Macha MERIL : Vania, Vassia, Sonia… et Macha

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Macha Méril est une amie fidèle depuis des décennies.
Belle, raffinée, pétillante d’intelligence, pleine d’humour et d’énergie. Et l’on a plaisir à se retrouver à chaque occasion. En ce moment hélas, les occasions sont rares puisque chacun vit confiné chez soi. Ce qui ne l’a pas empêchée de sortir un nouveau livre. Et ce qui ne m’a pas empêché de le lire  avec un rare plaisir teinté de beaucoup d’émotion.
Il s’intitule «Vania, Vassia et la fille de Vassia» (Ed Liana Levi).
Ce sont trois portraits d’exilés russes et cosaques, qui vivent en communauté avec d’autres cosaques en Corrèze et qui  tout en voulant s’intégrer à la France, vont vouloir le faire, chacun à sa manière Vania, a compris qu’il n’y aurait pas pour lui de retour en Russie. Il va essayer de s’en sortir. Et il s’en sortira. Vassia, son ami, se sent déraciné, veut combattre Staline. Hélas, il prendra le mauvais chemin en choisissant Hitler. Personne alors ne le sait et ne sait où il est. Enfin Sonia, fille de Vassia qui, elle, est d’une intelligence remarquable, brillante dans ses études, dans la musique, dans la chanson, dans l’économie, dans la politique et qui s’épanouira en allant à Paris. Elle y trouvera des alliés et une nouvelle famille en les personnes de Charles de la Barrère et de sa cousine Solange de Hauteville. Vania viendra l’y rejoindre. Et l’on suit le cheminement de ces trois personnages, de 1939 à 2019. Des histoires à travers la Russie d’Antan et la France d’après-guerre que dépeint merveilleusement Macha .Trois personnages, auxquels on s’attache très vite et qu’on suit sur leurs chemins semés d’embûches mais c’est ce qui les rend forts et prêts à vaincre tous les obstacles.
Ce roman est empreint, comme dans l’âme, le théâtre, la musique et les romans russes, de nostalgie, de bonté, de sagesse, de folie, de joie et d’émotion, de tristesse et la fin est absolument bouleversante et originale.
En découvrant Sonia, on ne peut pas ne pas penser à Macha dont elle a beaucoup de correspondances, si tant est qu’on la connaisse un peu.
Bref, c’est un livre remarquablement bien  écrit – mais on connait depuis longtemps les talents d’écriture de Macha – magnifiquement historiquement documenté, tant du côté russe que du côté français.
Je ne peux donc m’empêcher, faute de nous rencontrer, de l’appeler pour en parler.
«Tout d’abord, Macha, comment se passe ce confinement ?
(Elle rit) Comme toute le monde. Je suis restée à Paris car mes deux sœurs y sont aussi. On est à côté même si l’on ne peut pas se voir. Mais bon, elles ne sont pas jeunes mais ne sont pas malades. J’en profite pour trier mes papiers, chose que je n’ai pas le temps de faire, pour ranger mes livres par ordre alphabétique, chose que je dois faire depuis longtemps. J’ai essayé de relire Proust… mais je n’y suis pas arrivée… J’y suis vraiment allergique !
Tu sais que la fin de ton roman m’a tiré les larmes…
Et j’en suis heureuse. C’était l’effet escompté. Je cherchais une fin originale où après toutes ces aventures je ne pouvais pas trouver une fin banale. Ce discours de Sonia c’est beaucoup le mien et je l’ai écrit comme si c’était moi qui devais le prononcer.

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C’est une belle histoire dans laquelle on trouve un peu d’autobiographie…
Tu sais, lorsqu’on écrit une biographie, on n’est jamais tout à fait honnête. On «oublie»  les choses qu’on n’a pas envie de dire. Dans un roman, on peut tout se permettre du drame aux rires ou aux coups de théâtre et l’on peut faire dire des choses aux personnages qu’on n’oserait pas dire soi-même. On peut aller très loin. C’est un choix instinctif. Et puis, j’aime les fins romantiques !
Pourquoi ce livre ?
Depuis que j’écris nombre d’éditeurs me demandent d’écrire sur mon enfance russe. Mais j’ai vécu mon enfance en France où je suis née. J’ai bien sûr lu des livres sur l’émigration russe mais en fait je ne connais les russes que par ce que m’en a raconté ma mère. Je savais les cosaques un peu bruts de décoffrage mais je leur suis reconnaissante d’avoir pu garder et transmettre leurs traditions musicales, culinaires et autres. Ils les ont gardées certainement plus que les russes blancs qui voulaient s’en émanciper. Peut-être que d’être exilé a permis cela. Mes parents nous ont transmis tout ça mais n’ont pas voulu alourdir notre jeunesse. Ils ne voulaient pas qu’on démarre dans la vie avec un handicap de passé russe mais vivre un présent français. On n’a donc gardé que le côté charmant des traditions. Le reste, le goulag, le travail forcé, les exactions, toutes ces vérités ont été passées sous silence, on n’en parlait pas. On sait aujourd’hui que Staline a tué plus de gens qu’Hitler. Mais à l’époque, et même il y a 20/30 ans encore, il y avait des choses qu’on ne pouvait pas dire.
Il a donc fallu que tu te plonges dans les deux histoires, de la Russie et de la France. Ça a dû être un sacré travail !
Il y avait des choses que je savais de la Russie par ma mère et beaucoup de choses que j’ai moi-même vécu en France. Mais j’ai été aidé Par une historienne, Sandrine Pallussière et par un spécialiste de l’histoire du nazisme Christian Ingrao.
Les chapitres sont datés…
Oui, parce qu’ainsi on voit ainsi le temps qi passe. En datant, il fallait que je sois la plus précise possible. Je ne devais pas me tromper car il y aurait toujours eu un historien qui aurait trouvé l’erreur. J’ai beaucoup aimé ce travail.
Pourquoi avoir titré «Vania, Vassia et la fille de Vassia» plutôt que «Vania, Vassia et Sonia» ?
D’abord parce que c’est le titre qui m’est venu dès le départ et puis parce que ça sonne bien, c’est musical. Et mettre les trois prénoms ça faisait un peu conte de fée. J’ai pensé à d’autres titres mais mon éditrice m’a dit : «Ça n’est peut-être pas commercial mais ça pose des questions, c’est un peu mystérieux, c’est bien dans la tradition russe !». Dont acte.

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Tu sais que c’est très cinématographique ?
On me l’a déjà dit mais ça risque d’être compliqué car il faut un réalisateur russe qui comprenne la France, un français qui comprenne la Russie, ou quelqu’un qui comprenne les deux, ce qui n’est déjà pas si simple mais en plus, un film historique avec des scènes de guerre, des décors et des costumes, ça risque d’être lourd à monter.
Le château de la Barrière existe-t-il ?
No. Je me suis inspiré d’une grande maison où vivait une riche veuve qui faisait la charité à ma mère. Elle ne lui a jamais donné un sou alors qu’elle en avait tant besoin mais elle avait pitié de «la pauvre princesse»* et prenait ses enfants en vacances.
D’ailleurs, à partir des années 50, ce sont des souvenirs personnels que je raconte. J’ai rencontré tous les gens dont je parle. Etant comédienne j’avais la chance de pouvoir entrer dans tous les milieux, que ce soient les arts, la politique…
Dans ce livre il y a beaucoup de nostalgie… Vient-elle de ta mère ?
Je ne crois pas être nostalgique d’un temps et d’un pays que je n’ai connu qu’à travers ma mère qui, elle, était nostalgique. Mais elle gardait le souvenir d’un monde un peu rêvé que j’ai vécu à travers elle. C’était en fait une Russie pas réelle et je suis imprégnée de ça. Par contre, je n’ai aucune envie de la Russie d’aujourd’hui, que je connais pour y être allée. C’est un pays difficile à vivre, déjà par son climat mais aussi par son retard sur tout. La génération de ma mère a gardé dans la tête une Russie imaginaire alors que la génération d’aujourd’hui est beaucoup plus russophobe.
On retrouve beaucoup de toi en Sonia.
Bien sûr, surtout dans la seconde partie à partir du moment où elle commence à vivre en France. J’ai vécu beaucoup de choses que je lui fais vivre et son histoire d’amour est celle que j’ai vécue avec Michel Legrand que j’ai retrouvé des décennies après notre première histoire d’amour. C’et Michel, malgré notre âge, qui a voulu qu’on se marie, qu’on fasse une grande fête, qui a voulu qu’on partage tout ensemble. Comme le fait Sonia. Ce château qu’il a trouvé, il voulait que ce soit tout à la fois un lieu de musique, de recherche, de résidence pour les musiciens, d’école de musique, un lieu de festival… C’était son objectif. Et je le réaliserai.
Ce livre lui est dédié car c’est lui qui m’a poussé à l’écrire en me disant que ce serait mon œuvre. Il n’a eu le temps que d’en lire quelques chapitres mais je suis heureuse qu’il ait pu le faire avant de me quitter.

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Christian Servandier
* Macha se nomme en fait Maria-Magdalena Gagarine, fille du prince Gagarine.