Quelle belle idée Charles Berling a eue de mettre au programme la pièce de Jean Cocteau «Les parents terribles» !
Peintre, dessinateur, poète, écrivain, cinéaste, cet immense génie semblait un peu oublié depuis quelques décennies. Nombre de jeunes ne le connaissent pas et depuis 1998, date de la mort de Jean Marais, à part Jean-Claude Brialy qui l’a tourné pour la télé en 2003, on ne voyait plus ce bel artiste sur les frontons d’un théâtre.
C’est donc bien que l’ami Charles l’ait remis au goût du jour avec cette pièce « incroyable» qu’est «Les parents terribles». Et qui reste très contemporaine.
Un peu d’histoire d’abord : C’est en 1929 que Cocteau écrit le roman, qui deviendra une pièce en 1938 puis un film en 1948. A chaque étape, Cocteau est aux commandes.
En 1929 donc, la pièce est créée avec Alice Cocéa (Madeleine), Marcel André (Georges), Jean Marais (Michel), Germaine Dermoz (Yvonne) et Gabrièle Dorziat (Léonie). On retrouve presque le même générique dans le film, Madeleine étant remplacée par Josette Day.
C’est en 1977 que Jean Marais décide de remonter la pièce. Il n’a alors plus l’âge de jouer Michel mais y sera Georges, entouré de Caroline Sihol (Madeleine), François Duval (Michel), Lila Kedrova (Yvonne), Madeleine Robinson (Léonie).
En 1980, une version TV sera signée par Josée Dayan avec un trio choc : Jeanne Moreau, Nicole Garcia, François Berléand. Enfin en 2003 Jean-Claude Brialy en tournera une nouvelle version avec Geneviève Fontanel, Judith Magre, Jean-Claude Jay et Fiona Gélin.
Voilà pour l’histoire de cette œuvre magistrale d’un Cocteau décidé à sortir des sentiers battus, de son style porté sur les mythes grecs qui n’ont alors pas un succès populaire. Il décide donc de signer un vaudeville… qui n’en sera pas vraiment un car, si le début de la pièce s’annonce drôle, les portes claquent, les protagonistes s’engueulent avec un dialogue percutant, la pièce tourne peu à peu au mélodrame jusqu’à la fin on ne peut plus tragique.
Michel (Emile Berling), voue un immense amour à sa mère, Yvonne (Muriel Mayette-Holtz) qui elle aussi, ne voit que par lui, à tel point que cet amour incommensurable vire à l’obsession, allant presque jusqu’à l’inceste. Entre eux, Georges, mari d’Yvonne et père de Michel (Charles Berling) mis à l’écart par cet amour «incroyable» (Cet adjectif revient sans cesse dans leur bouche), se jette dans son travail, espèce de professeur Tournesol acculé dans sa solitude. Et puis il y a Léonie (Maria de Medeiros), sœur d’Yvonne, amoureuse de Geoges depuis toujours, qui a laissé sa place à sa sœur et vit avec eux car, même si elle souffre en silence, elle est auprès de celui qu’elle aime, dans ce même silence.
Tous quatre donc vivent tant bien que mal dans cet appartement qu’ils appellent la roulotte.
Jusqu’au jour où Michel annonce qu’il est amoureux. Ce qui va bouleverser le couple déjà fragile, Yvone parce qu’elle ne peut admettre que son fils soit devenu un homme, qu’il veuille la quitter pour Madeleine (Lola Créton) une «vieille femme» (qui n’a que trois ans de plus que lu !), qui, par amour pour Michel va quitter son vieil amant… qui n’est autre que Georges !
On est en plein Vaudeville jusqu’à cet instant où Madeleine rencontre le père de Michel, découvre que c’est son amant et que celui-ci va fomenter une histoire abjecte pour la séparer de Michel.
Léonie, qui a tout compris, va alors prendre les rênes de cette situation à la fois vaudevillesque et dramatique.
La pièce est forte du début à la fin, la comédie faisant par petites touches place au drame qui se joue entre ces cinq personnages, tous paumés, qui vont s’affronter.
Charles Berling, en mari naïf et bafoué est magnifique dans ce rôle ambigu dépassé par les événements et qui devient démoniaque. Muriel Mayette-Holtz est magistrale dans ce rôle de mère abusive, égoïste et au bord de la paranoïa. Maria de Medeiros est saisissante dans le rôle de cette femme frustrée qui n’en montre rien mais tire les ficelles. Emile Berling dont c’est le premier rôle au théâtre, face à son vrai père est touchant dans ce rôle de fils pris entre deux amours et enfin, petit bémol pour Lola Créton qui a des intonations à laBardot, ce qui, quelquefois, l’empêche de jouer juste.
Tout au long de la pièce, on sent l’ombre de Cocteau qui plane jusqu’à la scène finale où apparaissent des dessins de l’artiste et sa voix off.
Ce spectacle est remarquable et l’on en ressort groggy par ce morceau de bravoure de ces comédiens chevronnés d’une justesse et d’une énergie… incroyables !
Et après cette performance, c’est un Charles Berling masqué mais souriant et heureux qui vient rencontrer une classe de jeunes élèves passionnés de théâtre.
Bravo l’artiste !
«C’est – nous dit-il – Christophe Perton qui, voici deux ans, m’a parlé de ce projet. Bien évidemment, cette pièce date de 1938 et il a fallu qu’il l’adapte un peu tout en y restant fidèle. Il y a six mois, on a fait une lecture, nous l’avons répétée six semaines et créée voici quelques jours à Nice. En dehors de l’adaptation, Christophe en signe la mise en scène et la scénographie.
Acteur mais aussi metteur en scène, où se situe Charles Berling ?
Partout où il peut aller ! J’adore écrire, jouer, mettre en scène. J’aime l’art dramatique sous toutes ses formes, j’aime aller sur des chemins que je ne connais pas, ce qui me permet de comprendre mieux l’art du spectacle. C’est pour ça que quelquefois je joue, quelquefois je mets en scène, quelquefois je fais les deux. Je fais du théâtre, du cinéma, je suis aujourd’hui directeur de deux théâtres…
Quel effet ça fait de jouer avec son fils… et d’y jouer son père ?
Ce n’est pas la première fois que nous jouons ensemble puisque nous avons tourné «L’heure d’été» d’Olivier Assayas et «Comme un homme» de Safy Nebbou pour le cinéma.
Au théâtre c’est la première fois puisque pour lui c’est vraiment la première fois qu’il monte sur scène. J’ai tout de suite pensé à lui car, pour un début, jouer avec son père et jouer le rôle du fils, ce pouvait être évidemment stressant mais aussi rassurant. Je lui ai fait lire la pièce. Il a dit oui.
Il a commencé à jouer à 15/16 ans et entre l’ado et l’homme, ça change, j’étais curieux de voir ce que ça allait donner… Et je suis heureux du résultat !
Ça n’est pas toujours facile d’être enfant de comédien. Mais il s’en est sorti tout seul, a fait des castings et ça a marché.
Comment entre-t-on dans une pièce de Cocteau, qui a une écriture très personnelle, très particulière ?
L’écriture de Cocteau casse les sentiers battus. C’est très subtil et ça chamboule. Sinon, j’y entre comme dans toute autre pièce. Ce qui m’intéresse, c’est le style de l’auteur car c’est lui qui vous donne la façon d’aborder le rôle, la façon de parler. A nous de traduire sa pensée au plus près Il est important pour un comédien de respecter ça. Et là, c’est magnifiquement bien écrit, ses formulations sont assez curieuses, il a écrit cette pièce dans l’urgence, toujours plus ou moins drogué, en pensant à sa propre mère. Et ce qui donne le style et le rythme à la pièce.
Ce qui me plait, c’est de découvrir peu à peu le personnage, qu’est-ce que je vais y trouver, comment je vais le trouver pour tout doucement le fabriquer, lui donner vie et savoir où je vais aller.
Au départ, je ne sais pas… Et c’est mieux comme ça !
C’est une belle écriture même si notre génération l’a à un moment un peu méprisée.
Jouer devant un public masqué, est-ce gênant ?
C’est contraignant car ça donne une distance physique. Déjà, pour une pièce comme ça, le public devrait être plein, ce qui ne peut se faire de par la situation. Lorsqu’une salle est pleine, le plaisir, le partage, sont plus puissant. Mais finalement, de la scène on ne voit pas les masques que ça et puis, dès qu’on commence à jouer, l’œuvre prend le pas. C’est une contrainte épouvantable pour tous mais je pense que l’œuvre dépasse tout ça…»
Jacques Brachet