Ado, j’accrochais dans les murs de ma chambre le poster central que je détachais tous les mois dans «Salut les copains», Johnny, Cloclo, Sylvie, Françoise… Tous, au fil des mois, venaient tapisser les murs. Et je me disais que ce garçon qui les faisait avait bien de la chance d’approcher ainsi nos idoles, de voyager avec elles, de leur faire des photos quelquefois totalement folles.
Je rêvais de pouvoir faire pareil et de rencontrer ce drôle de photographe nommé Jean-Marie Périer.
Quelques années plus tard, je devenais journaliste et je faisais la même chose que lui, à ma dimension provinciale évidemment, mais je partais en tournée avec ces artistes dont certains devinrent des amis et le sont encore, pour ceux qui sont encore là.
Ce n’est que plus tard que je rencontrais enfin celui qui m’avait fait rêver et qui m’avait incité à faire ce métier. Ce qui est drôle d’ailleurs, c’est qu’avant de le rencontrer, j’avais noué des liens amicaux avec son père, le comédien François Périer, que je rencontrais souvent en tournées.
La rencontre fut amicale, chaleureuse, nous avions plein de points communs, plein d’amis communs,
Plein de souvenirs identiques de cette époque bénie que l’on appelait les sixties.
Et plein de nostalgie aussi de ce temps passé, heureux, libre, joyeux et dont les stars avaient notre âge.
Aujourd’hui, chacune de nos rencontres est toujours aussi chaleureuse et nous évoquons avec plaisir ces souvenirs indéfectibles d’une jeunesse magnifique que nous avons eue.
Nième rencontre donc avec l’ami Jean-Marie ce dimanche au Casino de Hyères, où il donnait sa conférence-photo intitulée «Flashback».
Et la conversation reprend et, avec les années qui passent, quelques digressions sur… notre âge qui avance !
«Je viens de fêter mes 80 ans et je t’assure que lorsque j’entends des gens de notre âge (Et tu as du bol d’être plus jeune !) dire qu’ils ne sont pas nostalgiques de leurs 20 ans, je n’en crois pas un mot.
Déjà, il y a des choses qu’on ne peut plus faire, on perd la mémoire et le poids de l’âge se fait sentir.
Avoue que nous avons vécu une période bénie. Nous rêvions d’Amérique, même si aujourd’hui ce n’est plus vraiment un rêve, nous n’avions pas de limites et quant à moi, le hasard et la chance ont été de rencontrer un homme nommé Daniel Filipacchi qui m’a mis un appareil photo en main et donné toute liberté de faire ce que je voulais, avec tous ces jeunes artistes qui démarraient comme nous, qui avaient notre âge.
Nous étions tous heureux de vivre, de faire ce qu’on aimait, les artistes, à part Claude François, ne parlaient pas alors de leur image et étaient toujours partants pour faire des trucs totalement fous.
Aujourd’hui, tu continues à faire des photos ?
Oui, pour mon plaisir mais photographier des artistes c’est fini, à part Thomas Dutronc pour la couverture d’un magazine de jazz. Mais c’est plus par amitié car j’adore ce mec… et ses parents !
Je vis la plupart du temps dans ma maison de l’Aveyron, à Villeneuve, je photographie la nature.
Mais je n’ai pas envie de photographier les artistes d’aujourd’hui tellement ça devient compliqué pour prendre un rendez-vous, à cause de leur entourage, de leur suspicion, de «leur image». Certains ont des ego surdimensionné. Et toi, photographe, tu as un mal fou à faire ton travail pendant que des milliers d’Iphones les prennent en photo et qu’on voit des photos minables sur tous réseaux sociaux. Le métier a totalement changé, il n’y a plus l’insouciance que l’on a vécu. Il n’y a plus de complicité avec les artistes. Mon métier, comme nous le pratiquions alors, n’existe plus.
Bon, ceci mis à part, te voilà sur les routes avec cette conférence où tu présentes les superbes photos de tes rencontres, photos que l’on retrouve dans de superbes albums.
Oui, de temps en temps je fais quelques conférences lorsqu’on me le demande. Ça fait plaisir aux gens de notre génération, ça me fait plaisir aussi de parler de tout ça et ça fait marcher la tronche !
Ces albums que j’ai sortis, c’est grâce à Etienne Daho qui m’a dit un jour : «Tu devrais faire des livres, je suis sûr que ça plairait aux gens de revoir toutes ces photos». Du coup je l’ai fait et ça a marché.
Facile de faire un choix parmi toutes celles que tu as faites ?
Oui car toutes sont rattachées à des souvenirs. Mais ça a failli ne pas se faire car lorsque Daniel Filipacchi a disparu toutes les archives ont failli partir à Paris Match. Grâce à sa collaboratrice, j’ai eu le temps de sauver ces photos, même si certaines ont disparu et je t’assure qu’il a fallu trier, ranger, répertorier, dépoussiérer…
Tu viens d’ailleurs d’en sortir un nouveau ?
Oui car j’ai monté ma propre maison d’édition nommée «Loin de Paris» pour pourvoir aider certains artistes qui ont du mal à être édités. Et l’on m’a demandé de… commencer par moi ! Il est donc sorti cet album intitulé tout simplement «1960-1970». Il y a entre autres 150 nouvelles photos.
Tu es donc définitivement loin de Paris ?
Oui, à Villeneuve je me ressource, j’ai été accueilli à bras ouverts et un jour, le maire m’a fait découvrir une très belle maison du XIIIème siècle dont il ne savait pas quoi en faire. En fait, il m’a proposé d’en faire un musée. La maison comporte sept salles et j’y ai accroché 185 tirages. Ça marche très fort et de mille personnes en temps normal aujourd’hui y viennent plus de dix mille personnes !
Tu vis donc de tes rentes !
Mes photos passionnent les gens, ils les achètent et ce qui est curieux c’est que je vends beaucoup à l’étranger.
Fréquentes-tu toujours ces artistes de l’époque ?
Tu sais, les rangs s’éclaircissent. Après Claude, Johnny me manque beaucoup. Avec lui une page s’est tournée. Je revois toujours Françoise, Jacques et Sylvie, Sheila un peu moins mais, même si je n’aimais pas ce qu’elle faisait, je l’adorais pour sa gentillesse, sa joie de vivre. Mais ce sont les seuls.
Avec sa chienne Daffy… « Ce n’est pas ma chienne… c’est ma femme !!! »
Es-tu allé sur les tournées «Age Tendre» ?
Ah non, surtout pas… Ce serait un cauchemar ! Je trouve déjà pathétique de vieillir je n’ai pas envie de voir ces «vieux» artistes qui ont mon âge chanter des chansons qui datent de 50 ans. Je comprends que le public veuille retrouver tout ça, c’est d’ailleurs aussi le public qui vient me voir. Mais je préfère les garder dans mes souvenirs.
D’ailleurs, ça fait trente ans que je ne vais plus à un concert. Pour voir des artistes en tout petit sur scène ou sur un écran, ça ne m’intéresse pas. Mais aussi, ce qui me plaisait, c’est qu’on se retrouve après le spectacle. Tout ça c’est fini..
Les réseaux sociaux ?
Ça ne m’intéresse pas sauf Instagram où j’écris un texte et mets en ligne une photo tous les jours. Ça aussi ça fait marcher la tronche et ça donne la température des photos que les gens préfèrent.
A propos d’écrire, tu y as pris goût… A quand un prochain livre ?
Je suis en train d’écrire un livre sur mon grand-père Jacques Porel qui a eu une vie fabuleuse. Il n’a jamais travaillé de sa vie et était considéré comme un boulevardier. C’est-à-dire un homme, au début du siècle, qui était beau, brillait en société et qu’on appelait pour animer une soirée, un repas, comme Tristan Bernard ou Alphonse Allais. Il connaissait le tout Paris, était invité partout, était le fils de Réjane… Je me souviens d’un jour où j’étais seul avec lui et le boxeur Georges Carpentier, alors plus très jeune. Après le repas le boxeur nous invite chez lui et nous propose de prendre l’ascenseur pendant que lui prendrait l’escalier. Et je me souviens de mon grand-père me disant : «Laissons-lui le temps de grimper !»i
J’aimerais donc rendre hommage à cet homme original et magnifique»
Et écrire un livre sur ton père François Périer ?
Je l’ai fait dans mes mémoires. J’ai raconté toute mon histoire. Je ne remercierai jamais assez mon père pour ce qu’il a été pour moi. La page est tournée.
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Patrick Carpentier