NOTES de LECTURES

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Sylvie GERMAIN : Le vent reprend ses tours (Ed Albin Michel – 213 pages)
En 2015, Nathan, un quadragénaire mélancolique, est de passage à Paris Il lit sous un abri bus un avis de recherches de sept personnes disparues. Parmi celles-ci, Gavril Krantz, 80 ans, une tache noire à une tempe, disparu le 27 février 2015 de l’hôpital où il séjournait. Nathan est stupéfait. Il connait cet homme et il le croit mort par sa faute depuis plus de 25 ans.
Il se remémore le mois de juillet 1980 au cours duquel, alors qu’il était âgé de 9 ans, il a rencontré dans les rues de Paris ce saltimbanque, déguisé en ibis, qui souffle à l’oreille des passants des mots, des morceaux de poèmes dans des instruments improbables. Enfant solitaire et moqué à cause de ses difficultés d’élocution, Nathan va trouver en Gavril un ami qui l’ouvre à la fantaisie, à la poésie, au plaisir des mots et qui met la joie dans sa vie.
Nathan enquête auprès du commissariat et de l’hôpital. Gavril est mort peu après son départ de l’hôpital et a été retrouvé noyé. Il est enterré dans une fosse commune dans un cimetière parisien.
Grâce aux enregistrements des conversations que l’assistante sociale de l’hôpital a eu avec Gavril, Nathan va découvrir qui est son ami, né en Roumanie d’un père d’origine allemande et d’une mère tzigane.
Par des chapitres alternant présent et passé, Sylvie Germain nous raconte la vie entrecroisée des personnages profondément humains, originaux et attachants qu’elle a imaginé, Nathan, Gavril mais aussi Elda la mère de Nathan.
Dans une belle langue, riche d’inventivité, l’auteur évoque la force des liens d’amitié et leur impact sur la construction de soi ainsi que les mensonges qui donnent un «faux pli à la vie», tout en rappelant un pan de l’histoire de la Roumanie.
Un conte tout en finesse et poésie. Le lecteur est sous le charme.
Karine TUIL : Les choses humaines (Ed Gallimard – 342 pages)
Le roman de Karine Tuil, lauréate du Prix Interallié et du Prix Goncourt des lycéens, se remarque par l’intelligence, la subtilité et la violence de son récit.
Les héros sont confortablement installés dans une époque contemporaine où vie professionnelle et vie sociale alternent avec justesse. Une première partie place les personnages, le principal Alexandre, jeune diplômé de Polytechnique, est accusé de viol. Une plainte a été déposée, la seconde partie du livre déroule la tempête judiciaire et médiatique dans laquelle tous les thèmes contemporains sont évoqués. Sous la plume de Karine Tuil, le lecteur est l’accusé, la victime, l’avocat général ou l’avocat de la défense (excellent), les parents, les amis, jusqu’au verdict final. La bascule serait aisée pour l’auteure de faire pencher le lecteur pour tel ou tel protagoniste, ce n’est jamais le cas, elle maîtrise parfaitement les arguments et c’est à un rythme saisissant de vérité  que sont décrites perquisitions, convocations et confrontations. Plaidoiries criantes d’impudeur, de cruauté et de complexité orchestrées par des avocats hors pairs.
Ce roman retrace une tragédie, un crime, c’est le constat douloureux de la domination du plus fort, du plus riche, du plus instruit sur ceux qui n’ont pu atteindre leur niveau. Serait-ce un problème d’éducation, du respect de l’autre ?
Un problème à débattre le plus vite possible pour éviter qu’ainsi aillent «les choses humaines».

message everett

 Vincent MESSAGE : Cora dans la spirale (Ed Seuil – 458 pages)
Le grand tourbillon de la vie parisienne d’un jeune couple. Elle, conseillère en entreprise de marketing va se retrouver rapidement dans l’œil du cyclone où la «machine» écrase tout sur son passage, faisant valser patrons, employés, famille. Cora ne fait plus que courir après le temps, un embouteillage, une rame de métro bloquée, le timing est détraqué et c’est l’affolement et aujourd’hui le drame.
Analyse pertinente mais glaçante du monde du travail où l’humain est bousculé, broyé, c’est le monde des gagnants. La spirale descendante de Cora est racontée par un certain Tristan qui dissèque ce monde qui change à une allure hallucinante.
Le style brillant, l’enchainement haletant des évènements en font un roman extrêmement émouvant, un livre à recommander.
Percival EVERETT : Tout ce bleu. (Ed Actes Sud – 332 pages)
Traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut
Artiste peintre noir américain Kevin Pace,  la soixantaine, se consacre depuis plusieurs années à un tableau grand format qu’il garde jalousement secret comme il garde certains pans de sa vie. Mais aujourd’hui c’est sa fille qui lui livre un secret qu’il va garder pour lui. Il va donc nous faire pénétrer dans sa vie qu’il nous révèle au compte-gouttes au travers de trois épisodes de son existence qu’il nous présente par phases alternatives. Le Salvador où, à peine adulte, il a aidé son ami à retrouver son frère Tadd, drogué, déboussolé, perdu dans un pays en révolte et où règne le chaos. Chaos qui l’entraine vers des évènements dramatiques qu’il taira sous l’emprise de la sidération. Puis on le retrouvera dans un épisode parisien où déjà mâture, à l’occasion d’une exposition de peinture, il tombera amoureux d’une jeune femme de la moitié de son âge. Marié, père de famille, cachant tout à sa femme, il va prendre une décision douloureuse car inexplicable. Enfin le retour au Salvador pour un pèlerinage sur les lieux improbables de son aventure de jeunesse, lieux qui  le renvoient vers son foyer, sa famille et le grand secret qu’il va enfin révéler, ayant compris son chemin de vie et sa révélation.
Roman sur l’amour, l’engagement, l’amitié, la souffrance face au secret, la rédemption, le tout baigné dans un déploiement de couleurs jaillies de l’imagination du peintr. « Tout ce bleu » est un magnifique roman d’amour sous toutes ses formes, l’amour déclaré, l’amour tenu secret, l’amour incompris, l’amour avec un grand A.

CEYLAC demory

Catherine CEYLAC : A l’amour, à la vie (Ed Flammarion – 217 pages)
Catherine Ceylac se destinait à êtres comédienne. Elle a bifurqué vers la télé où elle fut speakerine, au temps où ce métier existait encore, puis animatrice et journaliste.
Elle reste aujourd’hui l’une des animatrices préférée des Français grâce à son émission «Thé ou café ?» qui reste l’une des émissions les plus suivies.
Journaliste, elle a côtoyé nombre d’artistes, comédiens, chanteurs, créateurs, écrivains et quelques autres dont certains sont devenus des amis ou ont gardé de belles relations avec elle. C’est pour cela qu’il y a quelques mois elle nous a offert un livre très particulier «A la vie, à la mort» (Ed Flammarion) où elle confesse des artistes sur la mort qui, qui que l’on soit, atteint tout le monde laissant des blessures, des peines, des douleurs mais qui quelquefois rend plus fort. Ce n’était pas un livre triste puisqu’il parlait beaucoup de la vie, de l’espoir…
Voici qu’elle récidive avec «A la vie, à l’amour», où elle rencontre des artistes qui lui ont fait confiance pour se raconter sur ce thème, en évoquant joies et peines d’amour, premiers rapports amoureux, amour des leurs, des femmes et des hommes avec qui chacun a fait un plus ou moins long bout de chemin, amour de leurs parents…
Dans l’amour il y a aussi la vie et la mort et chacun l’intègre à sa façon, et se raconte avec tendresse, avec humour, avec nostalgie, de Sandrine Bonnaire à Mimie Mathy en passant par Catherine Lara, Guy Savoy, Thomas Dutronc, Marc Levy…. 14 portraits qui nous émeuvent et nous font apparaître des gens qu’on croit connaître sous un autre jour.
Si Catherine Ceylac les a interviewés, elle s’est glissée dans leur ombre, effaçant les questions, ce qui rend encore plus vivant ces confidences pleines d’émotion.
L’amour, la mort… A travers ces mots, il y a la vie, tout simplement.
Jean-Claude DEMORY : Le rendez-vous du Palais-Royal (Ed Plon – 286 pages)
Jean-Claude Demory, journaliste, rédacteur en chef adjoint chez Bayard Presse et directeur de collections historiques aux éditions Hachette-Collections, a également dirigé le théâtre de la Porte de Gentilly et est l’auteur de nombreux ouvrages.
Dans ce premier roman, il s’est manifestement nourri de ses connaissances historiques et de son expérience théâtrale.
Nous sommes en juillet 1944, Antoine Lasalle, étudiant en droit âgé de 19 ans, se rend chez Sacha Guitry. Il envisage de devenir comédien et veut, avec des amis passionnés de théâtre comme lui, monter « Le Mât de cocagne », une pièce de jeunesse de Guitry, mettant en scène de jeunes gens souhaitant devenir acteurs par tous les moyens. Il plait à cet homme célèbre qui lui donne l’autorisation tant espérée à condition qu’il supervise la mise en scène. Mais les combats dans Paris en pleine insurrection mettent fin aux répétitions. Sacha Guitry est arrêté et emprisonné par les Forces Françaises de l’Intérieur. Antoine qui s’était engagé à la Croix Rouge se débrouille pour être nommé gardien de l’hôtel particulier de Guitry, rempli d’objets précieux, afin d’éviter qu’il soit pillé. Il gagne ainsi l’amitié et le soutien de l’auteur. Cependant Antoine envisage de renoncer à sa vocation théâtrale et à aller seconder sa mère dans l’imprimerie familiale qu’elle dirige seule depuis la disparition en 1942 de son mari, dans des circonstances mystérieuses. Mathilde, une libraire de dix ans son ainée dont il est l’amant, l’en dissuade et le pousse à s’inscrire dans un cours d’art dramatique.
Dans ce roman, d’une écriture classique et au scénario varié, l’auteur nous fait suivre  la progression d’Antoine dans le milieu du théâtre et du cinéma au cours de cette période troublée de l’après-guerre, ses rencontres avec les plus grands noms des acteurs de l’époque, ses réussites et ses échecs  et sa quête de l’amour.

Farmer chalandon

Sophie KHAIRALLAH & Julien AUTIER : Mylène Farmer de scène en scène
(Ed Hors Collection)

Attention… réservé aux fans… et ils sont nombreux !
En 30 ans de carrière, Mylène Farmer est devenue une icône indéboulonnable.
Le mystère autour d’elle, sa voix, son physique, son originalité et ses concerts surdimensionnés ont fait d’elle une star comme il en existait au siècle dernier. Il est rarissime qu’elle s’exprime, on ne la voit jamais hors concerts, elle vit à l’étranger. Ce qui en fait une artiste unique et que chacun de ses retours sur scène est un événement de taille.
Malgré son silence, on ne compte plus les livres qui sont sortis sur elle et malgré tout ça, elle reste mutique et secrète. Des photos personnelles, il y en a peu mais les photos de ses concerts sont toutes plus belles les unes que les autres.
Sophie Khairallah est une fans, sans contestation possible. Elle nous a déjà offert en 2008 «Mylène Farmer, le culte» (Ed Why Not) tant il est vrai qu’il y a un culte, une adoration sans bornes de cette artiste.
Cette fois c’est avec Julien Autier qu’elle nous offre un magnifique album : «Mylène Farmer de scène en scène» où ils ont collecté tout ce qui pouvait tourner autour des sept spectacles pharaoniques de la star : Photos bien sûr mais aussi coulisses en allant à la rencontre de quelques proches qui ont bien voulu parler, de ses couturiers qui l’ont à chaque fois somptueusement vêtue, coiffeurs et autres bijoutiers, tous ceux qui ont participé à ce que Mylène soit devenue un mythe.
En fait, Mylène est un peu un OVNI dans ce show business très souvent formaté. Elle, elle échappe à toute mode, à tout style, à «toute ressemblance avec une autre», qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas d’ailleurs.
Ce livre est un bel hommage à une artiste rare… dans tout le sens du terme !
Sorj CHALANDON : Une joie féroce (Ed Grasset et Fasquelle –316 pages)
Le roman débute sur une scène de braquage d’une bijouterie par quatre femmes, c’est l’arrêt sur image. Nous repartons sept mois en arrière. Jeanne la narratrice, libraire passionnée de 39 ans, mère éplorée par le décès de son enfant et le désamour de son mari nous fait partager avec beaucoup de sensibilité les affres de l’attente suite à sa mammographie.
Jeanne est une femme appréciée de tous, une image parfaite de discrétion et d’abnégation. Dans la salle d’attente, lors de la chimio elle rencontre trois femmes «ses sœurs de cancer». Toutes partagent maladie et solitude. Toutes les quatre  vont braquer une bijouterie, place Vendôme .
Et là on dérape totalement, c’est le thriller, l’aventure. L’auteur ne nous a pas habitués  à cette fantaisie qui choque après la sensibilité du début. Mais ce roman, est aussi un hommage au courage des femmes. ll est la peinture d’une femme qui reprend sa vie en main et commence à vivre pour elle-même.
La fin est surprenante et inattendue.