Rika ZARAÏ . Avec tout son amour

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Cette année 2020 aura décidément été une année désespérante.
Sans parler des gilets jaunes, du Covid, des attentats, les salles de spectacles fermées, il y a e une hécatombe d’artistes magnifiques qui nous ont quittés et ce dernier mois ne nous a laissé aucun répit.
La dernière en date est Rika Zaraï.
J’ai très peu rencontré Rika Zaraï. Deux, trois fois peut-être mais à chacune de ces rencontres, je garde un souvenir chaleureux comme c’est rare dans ce milieu même si, à l’époque, les artistes étaient très accessibles.
Mais, rencontrer Rika, c’était rencontrer le soleil, le sourire, la gentillesse. J’ai rarement eu affaire à une artiste aussi abordable, aussi volubile car elle aimait les rencontres, elle aimait parler et une interview avec elle devenait très vite une conversation à bâtons rompus, comme si l’on parlait à une amie que l’on connaissait depuis longtemps.
Sans compter que le visage de Rika était beau et rayonnant, le sourire éclatant et si l’on se disait bonjour avec une poignée de mains, on avait droit à la bise à la sortie !
Bref, lorsque je sus qu’elle ferait partie de la tournée “Age Tendre”, je me faisais un plaisir d’aller à sa rencontre et d’ailleurs, le rendez-vous fut pris bien à l’avance et ce fut un accord sans aucune difficulté.
Elle venait alors de sortir son autobiographie “L’espérance a toujours raison” (Ed Michel Lafont) et j’avoue avoir été très ému en la lisant.
Elle me reçut dans sa loge qui sentait bon, dans un peignoir orange et elle irradiait de beauté, de chaleur humaine, de gentillesse.
Elle qui, comme Michèle Torr, n’a jamais quitté le devant de la scène, pourquoi alors faire partie d’une tournée pour ne chanter que quelques chansons ?
C’est ce qu’elle m’expliqua avec une gentillesse extrême :
«J’ai vu le spectacle à Paris que j’ai trouvé exceptionnel et c’est vrai que j’ai eu très envie de participer à cette aventure. Et l’aventure est vraiment magnifique et nous donne une sacrée banane.
Le monde que ça attire, c’est inouï et c’est la fête à chaque gala. Les salles sont enthousiastes et cette tournée est vraiment une tournée-passion. La passion qu’ont tous ces artistes de monter sur scène, de se retrouver devant le public et aussi entre nous car l’ambiance est très familiale. On fait tous partie d’un groupe, on se renvoie la balle, on mange, on boit un verre ensemble, on laisse la place à l’autre. On a le temps de se parler, de mieux se connaître, de nouer des relations plus approfondies parce qu’on se côtoie journellement alors que d’habitude on se voit entre deux émissions.
J’ai l’âme tsigane et je retrouve ici ce que je faisais lorsque j’étais jeune, les tournées de mes débuts, en famille. De plus, Michel Algay nous a donné des moyens techniques magnifiques, ce qui fait que personne ne chante en play back car les conditions sont idéales. Et puis, grâce à ce beau générique nous remplissons des salles immenses qu’aucun de nous ne pourrait remplir seul….
Sans compter qu’on n’a pas, seul, toute la responsabilité du spectacle sur les épaules et ça, c’est très reposant !
C’est un peu votre nouveau service militaire !
Elle éclate de rire : Vous ne croyez pas si bien dire ! On participe à une chose commune, on s’aide les uns, les autres, on est toujours ensemble… C’est tout à fait ça. Et puis, pour faire ça, il faut avoir la fibre populaire, la gentillesse dans le cœur, l’acceptation les uns des autres… comme à l’armée !
A ce propos, on ne peut passer sous silence ce merveilleux livre de souvenirs que vous nous avez offert et qui nous a fait pleurer d’émotion : « L’espérance a toujours raison » (Ed Michel Lafon). C’est une page de votre vie mais aussi une page d’Histoire…
C’est l’histoire de mon humble petite personne qui s’est retrouvée sans le vouloir dans une tranche d’histoire très dure, très difficile à vivre. On ne savait pas qu’on vivait l’Histoire, on vivait surtout notre propre histoire et le plus important alors était de trouver une tranche de pain pour essayer d’éteindre un peu notrefaim. On cherchait à vivre, à survivre, tout simplement.
Mes parents, il est vrai, étaient très politisés et j’ai donc aussi vécu dans ce chaudron politique. C’est vrai que j’ai vécu beaucoup de choses, heureuses comme dramatiques et tout cela est revenu au fur et à mesure que j’écrivais, que je me renvoyais dans mes souvenirs. J’ai pu me rendre d’ailleurs compte que ma mémoire était intacte, exceptionnelle, même.
Avez-vous conscience, quand même, que vous avez vécu des moments historiques ?
Aujourd’hui j’ai conscience d’avoir vécu surtout un moment historique : la création d’un état, ça n’est pas rien. Maintenant je vis avec tous ces souvenirs, je me remémore combien, quelquefois, c’était dur et je me demande, si ça recommençais, si j’aurais le courage de revivre cette peur sans rien dire… Mais nous sommes libres, alors… assez pleurniché, c’est mauvais pour le moral ! Ce n’est pas en chialant que les choses se font et tous les événements qu’on vit forgent le caractère. Vivre après tout ça, c’est du bonheur, on relativise tout. On est vivant et c’est ça l’essentiel. Et puis, grâce à ces événements, j’ai connu la solidarité, la fraternité vraie, le vrai courage et l’espoir malgré tout et cela, je le garderai toujours en moi.

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Est-ce que ça vous a permis de vivre dans ce show biz qui n’est pas un monde gentils » ?
Et comment ! Et heureusement car, là aussi, j’ai fait ma guerre ! Mais beaucoup de choses passent sur moi et ça ne m’empêche pas d’aller de l’avant. Je ne dis pas que certaines choses ne m’ont pas touchée mais je suis restée étrangère à beaucoup de choses et j’ai continué à avancer. Je crois que je n’ai jamais changé, je ne suis ni amère, ni méchante. Sans vouloir me vanter je crois avoir une gentillesse naturelle qui a souvent fait tomber les armes. J’ai vécu ce que j’appelle «mes trois glorieuses», les années 60 à 90, en restant étrangère à beaucoup de choses de ce métier car je n’avais ni le temps, ni l’envie, ni l’énergie.
Je n’ai jamais fait partie d’une bande et j’ai tout assumé comme je continue à tout assumer.
C’est vrai qu’on n’a pas toujours été très gentil avec moi mais j’ai continué à avancer en sachant qu’on ne peut pas plaire à tout le monde.
Le métier a beaucoup changé… Je ne crois pas, moi, avoir beaucoup changé…»
Belle leçon de vie que nous donnait alors cette femme belle et attachante qu’était Rika Zaraï.
Quelques mois après elle était victime d’un accident vasculaire. Et c’est avec une force, une énergie et un courage qu’elle s’est battue pour reprendre une vie normale, parler et marcher à nouveau et surtout chanter,  ce qui était toute sa vie.
Elle a toujours eu cet espoir et garda un sacré optimisme jusqu’au bout.
Je l’avais appelée il y a quelques mois.
Bien entendu je lui demandai aussitôt de ses nouvelles
«On fait aller… Ce n’est pas l’idéal mais ce le sera. J’ai beaucoup d’espoir. Si j’insiste lourdement, je sais que c’est moi qui gagnerai. Comme je l’ai écrit dans mon livre, l’espérance a toujours raison !
Vous êtes toujours positive, Rika, et c’est le principal. Parlons donc de ce beau coffret de 4 CD et 100 chansons, qui vient de sortir. Comment avez-vous choisi ces chansons, tant vous en avez enregistré ?
En fait j’en ai fait plus de 1.000 et j’en ai enregistré près de 600 !
Il y a d’abord les coups de cœur, vous savez, celles que, après vingt ans et plus, vous écoutez avec toujours le même plaisir, celles qu’on trouve toujours belles et dont on retombe amoureux dès qu’on les écoute. Un refrain, un couplet et l’on sait que c’est une belle chanson. Celles dont je me souviens du studio où je l’ai enregistrée, de la robe que je portais et même du sac dans lequel étaient les partitions !
A ce point ?
Eh oui ! Le souvenir est tellement vif que je retrouve les sentiments dans lesquels je les ai enregistrées, avec lesquelles j’ai une relation fusionnelle. J’avoue que j’ai quand même été aidée par Mathieu Moulin, Elysa Rouillat et Jean-Pierre, mon mari. 600 chansons, difficile de tout écouter ! Mais certaines étaient incontournables. Par contre, je n’ai pas fait de compromis : j’écoute, je garde ou je jette et alors c’est un non absolu. C’est tellement physique, la relation avec une chanson ! C‘est un peu comme un vêtement que l’on porte parce qu’on l’aime, qu’il nous représente, parce que c’est élégant et de bon goût.
On sent tout l’amour que vous portez à votre métier…
Evidemment, sinon je ne l’aurais pas fait car c’est un métier très difficile, très dur physiquement, mais c’est un métier exaltant. Lorsqu’on l’aime, on surmonte toutes les difficultés, on ne pense pas au fait qu’il faut quelquefois se lever à 5 heures pour prendre la route ou un avion, affronter le temps ou tout autre chose. Il faut faire avec. C’est un métier envoûtant, il faut aimer les chansons, le public et chanter pour donner au public de l’amour. Et je peux chanter dix mille fois la même chanson si je l’aime et si cet amour est partagé. Impossible pour moi de chanter une chanson que je n’aime pas, ce ne serait pas sincère et le public s’en apercevrait.
Vous est-il arrivé d’enregistrer des chansons que vous n’aimiez pas ?
Ça m’est arrivé une dizaine de fois mais dès l’écoute j’ai très vite compris que c’était une catastrophe ! Dans ce cas, je savais que je ne pourrais jamais la chanter. Je ne peux pas partager une chanson avec mon public si je ne l’aime pas. C’est pour cela que ce coffret, c’est un coffret d’amour.

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Comme ce moment d’amour que vous partagez sur scène. Avez-vous le trac ?
La scène, c’est ma vie. C’est un mélange d’énergie, d’amour, de sentiments partagés. Il y a avec mon public un rapport immédiat. Dès que je suis sur scène je lui envoie des rayons bleus  et je les vois aussitôt revenir vers moi.
Le trac ? Je l’ai juste le temps de monter quelques marches et de me retrouver sur scène. Je suis dans un état second mais dès que j’entends l’orchestre et que le rideau s’ouvre, tout ça disparaît car j’ai un flot d’amour qui me fait face et je n’ai plus peur de rien.
Vous êtes positives, vous avez une âme de battante !
Je me suis toujours dit que, quoiqu’il arrive, la vie vaut la peine d’être vécue. Il y a des choses tellement belles à vivre qu’il ne faut jamais être négatif, ne jamais se laisser aller. Je pense que le plus beau mot qui existe c’est l’espoir. Il faut prendre pour exemple le peuple juif qui, depuis 3.000 ans, on ne sait pas pourquoi, a subi et continue de subir d’énormes souffrances. Et pourtant il n’a jamais perdu espoir. A tel point que leur hymne national s’intitule «Tiqvah», ce qui signifie «espoir». Et c’est cet espoir qui lui permet de vivre.
C’est pour cela que je le considère comme le plus beau mot de l’âme humaine.
En entendant ces paroles, je ne peux m’empêcher de vous demander quels sont vos projets, car vous en avez sûrement !
J’en ai deux : le projet N°1, le plus grand, le plus positif mais aussi peut-être le plus difficile c’est que j’ai décidé de remarcher normalement et de ne pas repousser la date. Ce sera à la fin de l’année. Je vais remarcher, c’est mon ordre de mission !
Mon projet N°2 est de trouver de belles chansons dont je tomberai amoureuse, de pouvoir les enregistrer pour offrir un nouveau disque à ce public que j’aime et qui m’est resté fidèle. Je le lui offrirai avec tout mon amour».
Hélas, elle n’en aura pas eu le temps et, tout comme Annie Cordy, elle nous a rendus heureux jusqu’à ce départ. Et j’en suis très triste.

Jacques Brachet