La Rochelle – Festival TV
Arnaud DUCRET, «Un homme ordinaire»

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A quelques semaines de son passage sur M6, le film de  Pierre Aknine «Un homme ordinaire» prend une tournure inattendue par cette nouvelle extraordinaire : huit ans après sa disparition, Xavier Dupont de Ligonnès aurait arrêté à Glasgow, en Ecosse, où il se cachait. En fait, nouveau rebondissement, ce n’est pas lui !
On se souvient de cette abominable histoire de cet homme qui, avant de disparaître, a tué sa femme, ses quatre enfants et ses chiens, les a enterrés et s’est enfui.
Anne Badel et Pierre Aknine, ont décidé d’en faire une série de quatre épisodes de 45’ qui a été présenté en ouverture du Festival de la Fiction TV à la Rochelle.
Déjà, avant sa projection, des rumeurs assez négatives circulaient sur cette série : Pourquoi faire un film de ce crime sordide, de cette tuerie abominable ? Pourquoi Arnaud Ducret pour jouer le rôle de cet homme alors qu’il représente le papa  sympa de la série «Parents mode d’emploi» ou le mec déjanté de ses one man show ?
Le soir de la représentation, après que Madénian, le présentateur de la soirée, l’ai chambré en disant que la série aurait s’intituler «Une famille formidable», une chape de plomb est tombée sur la dernière image, les applaudissements ont été très brefs et tout le monde est parti se précipiter sur le repas d’ouverture.
Il est vrai que ces deux épisodes ont mis le public très mal à l’aise, même si Arnaud Ducret en contre-emploi, y est sidérant. Mais l’événement était encore trop frais et l’enquête pas close peut-être pour en faire un film, qui plus est une série et le scénario pêche par des scènes invraisemblables, entre autre la pauvre Emilie Dequenne qui a un rôle de hackeuse qui arrive à entrer dans les arcanes des réseaux de la police et, plus forte qu’elle, fait des découvertes.
Beaucoup de choses inventées pour la circonstance, tant l’histoire est ténébreuse, mystérieuse et cet homme étant terriblement complexe.
Arnaud Ducret, alias Christophe de Salin, y est époustouflant de froideur, d’ambiguïté, jouant le feu et la glace, mais voilà, la sauce ne prend pas, d’abord parce que le film est très lent et peut-être qu’un unitaire aurait mieux servi le scénario qui est quelquefois à la limite de la caricature.
Nous avons rencontré l’équipe à la Rochelle le lendemain de la projection, déçue par l’accueil mitigé de la veille mais Ducret, fidèle à lui-même, marrant, sympa, comme on a aimé à le retrouver, a joué le jeu, aux côtés d’une Emilie Dequenne quelque peu éteinte.

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Pourquoi avoir choisi ce rôle, Arnaud et comment entre-t-on dans un tel personnage ?
Parce que, tout d’abord, c’était en contre-emploi total avec ce que je fais habituellement.
J’ai donc abordé ce rôle en lisant beaucoup d’articles et de bouquins sur l’affaire… et j’avais le choix ! J’ai surtout voulu faire exister le personnage en gommant tout ce qui pouvait ressembler à «du Ducret», car le personnage est très, très loin de ce que je fais habituellement.
En dehors du fait que je peux lui ressembler physiquement, j’y ai ajouté les lunettes, j’ai modifié ma voix. Il a fallu faire avec un personnage qui a existé et même si ça reste une fiction, la base est une histoire vraie. Il fallait que je sois sans arrêt dans la sobriété et la retenue. Mais c’est ça la vraie fonction d’un comédien, que de changer de personnalité.
Pourquoi, Pierre Aknine, avoir l’idée de cette série ?
J’ai travaillé avec Anne Badel sur ce fait divers qui a aujourd’hui huit ans et qui n’est pas terminé et mon but était d’essayer de comprendre un tel personnage qui, dans la vie, semblait être une personne ordinaire et qui, tout à coup, va passer à un tel acte. Que pouvait-on en faire ?
– Anne Badel : C’est vrai que, psychologiquement, il est difficile à comprendre et ce qui nous intéressait c’était d’essayer – je dis bien essayer – de comprendre comment un homme «normal» peut arriver à commettre un acte aussi barbare.
Arnaud, comment ressort-on d’un tel rôle ?
D’abord il existe et jusqu’à nouvel ordre on ne sait toujours pas s’il est mort ou vivant. Il faut donc faire avec les éléments que l’on a à notre disposition. Mais je l’ai abordé comme n’importe quel rôle même si c’est un personnage complexe et que moi, père, je me suis posé beaucoup de questions dont comment peut-on arriver à tuer ses propres enfants. Ça semble impensable et indéfendable, d’où l’ambigüité du personnage. Peut-on lui trouver des excuses ?
Indépendamment de tout ça, il ne faut pas oublier que c’est un rôle et que, heureusement pour moi, j’en sors indemne sinon il serait difficile de jouer des méchants, des tueurs, des fous… La seule scène qui m’a mis très mal, à l’aise c’est lorsque je tue mon fils. Ça a été un moment difficile car je me suis vu avec mon fils. Heureusement, sur un plateau, on a le rire pour exutoire et on a beaucoup ri sur le plateau. Il fallait ça pour désamorcer le stress, cette ambiance parfois glauque. On n’aurait pas pu tourner autrement.
Mais il m’a fallu beaucoup de concentration. J’ai d’ailleurs travaillé mon rôle avec une coach remarquable, Patricia Palin, qui m’a beaucoup aidé.

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Pierre Aknine, pourquoi ce choix d’Arnaud Ducret qui est à l’opposé du personnage ?
D’abord parce que je trouve qu’il lui ressemble physiquement et ça m’a beaucoup aidé à construire le personnage. Une fois les lunettes mises, j’ai su que c’était lui.  Et justement, parce qu’il en était à l’opposé et je dois dire qu’il n’a pas «joué» mais «incarné»
Arnaud : J’avoue que j’ai d’abord été surpris de son choix mais je me suis très vite dit que c’était un rôle pour moi et… que ça allait être chaud ! C’est quand même excitant de jouer un personnage si complexe. C’est plus agréable que de jouer un professeur de Karaté ! Ce qu’il a fait est détestable mais il a ses raisons, que l’on ne connaît pas. De plus, dans la vie, il était peut-être un homme très sympathique Il a plusieurs couleurs… Il a fait quelque chose d’inimaginable, d’autant qu’il aimait ses enfants. Ça dépasse la raison.
Anne Badel, vous êtes psy, est-il possible de s’attacher à un tel personnage ?
Non, on ne peut ni l’aimer ni l’excuser, c’est certain. On peut juste essayer de le comprendre et savoir ce qui peut amener à un tel geste. Ce qu’il fait est horrible mais a ses raisons. Il y a le poids de la mère, de la religion, d’une vie ratée, d’humiliations… Ce qui n’empêche que ça dépasse la raison.
Emilie Dequenne, vous avez un rôle un peu en retrait mais très important puisque vous faites des découvertes qui vont servir à la police. Parlez-nous de ce rôle ?
Je joue une hackeuse qui a permis de découvrir des choses. Au départ, dans la vraie histoire, c’est un hackeur et on n’en sait pas beaucoup sur lui. Et puis, la rencontre avec le personnage est inventée, suite à un accrochage de voitures qui aurait pu être sans importance. Mais, découvrant le drame, elle reconnait cet homme et décide d’en savoir plus. Et ça va devenir obsessionnel.
J’ai été confrontée à un exercice, disons technique et original puisque mon partenaire principal était… un ordinateur !
C’était un challenge et c’est ce qui m’a plu sans compter qu’elle a l’obsession de comprendre, de découvrir qui est cet homme. J’ai dû construire un personnage solitaire qui a une énergie farouche. C’était à la fois très amusant et très fatigant !»

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Antoine Dulery félicite Arnaud Ducret après la projection

Voilà. Aujourd’hui bien sûr, beaucoup de questions se posent encore, que «le héros» a failli refaire surface. On peut imaginer la réaction des scénaristes. Comme l’a également dit Madénian, peut-être ce soir est-il dans la salle pour se découvrir sur l’écran ! L’histoire n’est donc pas terminée et, n’ayant vu qu’un épisodeà la Rochelle, on est curieux de savoir ce que nos deux scénaristes ont écrit pour la suite.  L’avenir nous le dira.

Propos recueillis par Jacques Brachet