En ce dimanche 11 octobre, ce fut ma journée des séniors : le matin avec Marcel Amont, au théâtre Galli de Sanary, 91 ans ½ (Il y tient !) et Jean-Louis Trintignant le soir au Liberté Toulon, 90 ans.
Des séniors que l’on aime.
Que j’aime d’autant plus qu’avec Jean-Louis Trintignant, j’ai fait avec lui d’innombrables rencontres. Sur trois tournages («Le secret» de Robert Enrico, dans mon pays ardéchois, «Boulevard des assassins» de Boramy Tioulong à Toulon, «Vivement dimanche» de François Truffaut, à Hyères) sans compter le nombre de rencontres à Marseille, à Toulon et Sanary, à Ramatuelle, à la Seyne où sa fille Marie a créé «Les nuits blanches» de Dostoïevski.
Avec Jean-Louis, on ne peut parler d’amitié mais de connaissance, de reconnaissances et à chaque fois ces rencontres furent de magnifiques moments.
Le revoici donc au Liberté de Toulon où, avec Charles Berling et deux musiciens, il nous offrait un grand moment de poésie.
On retrouvait cette voix, reconnaissable entre toutes, toujours si posée, si feutrée, si apaisée, malgré le choc de le retrouver sur un fauteuil roulant et sachant qu’il perdait la vue.
Mais aussitôt qu’il parle, la magie opère, nous fait un bien fou, nous emporte par sa douceur, son humour aussi, curieux contraste avec la fougue, la grandiloquence de Charles Berling.
Cela m’a fait penser au tournage du film «Le secret» où j’ai eu la chance de partager de sublimes moments avec lui, toujours très détaché, souriant, serein et balançant un trait d’humour très anglais avec un petit sourire narquois vers Noiret qui, gros ogre à la voix puissante, en faisait des tonnes pour raconter des histoires. Moments de charme, de plaisir que je garde précieusement en tête.
Et là, retrouvant la même situation avec les deux personnages si diamétralement opposés que sont Jean-Louis et Charles
D’abord, le premier, vue la situation, ne peut lire les textes qu’il dit, de la Fontaine à Baudelaire en passant par Prévert. C’est toujours juste, intime, malicieux, que ce soit dans la poésie pure ou dans l’humour, en passant par le tragique et l’absurde. A ses côtés, Charles crie, vocifère, se démène sur de longs textes qu’il lit, qu’il crie, trop peut-être, surtout en comparaison avec cette sérénité qui se dégage de son compère. A-t-il besoin de hurler «Le bateau ivre» de Rimbaud, sans aucune nuance ?
Entre le calme et l’excité, il y a trop de différence, même si les deux magnifiques musiciens essaient de temporiser.
Par ailleurs, malgré le plaisir qu’on a de retrouver ces beaux textes, il y manque un fil rouge, les textes arrivant un peu comme un cheveu sur la soupe, sans qu’il y ait entre eux le moindre rapport. Et puis tout à coup, voilà qu’on entend Bourvil chanter «Le petit bal perdu», belle chanson au demeurant, belle interprétation… Mais, pour reprendre une phrase de Molière… qu’allait-il faire dans cette galère ?
Un grand moment d’émotion lorsque, le rideau se fermant, Trintignant nous dit les beaux mots de Ferré, tirés du poème de Rutebeuf «Que sont mes amis devenu ?» et qu’il entame une longue litanie des êtres chers qu’il a perdus, Marie bien sûr, Marcello, Serge Marquand et tant d’autres qui sont hélas la triste réalité des personnes qui atteignent ces âges et voient un à un partir ceux qu’ils aiment.
Mais le revoilà disant «Le déserteur» de Boris Vian si magnifiquement chanté entre autres par Mouloudji et qu’après avoir dit :
« Prévenez les gendarmes, que je serai sans arme et qu’il pourront tirer», un silence et il ajoute : «Prévenez les gendarmes que je serai en arme… et que je sais tirer»
Ovation d’un public totalement sous le charme et l’émotion d’un comédien exceptionnel, qui nous a offert un moment suspendu, hors du temps. Un moment rare qui restera dans nos souvenirs.
Jean-Louis Trintignant ; «Dialogue entre amis» par Serge Korber et Jean-Yves Katelan (Editions de la Martinière)
J’aurais aimé parler de ce livre qui vient de sortir avec Jean-Louis mais trop fatigué, il n’a hélas pas pu me recevoir.
C’est un album somptueux qui retrace sa vie d’homme et d’artiste, aussi riche l’une que l’autre, vu par des tas de personnalités avec lesquelles il a fait un bout de chemin et auquel il a évidemment participé.
On y trouve de très belles photo souvent inédites, qu’il commente, quelques poèmes choisis avec soin signés Prévert, Alain Leprest, Charles Cros, Vincent Delerm, Rimbaud, Desnos, Apollinaire, Aragon …
Et des témoignages de Robert Hossein, Brigitte Bardot, Costa Gavras, Nadine Trintignant bien sûr, jacques Perrin, Dino Risi, Claude Lelouch, Bernardo Bertolucci, Jacqueline Bisset, Ettore Scola, Juliette Binoche, Enki Bilal, Denis Podalidès, Michaël Haneke… Et bien sûr Serge Korber.
Deux cents pages pour magnifier un homme, un artiste hors du commun, peut-être le dernier monstre sacré du cinéma français.
Jeune, il était beau, âgé, il est superbe.
Merci Jean-Louis, pour tous ces grands moments de cinéma, de théâtre…
D’humanité tout simplement
Jacques Brachet
Photos Serge Baudot