Hervé et Nicoletta sortent un livre.
Hervé VILARD : «J’ai des attitudes d’hommes mais je rêve encore comme un enfant ».
Hervé en est à son troisième livre, le premier, «L’âme seule», sorti en 2006, le second, «Le bal des papillon», sorti un an après.
Chacun a fait un tel carton qu’aujourd’hui ils sont entrés dans les écoles !
Depuis longtemps il était déjà sur le troisième mais entretemps il y a eu les tournées «Âge Tendre» auxquelles il a fini par participer après avoir refusé longtemps. Mais son amie Michèle Torr a fini par le faire capituler.
Et puis, un peu lassé par le métier, il a décidé de faire ses adieux à la scène en nous offrant un ultime Olympia en 2018.
Et il termine enfin, loin de la foule déchaînée, le troisième volet de ses mémoires : «Du lierre dans les arbres» (Ed Fayard)
C’est un livre triste et nostalgique. Celle d’un homme au crépuscule de sa vie, qui a laissé derrière lui un métier qu’il a adoré mais ne lui convient plus et qui s’enferme dans la solitude du presbytère de son enfance dans le Berry qu’il achète mais dans lequel il se retrouve seul avec son chien, les habitants du village étant méfiants vis-à-vis de «la vedette» qui revient et ne trouvant de la tendresse qu’avec la vieille Simone qu’il va aimer jusqu’à sa mort.
Ce livre est une errance d’un homme désabusé, mal dans sa peau, mal dans sa vie, qui fréquente un monde hétéroclite du show biz à la haute bourgeoisie, des voyous aux personnes de passage, ramenées chez lui les soirs de beuverie. Sexe, drogue, alcool…
Le livre démarre en Amérique Latine où il s’est exilé. Il va y perdre sa compagne et l’enfant qu’ils attendaient dans un accident. Du coup, il revient à Paris retrouver un métier qui l’a oublié mais il va y revenir en force en rencontrant Toto Cotugno qui lui offrira de grands succès : «Méditerranéenne», «Nous», «Reviens», «Venise pour l’éternité»…
Il retrouvera le village de son enfance dans ce presbytère qu’i rachète et rénove, où l’abbé Angrand l’a élevé et a été sa famille de substitution. Mais là encore, il ne se sent pas à sa place, les habitants le boudent, les fans le harcèlent… Il y a Simone et son chien qui le retiennent à un semblant de bonheur.
Et puis il y a des morts autour de lui : sa mère, Blanche, qu’il a retrouvée,
Dalida, Marguerite Duras, des amis très chers, puis Son chien, Simone… «La mort m’agrippe par les cheveux» écrit-il. Il n’a plus rien à faire en ce lieu qu’il revendra.
L’écriture est toujours magnifique, même si le livre est un peu décousu,  e surtoutt très sombre, à l’image de sa vie. Il laisse errer ses pensées qui ne sont pas des plus gaies et l’on sent un homme profondément triste, marqué par son enfance, solitaire, qui n’aura eu en fait de bonheur que sur scène. «Sur scène je me livre, à défaut de me révéler» écrit-il encore.
J’ai souvent rencontré Hervé et l’on avait eu l’occasion de parler de ses deux premiers livres qui avaient eu le succès que l’on connaît et qui lui avaient donné des moments de grand bonheur.

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Hervé, te voilà donc devenu écrivain ?
« C’est un bien grand mot par rapport aux grands écrivains qui existent. Disons que je suis un chanteur qui écrit. Ce virus de l’écriture, tu sais, il y a longtemps que je l’ai puisque, si j’ai pu écrire ce livre, c’est grâce à tous ces cahiers que je n’ai jamais cessé de remplir depuis mon plus jeune âge. Et ça m’a bien servi pour remettre les événements dans leur contexte et avec les dates certifiées Mais j’ai mis du temps à sauter le pas en me posant beaucoup de questions.
Lesquelles ?
D’abord, il me fallait les années, la maturité car écrire sa vie, il faut l’avoir vécue, c’est quelque chose de très singulier et des livres de chanteurs, il y en a des tonnes et tous ne sont souvent qu’anecdotiques avec quelques photos souvenirs au milieu.
Tant qu’à faire quelque chose, je voulais que ce soit parfait et je ne voulais pas « que » raconter ma vie. Je voulais qu’il y ait du ressenti, qu’à la limite, ceux qui ne connaissent pas Hervé Vilard puissent le lire comme un roman. Bien sûr, c’est ma propre histoire mais encore faut-il en faire quelque chose de bien, que ce ne soit pas écrit dans la douleur, que ce ne soit pas larmoyant.
Il fallait donc un temps d’assimilation et puis d’écriture, de réécriture car je suis perfectionniste… il y a quelques métaphores dont je suis content !
J’avoue que j’ai adoré ça.
A tel point que voilà ton troisième ! Comment travailles-tu ?
Je travaille et retravaille dès l’aube, en regardant par la fenêtre. C’est un très bel exercice, un travail sur soi et je prends le recul nécessaire pour écrire et relire mes carnets…
C’est quoi, ces carnets ?
J’ai pris des notes durant toutes mes tournées, mes voyages, dès le départ de  ma carrière. C’était pour passer le temps et puis, je pensais sincèrement que cette période serait éphémère, que je n’en ferais pas vraiment un métier parce que le succès était arrivé trop vite. A force, c’est devenu quelque chose d’habituel, de nécessaire. Et j’ai toujours continué !
Dans ce second volet, il était surtout question de ce succès autour de « Capri c’est fini » et de tes premières tournées… Nicoletta, Michèle Torr, Dalida, tes amies et… Claude François qui en prenait un coup !
Je voulais montrer les deux côtés de ce métier. Faire un parallèle, par exemple, entre Claude et Dalida, liés par les mêmes déracinements, les mêmes problèmes, heurs et malheurs mais dont le comportement était diamétralement opposé. Entre l’idole inhumaine et la femme de cœur. Entre la revanche et la passion du métier et au milieu, le public que l’un bafouait et l’autre adorait. Dalida était une personne humaine, sensible, qui s’intéressait aux gens, qui donnait une chance aux chanteurs comme moi, Mike Brant, Jean-Luc Lahaye. Claude avait un côté inhumain, il traitait  les gens avec qui il travaillait comme des esclaves, il ne supportait pas le succès d’autres chanteurs qu’il voyait toujours comme des ennemis. En fait, il ne pensait qu’à lui. Pour Nicoletta et Michèle, c’est la jeunesse qui nous a réunis et puis la tendresse qu’on se porte toujours.
Aujourd’hui tu as pris du recul avec le métier de chanteur. Comment le vois-tu ?

Comme on le voit tous. Sans humanité. La passion, l’amour du métier ont laissé la place au marketing. On lance une chanson, un artiste, on l’appelle d’ailleurs « produit », ce qui est significatif… Et après, il ne reste plus grand chose.
Les jeunes d’aujourd’hui, pour certains du moins, ont le même désir, les mêmes espoirs que j’avais. Mais moi je me sentais épaulé, j’avais autour de moi des gens qui me considéraient, qui m’aimaient, qui m’aidaient. Alors qu’aujourd’hui on les lâche dès que ça marche moins.
On vit une époque où tout est cloisonné. A la nôtre il n’y avait pas cette ségrégation !
Je me souviens d’une rencontre avec Brassens qui me chantait  «Capri» avec joie, de Brel lorsque j’ai chanté en première partie de son spectacle, qui était là avec son corps, ses yeux… Nous étions à Rio, il y avait 40.000 personnes et je chantais pour Brel. Il m’écoutait avec sa force, sa vérité. Ferré qui était un ange avec Nicoletta… Pour ceux-là, j’ai essayé de m’appliquer toute ma vie
Mais aujourd’hui, tout ça est en moi, avec moi et lorsque j’ai fait mon 13ème Olympia il y avait toutes ces mères qui me portaient et pour certaines… je pourrais être leur père !
Et puis je suis parti à Toronto, Chicago, New- York… J’ai quand même cinq Carnegie Hall à mon actif !… Pas mal non, après tout ce qu’on a pu dire sur moi !… Tant qu’il y aura du linge aux fenêtres, je chanterai pour ces gens et je serai fier d’être populaire.
Il faut se dire qu’on est des élus et qu’on fait le plus beau métier du monde»
Ce plus beau métier du monde, il l’a aujourd’hui occulté pour écrire et vivre sa vie d’homme laissant sa vie d’artiste derrière lui. Et devenir écrivain, même s’il préfère dire qu’il est un «chanteur qui écrit»
«Pour toi, qu’est-ce que ça représente, un livre ?
C’est un objet. Un bel, un magnifique objet. Lorsqu’on le prend, il n’y a plus de barrière entre l’auteur et le lecteur.
Mais tout ce que je te dis, c’est de la littérature. Pour moi, l’important est qu’on soit fier de moi et c’est pour ça que pour moi, remplir un Zénith ne veut rien dire. Ça ne m’intéresse pas. Je ne critique pas ceux qui le font, je n’ai pas à juger mais je préfère faire envie que pitié.
Le petit chanteur populaire a quand même chanté Brecht, Duras, Genet…
Oui et il faut être gonflé pour faire ça, non ? Et pourtant, quoi de plus naturel que de rendre ces gens magnifiques populaires ? De continuer à les faire vivre, à faire vivre leur œuvre ? Ils sont immortels.
Avec ces auteurs, j’ai l’impression d’être allé au bout de mes convictions.
Quel plus beau cadeau que de savoir que mon premier livre devient un sujet du bac, et surtout, qui aurait pu le prévoir ?
Après ça, on peut dire n’importe quoi. Je suis à la fois bouleversé et heureux et je tâche d’être à la hauteur d’un tel honneur.
J’ai des attitudes d’hommes mais je rêve encore comme un enfant « .
Un enfant blessé qui se prénommait René. Et ce René-là l’a suivi toute sa vie.

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NICOLETTA, cinquante ans de passion
Du jour où nous nous sommes rencontrés, j’ai suivi de près la carrière de Nicoletta. Carrière qui alla crescendo avec nombre de succès qui sont encore dans toutes les mémoires, de «La musique», reprise pour le générique de la Star Academy, à «Il est mort le soleil» dont son ami Ray Charles a fait une version américaine en passant par «Fio Maravilha» que lui a offert Jorge Ben «Mamy Blue» que Joe Starr a repris en duo avec elle, «Jeff» que Delon lui a demandé pour le générique du film éponyme, «Les volets clos» générique du film de Brialy que celui-ci lui a proposé, «Esmeralda» dont elle joua le rôle-titre de la comédie musicale de William Sheller… Par contre,  à cause de sa maison de disques, elle a raté le rôle de Dulcinée auprès de Jacques Brel, qui lui avait proposé le rôle de sa comédie musicale «L’homme de la Mancha»…
A ses débuts, elle fit la première partie d’Adamo, de Johnny, d’Eddy Mitchell, on ne compte pas les belles rencontres qu’elle fit, de Jimmy Hendrix à Charles Aznavour car sa voix s’adaptait à tous les genres, de la chanson traditionnelle au rock, au jazz, en passant par le gospel qui fut son premier amour et la décida à devenir chanteuse.
Depuis pas mal de temps déjà, elle continue à chanter le gospel dans les églises.
Au départ pourtant, elle était plutôt destinée aux arts plastiques car elle a un coup de crayon formidable. J’ai d’ailleurs un dessin qu’elle m’a offert.
C’est grâce à Hervé Vilard, avec qui elle partagea les mêmes galères qui la fit entrer dans la musique. Lui débutait, elle, n’allait pas tarder à le rejoindre. En attendant, elle fit plein de petits métiers, essentiellement dans des boîtes de nuit où elle pouvait pousser la voix, à tel point qu’enfin, Léo Missir, bras droit de Barclay, la découvrit.
Elle avait déjà raconté son enfance malmenée dans son livre «La maison d’en face». Petite fille savoyarde née d’un viol, sa mère étant déficiente mentale, elle avait rencontré son père par hasard, alors qu’il vivait en face de chez sa grand-mère qui l’élevait et qu’il ne voulut jamais connaître. Le seul mot qu’elle eut de lui, lorsqu’elle osa lui dire qu’elle était sa fille fut : «Et merde» !
C’est donc une belle revanche sur la vie que cette carrière magnifique qu’elle poursuit aujourd’hui. Entourée de son second mari, Jean-Christophe Molinier et de son fils Alexandre, issu de son premier mariage avec un bijoutier suisse, Patrick Chapuis. Hasard amusant, son prof de chant s’appelait le père Molinier et son prof de dessin se nommait Patrick Chapuis !
Dans ce magnifique album «Nicoletta, soul sister» (Ed Cherche-Midi), elle revient sur tous ces événements de sa vie de femme et d’artiste et c’est tout au long de ces pages qu’on remonte le temps jusqu’à aujourd’hui avec une magnifique iconographie, très souvent inédite où, de page en page, la brune Nicole Grisoni est devenue la blonde Nicoletta à la voix ample, puissante, «la seule chanteuse blanche à la voix noire» disait son ami Ray Charles !
Je me souviens d’un soir d’été où j’étais en vacances et elle en concert, dans sa Savoie natale. Après le concert où l’orage menaçait, il éclata alors qu’on était tous les deux dans la caravane. Durant une heure elle me parla de son enfance, racontant mille anecdotes marrantes même si ce ne fut pas toujours tout rose pour elle.

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D’où lui venait cette énergie ? Elle me l’expliqua :
 » La force de vaincre et d’avancer, oui, sûrement. Le talent, je crois qu’on l’a en soi et qu’il faut le cultiver mais ce n’est pas parce qu’on a été malheureux dans sa jeunesse que ça donne du talent. Il y a partout des gens qui ont du talent mais il est une chose certaine c’est que lorsque tu es dans la merde tu n’as que deux solutions : ou tu te suicides ou tu décuples tes forces pour t’en sortir, ce que j’ai fait. J’ai d’ailleurs fait les deux ! Il est évident qu’un mec qui vit dans une famille aisée, sans problème et à qui tout qui tombe tout cru dans la bouche, sera moins aguerri, plus ramolli et n’aura pas cette volonté farouche de sortir du trou. Après, ça dépend aussi de ton caractère.
Mon enfance, elle est en moi, dans mon cœur, dans ma tête. Elle ne m’a jamais quittée.
Et puis j’ai eu la chance que ça marche pour moi.
Et ça a été une période drôle et folle.
C’était la belle époque des grandes tournées !
Oui, on partait pour deux, trois mois, j’ai fait les premières parties d’Adamo, Eddy, Johnny, on s’amusait beaucoup, on était heureux de chanter. Rappelle-toi comme c’était joyeux ! Les tournées c’était quelque chose, pas comme aujourd’hui où tout le monde est coincé et se prend au sérieux.
Nous, nous faisions bien notre métier mais nous gardions du temps pour nous amuser et j’ai beaucoup de peine en pensant à C Jérôme, à Carlos, à Johnny, car on en a fait des rigolades ensemble…
Ce sont de sacrés beaux souvenirs. Aujourd’hui, le métier a beaucoup changé…Seul reste le public, fidèle et grâce à qui aujourd’hui, à plus de 50 ans de carrière, je suis toujours là. Mais c’est parce que j’ai toujours été près de lui et c’est la leçon que m’a apprise Adamo : toujours respecter le public.
Je suis rarement partie d’un spectacle sans saluer les fans, signer photos et disques… comme ne le font plus « les jeunes stars » d’aujourd’hui. Rencontrer les gens qui t’aiment et grâce à qui tu peux continuer de faire ce métier, c’est la moindre des choses, non ? Et en plus, ça me plait.
Alors, je ne fais pas de Zéniths, je fais des petites salles, des grandes salles, des salles moyennes, des églises et je suis heureuse !
Je suis devenue productrice, c’est la condition sine qua non pour continuer et pour pouvoir être maître de tout, même si les majors voient ça d’un mauvais œil et nous mettent les bâtons dans les roues car il y a de plus en plus de chanteurs qui le font !
Les radios, les télés, ne font plus beaucoup appel à nous sauf pour chanter nos sempiternels succès.
Mais aujourd’hui c’est comme ça, il faut s’y faire et prendre le bon lorsqu’il vient”.
Et c’est ce qu’elle fait

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C’était le temps des folles tournées !!!

Jacques Brachet