Toulon – Pathé Liberté : «Petit pays», mais grand film

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Nous sommes dans les années 1990 au Burundi avant que n’éclate la guerre civile et le génocide des Tutsis au Rwanda.
Gabriel est un petit garçon de 13 ans, insouciant qui vit entre son père français, sa mère rwandaise et sa petite sœur. Jusqu’à ce qu’éclate, d’abord la séparation de ses parents puis la guerre civile, ce qui va le faire grandir, perdre son innocence et devenir un petit adulte qui essaiera de se reconstruire en France.
C’est le roman qu’a écrit Gaël Faye, jeune chanteur qui, avec ce livre, est devenu un romancier universellement connu avec un million de livres vendus et un nombre incalculable de prix et récompenses.
Et c’est ric Barbier qui vient d’en faire l’adaptation cinématographique en collaboration avec l’auteur.
Il est entre autres le réalisateur de «La promesse de l’aube», tirée d’un roman de Romain Gary et nous fait entrer de plain-pied dans cette histoire forte, poignante, bouleversante, histoire vue par ce petit garçon magnifique interprété par Djibril van Copenolle. A ses côtés, sa petite sœur Dayla de Medina, sa maman Isabelle Kabano et son père Jean-Paul Rouve, très loin du personnage des Tuche.
C’est à la fois un film vérité mais aussi une histoire romancée où la poésie est présente, le réalisateur ayant pris le parti de montrer, non pas les atrocités de la guerre qui sont  en fond mais l’histoire d’un petit garçon qui va grandir trop vite.
Le film est totalement maîtrisé, à la fois violent et poétique, chargé d’amour et de tendresse malgré ce que vit cette famille qui va se disloquer. Et les images sont magnifiques,
Le film se termine sur une chanson de Gaël Faye et nous laisse cloué dans le fauteuil d’émotion. C’est un grand coup de poing que l’on prend direct au cœur.
Eric Barbier et Isabelle Kabano sont venus présenter le film à Toulon.

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«Eric, comment êtes-vous venu à réaliser ce film ?
J’ai lu ce film grâce à ma fille qui l’avait lu pour le concours des lycéens dont il avait reçu le prix. J’ai été touché dès la première lecture par l’histoire de cet enfant qui assiste à la séparation de ses parents juste avant le génocide. Tout se passe à travers lui, sa famille, ses copains et c’est ça le vrai sujet dans ce livre. Gabriel est pris par la violence, d’abord de la séparation de ses parents puis, petit à petit, des événements qui se rapprochent. C’est ce qui permettait de filmer et de donner une unité au film. Je ne voulais pas aborder cette histoire de manière frontale.
Et vous Isabelle ?
C’est une drôle d’histoire car comme beaucoup de Rwandais, j’ai lu ce roman voici deux ans. Il a été traduit et bien sûr nous voulions tous savoir comment Gaël Faye avait abordé ce sujet qui nous touche. J’avais été très émue par cette lecture mais je n’avais alors jamais imaginé qu’un jour je tournerais ce film. Comme il y avait un casting, j’y suis allée sans trop y croire et un mois avant le tournage, Eric m’a appelée pour me dire que j’avais le rôle. J’ai dit oui sans hésitation avec des sentiments mêlés de joie et de peur. Mais j’ai aimé ce rôle car c’est un rôle ascensionnel. Il y a des moments de joie, d’extase puis des moments dramatiques. C’est magnifique à jouer.
– Je dois dire – précise Eric – que je n’ai pas eu à voir beaucoup d’actrices, cinq, six, pas plus et lorsque j’ai vu Isabelle je l’ai tout de suite repérée. Elle avait à la fois ce côté mondain, «bling bling» qu’elle joue au début du film, sa vie tourne autour de ses amies et son rêve est d’aller à Paris. Et puis j’ai vu cette profondeur dans son regard lorsqu’elle prend conscience du drame que vit son pays et dont elle en sera une victime lorsque l’histoire la rattrape.
Eric, vous avez tourné avec beaucoup de non comédiens ?
Oui, dont la grand-mère qui raconte l’histoire et qui est magnifique.
Durant cinq jours j’ai fait un casting et j’ai choisi les personnalités qui pouvaient donner quelque chose car je leur fait jouer une histoire qu’ils connaissent et ils apportent une vérité. Certains même ont vécu cette histoire, ce qui donne une vérité aux scènes. Beaucoup ont improvisé, faisant ressurgir des souvenirs, des imagent qui leur reviennent.

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Et pour les enfants ?
Je leur ai laissé beaucoup de liberté et ce n’est pas moi mais les adultes qui les dirigent. Je voulais qu’ils aient cette impulsion spontanée, cette fraîcheur, afin qu’ils n’aient pas l’air de jouer.
Par exemple, lorsque la petite fille téléphone à sa grand-mère, je ne lui avais pas dit que c’était sa vraie grand-mère qui allait lui répondre. Ce qui a donné cette surprise et cette joie naturelles.
Et pour cette scène poignante où la mère ayant perdu ses esprits, oblige sa fille à chanter ?
La gamine n’était pas avertie de ce qu’allait lui dire Isabelle. Et j’ai laissé Isabelle à mener cette scène où la gamine a peur et éclate en sanglots.
– Ca a été difficile – explique Isabelle – car elle appréhendait déjà cette scène mais ne savait pas la violence que j’allais y mettre. Ça l’a surprise et elle a vécu la scène comme une scène réelle, elle a eu une peur bleue et pendant quelque temps, elle ne pouvait plus m’approcher. Elle a eu du mal à supporter ça. Mais il fallait cette surprise pour qu’elle soit prise au jeu car on ne peut pas tourner dix fois une telle scène avec une petite fille.
Où en est la situation aujourd’hui ?
Isabelle : Depuis 25 ans, ça n’a pas changé même s’il y a un calme de façade, il y a une violence latente et ça n’a pas encore évolué. Les élections arrivent et on appréhende toujours ce moment.
Eric : Je veux préciser que ce n’est pas un film sur cette guerre, tout comme le livre c’est au départ l’histoire d’un petit garçon qui voit ses parents se déchirer, se séparer, qui perd son enfance à travers ce qui pour lui est le vrai drame plus que la guerre. Le cœur du film est ce paradis qu’il a perdu, cette enfance volée. Pour lui c’est une déflagration
Ce qui est formidable dans ce film c’est que chaque fois que l’histoire devient trop dramatique, il y a une scène poétique, presque onirique, qui vient la balancer.
C’est exactement ce que je voulais, d’abord parce que le pays est magnifique. Pour des raisons politiques, nous n’avons pu tourner au Burundi mais reconstitué les décors au Rwanda. Je voulais montrer cette belle vision de l’Afrique. Il y pleut beaucoup et le paysage est très verdoyant.
Et le but n’était de faire un film sur ce génocide. On doit bien évidemment l’évoquer mais ce n’était pas le sujet. C’est d’abord l’histoire d’un enfant qui découvre la violence, d’abord celle de la séparation de ses parents et puis, qu’est-ce que comprend un enfant entre toutes ces violences, cette absurdité du racisme de base ? C’est de là que vient la rupture avec l’enfance.

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Que pense Gaël Faye du film ?
Nous avons travaillé étroitement ensemble au scénario et bien entendu il a fallu adapter des situations, en enlever d’autres, beaucoup d’anecdotes qui, dans le livre, apportent cette nostalgie de l’auteur mais qu’on ne pouvait retracer à l’écran. Il a été satisfait de notre travail.
Est-ce que le film sera présenté au Rwanda ?
Isabelle : Nous y partons dans quelques jours pour le présenter en avant-première et c’est un moment très attendu là-bas !
Eric : Et en plus nous emmenons toute l’équipe, Gaël Faye compris ! Ce sera la première fois qu’on se retrouvera tous et surtout les enfants qui ont tissé de vrais lien et qui sont disséminés un peu partout. Je pense que ce sera une vraie fête et un grand moment d’émotion».

Propos recueillis par Jacques Brachet
Sotie du film : 18 mai