NOTES de LECTURES

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Kyra  DUPONT TROUBETZKOY : A la frontière de notre amour (Ed Favre – 182 pages)
Journaliste, grand reporter, passionnée par les relations internationales, l’auteur publie en juillet 2020 ce roman dédié «aux amoureux en temps de guerre».
C’est en effet surtout de l’amour dont veut parler l’auteur, celui naissant entre Gaia, jeune trentenaire professionnelle des missions humanitaires et Peter, un soldat des Forces spéciales américaines croisé à un check-point en pleine guerre en Tchétchénie. Cet amour, non autorisé car les humanitaires doivent respecter la neutralité, sera -t-il possible ?
Cet ouvrage nous permet de pénétrer dans les coulisses de la vie des membres des organisations humanitaires, prêts au sacrifice de leur vie, alternant adrénaline dans les zones dangereuses et défoulement avec journalistes et militaires lors de fêtes dans les capitales, parfois non à l’abri d’attentats.
Mais l’héroïne est trop belle, trop courageuse, trop volontaire, trop chanceuse pour qu’on y croit. On reste indifférent au sort des relations entre Gaia et Peter, comme celles de ses amies Emma et Marni avec des soldats.
Un roman qui, malgré son côté trop sentimental, pourra plaire cependant car il décrit avec réalisme les camps de réfugiés ou de prisonniers dans les années 2000 dans le Caucase ou en Afghanistan, et les évènements internationaux de cette époque.
Lars MYTTING : Les cloches jumelles (Ed Actes Sud – 425 pages)
traduit du norvégien par Françoise HEIDE
Lors de la christianisation de la Norvège au XII siècle, le territoire va se couvrir d’églises en bois debout, y compris dans les zones terrestres reculées. Les norvégiens, habiles charpentiers, vont élever ces bâtiments très particuliers, à l’aide de longs troncs de pins et de plaques de bois, décorés sur les faitages et les galeries extérieures de sculptures rappelant leurs vieilles croyances norroises, véritables dentelles en bois d’animaux fantasmagoriques, dragons, serpents et de têtes des dieux vikings, le tout recouvert de goudron pour assurer l’étanchéité.
C’est au sujet d’une de ces églises que Lars Mytting va écrire ce roman d’aventure, à la fois conte et récit historique.
Il situe le récit dans sa vallée natale de Gudbrandsdal, près de Lillehammer, dans un petit village peu accessible nommé Butangen.
A une date non indiquée, mais certainement il y a bien longtemps, à la ferme Hekne, naissent des jumelles siamoises, attachées de la hanche jusqu’en bas, nommées Halfrid et Gunhild, provoquant la mort de leur mère. Dès leur plus jeune âge, elles apprennent à tisser et réalisent à quatre mains de superbes toiles aux motifs mystérieux. Mais elles meurent adolescentes et sont enterrées sous le plancher de l’église en bois debout du village. Leur père utilise ses objets en argent ainsi que des pièces d’argent  pour faire fondre deux cloches au nom de ses filles qui sont installées au clocher de l’église en bois debout.
Puis le récit saute au premier janvier 1880. Astrid Hekne, âgée de vingt ans accompagne Klara, une vieille femme, à l’office du nouvel an célébré par le nouveau pasteur du village. Il fait glacial dans l’église et Klara meurt de froid. Le jeune pasteur explique à Astrid que cette église n’est pas assez grande pour la population du village, qu’elle est incommode, impossible à chauffer et qu’il a conçu le projet d’en construire une nouvelle.
Arrive alors au village un jeune architecte allemand, envoyé par l’académie des beaux-arts de Dresde.En effet pour financer la construction, le jeune pasteur a contacté cette institution qui veut sauver cet exemple d’architecture en la transplantant en Allemagne. Il s’est engagé à leur vendre la vieille église, y compris les deux cloches, pour 900 couronnes.
On va alors suivre Astrid dans son combat pour tenter de maintenir au village l’église et les cloches données par sa famille. Elle aura aussi à choisir entre le pasteur et le jeune architecte, entre la dure vie de la campagne norvégienne ou la modernité des villes allemandes.
Un beau roman dont l’écriture magnifie les paysages norvégiens et la vie rurale et pose la question de la conservation du patrimoine face à la modernité industrielle.

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Martine Marie MULLER : Dieu aime les rousses (Ed Terres de France – 585 pages)
Vaste programme que l’évocation de la vie de ce couple de hobereaux installé en Normandie dans un vaste domaine où ils vivent presque cachés, entourés de serviteurs et de leur trois filles adoptées, toutes rousses pour rester dans les canons de la beauté préraphaélique  et du monde de la peinture et des arts.
Des années 1910 à 1960 nous allons vivre avec ce couple excentrique et altruiste «complètement  à l’ouest» dirait-on maintenant, au cœur d’un merveilleux jardin que chacun s’escrime à cultiver et embellir jusqu’au jour où un cadavre est trouvé gisant parmi les fleurs. L’inspecteur chargé de l’enquête qui n’est autre que l’ex-fiancé de la fille ainée va  s’attaquer au problème en soupçonnant  tout l’entourage familial et amical. Qui est le coupable ? Tout le roman est la quête de cette vérité au travers des descriptions dithyrambiques des personnages et des paysage. Ce sont des digressions en tous genres qui s’éternisent nous faisant perdre tout sens du pourquoi nous sommes là, nous baladant du monde des arts à la guerre de 39 et la l’organisation de la Résistance sur les côtes normandes. Il s’ensuit un ennui qui nous fait perdre tout l’intérêt de l’histoire.
Écrit avec verve, dans un style extravagant  et foisonnant de références, ce roman pêche peut- être par le trop de tout au mépris de l’essentiel : la clarté du récit
Des phrases, des mots, des noms savants, l’auteure est certes prolixe mais l’intérêt du lecteur est passablement perdu dans ce fatras qui fait que l’empathie pour le défunt est totalement escamotée.
Mortel ennui.
Nathalie RHEIMS : Roman (Ed Léo Scheer – 143 pages)
Tout commence avec l’achat spontané, irraisonné d’un encrier en bronze doré représentant le diable.
Nathalie Rheims écrit ce livre pendant le confinement de mars dernier, une période qui offre temps et réflexion sur la vie, et bien sûr celle des autres, notamment dans le cas présent, Roman Polanski. Qu’ont en commun le Diable et ce cinéaste ? Tout le monde connait le diable et tout le monde connait Polanski sans être pour autant grand cinéphile.
Nathalie Rheims connait très bien la filmographie de Roman Polanski et elle analyse ses œuvres majeures en remontant à sa jeunesse où seul à Cracovie son instinct de survie l’a sauvé et inspiré. Lui, petit juif a réussi à produire des chefs d’œuvre oscarisés, a perdu sa femme assassinée par les membres d’une secte, a défié la chronique des scandales sexuels, a fui la justice américaine et malgré tout encore raflé une cascade de Césars pour son dernier film « J’accuse ».
Il faut sans doute avoir vu les films de Polanski pour comprendre la fascination du personnage, tout comme peut fasciner le diable installant dans le monde un vaste tribunal. Que ce soit dans « Rosemary’s Baby », « Le Pianiste » ou « J’accuse », Polanski crée des personnages qui incarnent l’étroitesse de l’âme humaine et agissent contre l’idéologie dominante. Pour autant le diable n’est fait que de la faiblesse des hommes qui laisse aux pires d’entre eux le Pouvoir et la Gloire, tels Hitler et Staline.
Cet écrit a pris forme pendant cette période «étrange d’enfermement. Peut-être le lecteur aura-t-il envie de revoir quelques films, peut-être posera-t-il un regard différent sur Polanski, peut-être s’ennuiera-t-il à lire cette association d’idées avec le diable.
Pourquoi, diable, Nathalie Rheims n’a-t-elle acheté un encrier bien classique ?

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Muriel BARBERY : une rose seule (Ed Actes Sud – 160pages)
Muriel Barbery nous entraine au Japon qu’elle connait bien pour y avoir  résidé, dans ce nouveau romans plein de grâce, de délicatesse et de  poésie.
Déjà la couverture nous transporte dans ce monde qu’elle a fait sien.
Rose, quadragénaire sans enfants, botaniste parisienne élevée par sa mère aujourd’hui décédée, est contactée par un notaire afin de se rendre au japon pour prendre connaissance du testament laissé par son père, riche marchand d’art contemporain qu’elle n’a jamais connu. Accueillie par Paul son assistant, elle va suivre le parcours initiatique qu’il lui révèle au fil de lieux mythiques dont il avait fait sa vie. Des jardins, des temples, des maisons de thé, cachés dans la laideur d’une ville moderne et défigurée.
Peu à peu le charme opère, l’apaisement s’installe.
Chaque chapitre placé sous le symbole d’une fleur unique, ouvre un degré dans le bien-être de la jeune femme. La fin, bien que conventionnelle, est un beau point d’orgue. De quoi le deuil est il difficile ? De ce qu’on a perdu ou de ce qu’on n’a jamais eu ?
Tout est léger, épuré, gracieux dans ce voyage. Exprimé avec beaucoup de pudeur et de poésie, on se laisse gagner par la mélancolie des tableaux et la symbolique des fleurs.
Certains lecteurs suivront pas à pas Rose dans ces temples, ces jardins japonais admirables en soins et en harmonie. Mais les avis peuvent être partagés. D’autres peut-être s’ennuieront-ils un tantinet dans ces déambulations si bien décrites…
Francis SZPINER : Une affaire si facile (Ed Le cherche midi – 150 pages)
Nous sommes en juin 1984.Simon Fogel, brillant avocat pénaliste, voit arriver dans son cabinet Martine Jiret qui lui déclare avoir tué le matin même, d’un coup de chevrotine, son mari Marcel. Mariée depuis dix ans, mère de Nicolas âgé de six ans, elle subit depuis des années la violence et les caprices sexuels sordides de son mari et n’a pas pu supporter une ultime humiliation de celui-ci. Sur les conseils de sa sœur, policière, elle vient se renseigner avant de se livrer à la police car elle veut protéger son fils, qui passait la nuit chez un ami.
L’avocat accepte de prendre la défense de cette femme, employée modèle, bonne mère et de tenter de mettre en avant toutes les circonstances atténuantes que sa triste histoire devrait permettre.
C’est donc par la bouche de Maître Fogel, son double, que l’auteur, avocat réputé, va faire découvrir au lecteur le système judiciaire français et les particularités du procès d’assises, en suivant Martine, de ses aveux jusqu’à sa condamnation.
Une lecture facile et agréable qui permet une vraie réflexion sur les procès criminels.

Munoz Molina perez

Un promeneur solitaire dans la foule : Antonio MUNOZ MOLINA (Ed Seuil – 516 pages)
C’est une promenade non pas solitaire comme l’indique le titre de l’ouvrage, mais au contraire une promenade à travers les villes de Madrid, New York, Paris, Londres, Lisbonne, une promenade à travers le temps plus ou moins juxtaposé de grands écrivains et de poètes comme Edgar Allan Poe, Thomas de Quincey, Baudelaire, Walter Benjamin; une promenade à travers le quotidien qui rappelle à chaque coin de rue un fantôme du passé.
Des situations ordinaires ou pittoresques recueillies méthodiquement au gré des pas de l’auteur, transcrites au crayon à papier, un crayon qui s’use à la longue, tiendra-t-il jusqu’au bout du roman ?
Il y a tout : la politique actuelle, Trump ne fait pas partie de ses amis ! Les faits divers, les sciences, la biologie, les petites choses du quotidien, les odeurs, les couleurs, le chant d’un oiseau, le retour au goût de vivre après une dépression, mais aussi le bonheur d’un amour partagé. L’auteur déambule et observe des itinéraires suivis par des écrivains, des artistes, des scientifiques, des visionnaires, des indigents et même des fous, et pour l’occasion s’inspire d’un chronobathyscaphe, d’un chronoaudimètre, ou d’un géolocalisateur pour mesurer un monde noyé dans les paradis artificiels, paradis déjà bien explorés par Poe, de Quincey et Baudelaire. Le lecteur est sous le charme de ces milliers de pas, notamment dans la ville de New York, la montée dans le Bronx où chaque rue révèle un moment de vie d’un chanteur de jazz, un acteur connu, un peintre, un écrivain sans oublier les invisibles qui peuplent les rues, les jardins, les ponts.
Antonio Munoz Molina a créé le mot «déambulologi », il en est un adepte et incite désormais le lecteur à marcher, ouvrir les yeux, s’intéresser, écouter, se choquer parfois, à respirer, à vivre. C’est un hymne à la vie avec ses hauts, ses bas, portant un espoir vibrant qui ne masque pas les difficultés rappelées à travers les vies de Quincey, Poe, Baudelaire et Walter Benjamin, ses poètes préférés.
Cinq cents pages, on en aurait lu bien davantage mais l’auteur se devait de rentrer chez lui , une femme l’attendait,
Il a trouvé la paix et tous ses cahiers nous offrent ce merveilleux récit.

Une nuit à Carthage : Annick PEREZ ( Ed Balzac – 147 pages)
La famille Barenti vit à Tunis dans l’aisance et l’exubérance. Dès les premières lignes Annick Perez brosse les traits caractéristiques de la famille juive avec ses cris de joie ou de douleur, la Mère Tita, petit bout de femme d’un mètre cinquante plutôt pessimiste à l’opposé de son mari Isaac, joyeux, bon vivant, heureux et volubile. Des enfants bien sûr, et parmi eux Alice, autre petit bout de femme de quinze ans, un rayon de soleil au rire cristallin et séducteur.
Et c’est la vie d’Alice dite Fliflo que l’auteur retrace avec humour mettant en avant sa volonté, son courage dans les épreuves car épreuves il y aura, et son amour pour Neldo jeune israélien venu recruter pour repeupler la jeune nation d’Israël, disparu du jour au lendemain après une promesse de mariage.
Nous sommes en 1947.
Il y a aussi l’amour de Paul qui lui déclare sa flamme et sa volonté de l’épouser malgré son jeune âge et qui se dit homme d’affaires à dix-sept ans.
Comme le dit l’auteur tout va bien aujourd’hui, il en sera autrement par la suite, la vie a ses revers, ses rebondissements. Car il faudra quitter Tunis, s’installer en France, travailler et encore travailler.
Alice est le cœur de ce roman polyphonique autour d’une femme courageuse, entreprenante, volontaire, attachante. Cette femme n’est peut-être pas sortie de l’imagination de l’auteur tant elle semble réelle et bien vivante.