Six-Fours – Six N’étoiles
« Prochain arrêt : Utopia »… Une aventure humaine

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Au départ Vio-Me est une filiale d’une grande entrepris BTP de carrelages et de colle-ciment qui périclite et entraîne avec elle la petite entreprise de Thessalonique en Grèce.
Les ouvriers s’éparpillent alors pour chercher du travail ailleurs. Reste un noyau dur de 70 hommes, puis 40, puis 15 qui ont décidé de ne rien lâcher, d’occuper l’usine et de continuer vaille que vaille, malgré toutes les embûches qu’ils vont rencontrer, dont celle de gérer une équipe humainement et financièrement.
C’est leur seul but, leur seule issue, c’est une utopie. Mais une utopie nécessaire à leur survie, dans un pays où la crise est toujours omniprésente.
Du coup, ils changent leur façon de faire et décident de créer une ligne de produits d’entretien totalement naturels, lessives, savons, produits de vaisselle…
Et avec acharnement, ils y arriveront, montant une coopérative et restant dans « leur » usine, malgré l’épée de Damoclès qui plane au-dessus de leur tête : la vente aux enchères de celle-ci pour éponger les dettes. Ainsi vivent-ils depuis trois ans dans l’incertitude, mais sans jamais baisser les bras, ayant trouvé autour d’eux une entr’aide, une solidarité car ils ont ému la Grèce entière et aujourd’hui leurs produits sont exportés en Europe (France, Belgique, Allemagne…)
Cette magnifique aventure humaine en a donc ému plus d’un, dont un réalisateur, Apostolos Karakasis qui avec l’aide de son ami producteur, Marco Gastine, a décidé, dès le départ de l’aventure, de réaliser ce documentaire « Prochain arrêt : Utopia » et de l’accompagner en Grèce et dans certains pays d’Europe, dont le France et, bien entendu, le Six n’étoiles de Six-Fours, toujours partant, avec la complicité de l’association « Lumières du Sud » pour nous offrir ce genre de cinéma-vérité ,accompagné par Marco Gastine, qui en dehors du fait qu’il présente le film, emmène avec lui les fameux produits Vio.Me dont la vente va tout droit à ces travailleurs acharnés qui ont mis leur cœur et leur vie dans cette aventure bouleversante d’humanité.
Marco Gastine est réalisateur et producteur. De mère grecque, de père français, il est né à Paris, a entrepris des études d’architecture. Le hasard a fait que, parti pour trois mois découvrir le pays de sa mère… il n’en n’est plus reparti et y vit depuis 40 Ans, ayant changé de route pour devenir réalisateur puis producteur.

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« Je suis – m’avoue-t-il en riant – un étudiant en archi réadapté ! Très jeune, je rêvais déjà de cinéma et le hasard a fait qu’un jour j’ai sauté le pas. Mais l’architecture n’est pas si loin du cinéma en fait, ce sont deux arts impurs et grâce à l’archi j’ai appris le processus de création que j’ai réutilisé au cinéma. Surtout dans le documentaire, la similitude étant que l’on part sur un projet mais qu’au fil de la réalisation, beaucoup de choses changent et souvent le final est autre de ce qu’on imaginait. De plus, ce sont deux métiers de collaboration car pour chacun il faut beaucoup de gens autour de soi pour réaliser un projet.
De réalisateur, vous êtes donc passé à la production ?
Oui et pour plusieurs raison. D’abord j’ai décidé de produire mes propres films car j’en avais assez d’aller frapper aux portes pour arriver à mes fins. Après, j’en ai eu assez d’être toujours seul avec moi et j’ai décidé de produire pour les autres. Ca a d’abord été un hasard qui est finalement devenu une nécessité et depuis vingt ans je réalise et produit des documentaires, j’ai longtemps travaillé pour la télévision grecque avant qu’elle ne ferme ses portes suite à la crise.

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Pourquoi le documentaire plutôt que la fiction ?
J’ai essayé mais le cinéma grec est un milieu très fermé qui, alors, acceptait mal « les étrangers » même si je suis « demi-grec » et si j’y vis depuis des années. Et puis, le documentaire me convenait parce que je pouvais raconter des histoires réelles. La fiction, d’autres le font mieux que je ne l’aurais fait. Sans compter que les gens que je filme sont souvent de meilleurs acteurs que les vrais ! Ils sont plus spontanés, ils sont vrais, ils ne jouent pas, ils sont et leurs répliques spontanées sont souvent inénarrables ! Je suis passionné par leurs histoires qui sont une richesse inépuisable.
Comment trouvez-vous vos sujets ?
Il suffit de regarder autour de soi et les sujets s’imposent d’eux-mêmes. Je rencontre des gens qui me parlent d’autres gens et ce qui est à la fois excitant est difficile c’est qu’on ne peut pas écrire de scénario : on prend une histoire et on va la suivre sans savoir quand ni comment elle va se terminer. C’est du cinéma-vérité, les choses se passent devant les caméras. Malgré cela, j’écris beaucoup car j’ai besoin d’avoir un guide pour mieux comprendre l’histoire qui se joue devant moi.
Le documentaire est en fait un art à part. Quelle différence avec le reportage télé ?
L’art du documentaire c’est à la fois de savoir ce qu’on veut faire et s’adapter à la réalité. C’est comme l’art de la guerre : on a un plan d’attaque, un dispositif , et puis il y a un général qui mène l’affaire mais qui, au fil du temps, doit s’adapter à la réalité sur le terrain. Pour un reportage c’est différent car d’abord, ça ne dépasse pas, en principe, les 45 minutes et puis l’approche est autre car on écrit avant de mettre en image et l’on est là seulement pour informer et donner son point de vue de journaliste. Le documentaire, lui, c’est une histoire dramatique avec des personnages qui sont porteurs de l’histoire. Pour le reportage, on montre, pour le documentaire, on démontre.

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Marco Gastine avec les équipes Six N’étoiles-Lumières du Sud

Et avec la fiction ?
Autre façon de faire : il y a une histoire écrite de bout en bout dont on connaît la fin. On sait donc d’avance ce qu’on va tourner . Une fois le scénario écrit, il faut le suivre même si souvent, on ne tourne pas les scènes dans l’ordre. Pour le documentaire, on ne connaît pas la fin et l’on est obligé de filmer dans l’ordre l’événement qui se déroule au jour le jour. Après, au montage, libre à nous d’interverser les scène dans une certaine cohérence.
Parlons donc de ce film « Prochain arrêt, Utopia »...
Je travaillais alors pour la télévision grecque où je réalisais des reportages sous le titre « Doc Ville » et j’étais toujours à la recherche d’un sujet. Je connaissais Apostolos qui avait été monteur sur l’un de mes films et je lui dit que je suis en quête de sujet. Nous sommes alors au début de la crise gracque. Quelques temps après il me parle de cette usine, le sujet m’intéresse mais je vois très vite qu’il déborde le cadre de ma série. Nous décidons alors d’en faire un film d’une heure trente pour le cinéma, lu,i réalisant, moi, produisant.
Cela s’est fait sans problème avec les travailleurs ?
Certains n’étaient pas chauds pour qu’on les filme et puis ils ont dit oui avec une condition : voir le film une fois monté et leur conseil d’administration déciderait alors de l’accepter ou non, d’enlever des scènes pour lesquelles ils ne seraient pas d’accord. Autre limite : ne pas les filmer dans leur intimité. On a joué le jeu malgré quelques inquiétudes, surtout pour ceux qui avaient mis l’argent sur le film. Et au final ils ont accepté le film tel qu’il était. Je vous avoue qu’on a été soulagé !

Depuis, Apostolos et Marco accompagnent le film partout, faisant connaître cette histoire exceptionnelle car c’est la seule entreprise en Grèce qui a réalisé ce tour de force, beaucoup d’autres ayant jeté l’éponge. Aujourd’hui, toujours dans l’incertitude de se voir retirer l’usine, malgré le président actuel qui, durant sa campagne, leur avait promis de les aider et qui jusqu’ici, ne l’a pas fait.
Vio.Me est en plein développement, la solidarité est toujours là dans plusieurs pays dont le France, l’entreprise a un site Internet qui rayonne partout et aujourd’hui leur réseau de vente s’étend en Europe, proposant des produits naturels qu’ils ont affiné depuis, s’étant structuré et continuant une lutte de tous les jours, soudés et sans patron, avec pour maxime : « occuper, résister, produire ». Et ça marche !

Jacques Brachet