C’est toujours avec un extrême plaisir que j’entends la voix de mon amie Macha Méril.
Cette fois ce fut un peu plus long qu’à l’habitude à cause du décès de son époux Michel Legrand. Mais je la retrouve, certes triste, mais comme à l’accoutumée avec une énergie folle. Elle en a toujours eu beaucoup mais elle est encore plus forte qu’avant. Elle me l’explique
« C’est vrai, tout le monde me dit : « Ah la la, que vous devez avoir de chagrin ! ». C’est vrai que j’ai un chagrin immense et qu’il me suffit d’un souvenir, d’un bout de chanson, d’une évocation pour que je tombe en larmes. Mais je me suis découvert une force que je n’avais jamais eue.
C’est à dire ?
Tu sais, les deux dernières années, Michel était très fatigué. Malgré cela, il avait toujours plein de projets mais il n’avait plus d’énergie pour les réaliser. Alors aujourd’hui, je suis obligée d’avoir cette énergie pour lui.
Je suis entourée de gentillesse, de compassion car tout le monde aimait Michel, chacun a une chanson, une musique de film qui se rattache à un souvenir. Il avait une grande force et cette force, il me l’a communiquée car il n’avait pas seulement du talent, du génie, il avait le don de ne pas se faire bouffer par les autres, ce qui m’a toujours manqué. Cette espèce d’autorité qui nous manque souvent, à nous les femmes, il me l’a passée.
« Sois libre, prends tes responsabilités sans t’appuyer sur quelqu’un. Si tu fais des erreurs, tu ne t’en prendras qu’à toi », me disait-il.
Et cette force tu l’as acquise ?
Oui, même si j’étais sous sa protection, je l’ai acquise. Il m’a imprimé quelque chose qui fait que je ne suis plus vraiment la même. Pour moi, il est toujours là, je l’entends me dire « Fais ci, ne fais pas ça… ». Et il m’a laissé une grande responsabilité, un projet que nous avions ensemble et que je veux, je dois mener à bien.
Ce projet, quel est-il ?
Un truc colossal : créer une fondation, un festival de musique de films, auquel j’ajouterai un prix Michel Legrand.
Il ne voulait pas d’un musée, il trouvait ça plutôt barbant, il n’a jamais voulu faire de master class alors qu’on le lui demandait tout le temps car il pensait que ceux qui le faisaient, c’était plus pour parler d’eux que pour enseigner. Alors que la fondation, c’était pour aider les artistes, les faire progresser et les faire connaître.
Cette fondation devrait naître où et quand ?
Au départ il voulait que ce soit à Monaco où il vivait mais il n’a pas trouvé d’adhésion. On aurait pu la faire aux Etats-Unis car nous avons eu et j’ai encore nombre de propositions. Mais Michel fait partie du patrimoine musical français et il doit rester en France.
Lors du merveilleux office orthodoxe qui s’est déroulé à sa disparition, Brigitte Macron m’a dit : « Qu-est-ce que je peux faire pour vous ? ». C’était à la fois inattendu et inespéré !
Nous avons alors trouvé un chateau à Montargis où l’on va créer la fondation et le festival qui aura lieu en juillet 2020. C’est un château dans les vignes où seront disséminées des salles, des résidences, des lieux d’enregistrement, de répétitions, de rencontres. Bien sûr, ça se fera petit à petit mais ce sera une sorte de petite villa Médicis pour les musiciens. Toutes les musiques se côtoieront, et il y aura des échanges, des créations… Chacun pourra travailler ensemble et bien sûr, l’œuvre de Michel sera omniprésente.
Justement, en dehors de tout ce qu’on connaît, a-t-il laissé des oeuvres inachevées, non enregistrées ?
J’ai découvert la caverne d’Ali-Baba ! Des centaines de partitions inédites, de musiques de films, d’opéras, d’œuvres diverses, quelque 350 chansons, tout cela sur de grandes feuilles écrites avec ses pattes de mouche. C’est magnifique. Le ministre de la Culture m’a proposé de tout numériser afin que cette oeuvre soit abordable par tous. Et j’ai pour but de proposer chaque année une création. Il était tellement prolixe, tellement imaginatif !
Michel avait des enfant. Comment ça se passe avec eux ?
Très bien. D’abord Michel ma confié la gestion de son oeuvre et m’a nommé sa légataire universelle. Les enfants sont très contents car ils me font confiance, ils savent que j’en suis capable. Lorsque nous nous sommes connus, voici 50 ans au Brésil, c’est la musique de jazz qui nous a rapprochés. Evidemment, les droits seront partagés.Tout ça va avoir un coût !
Bien sûr et je suis à la chasse aux milliardaires, aux sponsors, beaucoup aiment la musique de Michel et je vais tenter de lancer un appel à subvention.
Je veux être digne de la confiance que Michel a mise en moi et de la mission dont il m’a chargée. C’est un vrai bonheur et c’est passionnant. Et j’ai confiance, les bonnes causes ne sont pas si nombreuses !
Je me dis que si cette fondation peut aider de beaux talents, de beaux musiciens qui ont des difficultés à se faire connaître, à travailler, car les maisons de disques aujourd’hui travaillent de plus en plus avec des machines, le pari sera gagné.Bon, mais avec tout ça, vas-tu continuer à « faire l’actrice » ?Bien sûr et plus que jamais. Déjà, je termine un livre, je vais passer dans un télé-film sur France 2 le 8 mai et je joue dans une pièce de théâtre cet été dans quelques festivals.
On commence par quoi ?
Le livre, qui sortira en septembre. C’est un roman russe qui s’intitule « Na zdarovie », ce qui veut dire « Santé, bonne chance ». Ca parle de l’émigration des Russes en France que j’ai pu observer et connaître à travers ma famille (elle est née princesse Maria-Magdanena Vladimirovna Gagarine), je parle de tous les problèmes qu’ils ont rencontrés. Je viens d’ailleurs d’être invitée au festival de cinéma de Moscou pour un hommage à Michel Deville avec qui j’ai tourné « Adorable menteuse ». Il a 94 ans et il a été un peu oublié et maltraité en France. Et c’est la Russie qui lui rend hommage ! J’ai demandé à la Cinémathèque d’en faire autant
Passons à la télévision !
Tu découvriras, mercredi 8 mai sur France 2 « L’enfant que je n’attendais pas » réalisé par Bruno Garcia, avec Alix Poisson et Bruno Solo.
Johanna (Alix Poisson) a fait un déni de grossesse et se débarrasse du nouveau né. Jugée et rejetée par tous, elle va devoir répondre de son acte et entamer un parcours de résilience et de reconstruction, qui passe par la découverte du lien maternel avec cet enfant inattendu.
Il y a longtemps que je n’avais pas tourné, d’abord parce que ma vie avec Michel était bien remplie sans compter que les rôles qu’on me proposait ne me convenaient pas.
Là, j’ai accepté car j’ai autant aimé le sujet que le rôle. C’est un scénario courageux qui parle d’un sujet encore tabou : le déni de grossesse et devant ce fait, la justice est aussi démunie que la mère. Le sujet est fort. En plus, j’aime beaucoup Bruno Solo et j’étais ravie de tourner avec lui. Quant à Alix Poisson, je l’ai découverte et c’est une excellente comédienne.
Et puis, j’aime beaucoup mon rôle qui n’est pas une mère et grand mère traditionnelle. j’en ai marre de ces clichés de « mamies » de mon âge car aujourd’hui, elles s’assument vivent le temps présent, ont des activités, une belle vitalité, sortent, voyagent… J’ai voulu montrer tout ça, y introduire ma personnalité et je l’ai proposé au réalisateur qui a été OK.
Tu verras, tu vas découvrir un joli film.
Enfin, le théâtre !
C’est « La légende d’une vie », la seule pièce écrite par Stefan Zweig, pièce extraordinaire et inédite car elle a une histoire originale et maudite, qui l’a incité à ne plus en écrire.Raconte
D’abord, il pensait ne pas être un bon dramaturge. Elle se joue à Hambourg en 1910 sans succès sans compter qu’un des acteurs meurt après avoir reçu un projecteur sur la tête et un autre tombe dans la fosse d’orchestre. Du coup elle disparaît et lui aussi part avec sa seconde femme au Brésil où il se suicidera. Sa première femme s’empresse de faire disparaître la pièce car elle se calque un peu trop sur leur propre vie. Elle reparaît voici trois, quatre ans et Patrick Poivre d’Arvor en fait une adaptation peu convaincante. C’est Christophe Lidon qui prend le relais, l’adapte en la raccourcissant et la met au goût du jour. Le texte et le sujet sont formidables : l’histoire d’un jeune auteur (Gaël Girodeau) qui vit dans l’ombre de son père, poète connu internationalement et sa mère (Natalie Dessay) qui tourne autour du culte de son mari quant arrive une femme (moi) qui apporte une nouvelle qui va perturber l’ordre familial.
C’est toi qui y a entraîné Natalie Dessay ?
Oui, elle avait enregistré un magnifique disque avec Michel mais elle avait envie de faire du théâtre. Elle hésitait car elle avait peur de ne pas être capable d’apprendre un texte long, de jouer tous les soirs alors que ce n’est pas le cas à l’Opéra. J’ai su la persuader car je savait qu’elle avait un immense talent, l’habitude de la scène et qu’elle est une immense travailleuse. Elle y est magnifique.
Tu pourras le découvrir puisque nous jouerons la pièce le dimanche 4 août au festival de Ramatuelle. Il y aura aussi quelques autres festivals (Fréjus, Gordes, Sisteron, Carcassonne…)
Et puis nous partirons en tournée pour trente dates. »
Comme on le voit, Macha a de la ressource et de l’énergie à revendre et l’on va suivre avec attention tous ses formidables projets qui vont lui permettre de Garder le cap et de penser à l’avenir.
Propos recueillis par Jacques Brachet