Charles BERLING… Il écrit aussi !

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On connaît le comédien de théâtre et de cinéma, le metteur en scène, le chanteur, le directeur de deux théâtres aujourd’hui, le Liberté, Chateauvallon… On connaît moins l’écrivain même s’il nous a déjà offert deux livres : « Les joueurs » (Grasset) et « Aujourd’hui, maman est morte » (L’ai Lu/Librio).
Le voici avec un troisième livre, qu’il dédicacera vendredi et samedi sur la Fête du Livre de Toulon : « Un homme sans identité ». (Ed Le Passeur)
Difficile de définir ce livre qui est en partie auto-biographie et essai, mais aussi fait de réflexions sur le monde d’aujourd’hui et sur son métier – ses métiers – d’artiste. Il le dit lui-même, c’est un livre quelque peu incohérent, sans début ni fin, c’est le cheminement de son esprit qui lui fait prendre, au cours de l’écriture, des chemins de traverse.
C’est pourtant un livre magnifiquement écrit, pensé, quelquefois émouvant, parfois plein d’humour. Un livre vrai où il se… livre sans flagornerie, sans être un donneur de leçons, quelque peu égocentrique parfois mais ça, c’est le lot de tout comédien, et surtout terriblement sincère et vrai.
Derrière cet homme, cet artiste toujours en mouvement, se retrouvant toujours où on ne l’attend pas, il y a un être profond, un homme tout simplement, que, même si je le côtoie très souvent depuis son retour à Toulon, je découvre à chaque rencontre et surtout cette dernière, pour parler de ce livre.

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« Charles, un homme sans identité… ou qui en a trop ?
Trop ? pourquoi ? Non, je dirais plutôt, un homme aux multiples identités et affinités, ce qui est le lot de tout comédien. De tout homme je crois.
Pourquoi ce livre ?
Ce livre est pour moi avant tout un plaisir littéraire. J’ai ce goût d’écrire, l’envie de parler de choses qui me tiennent à cœur. Je n’ai pas voulu parler que de moi mais de ce qui se passe autour de moi, des choses de la vie. J’ai préféré ça plutôt que de proposer une autobiographie classique.
Tu mêles ta vie, tes expériences, tes pensées, ton métier, ton intimité…
Oui, c’est tout cela que j’ai voulu raconter, avec beaucoup d’humilité et d’émotion parfois. Ce livre correspond à ce que je ressens en tant que personne et que veux faire ressentir. Au dessus de tout ça, il y a l’impersonnel, Simone Veil l’explique très bien en une phrase et c’est pourquoi j’ai voulu la mettre en exergue :
« Ce qui est sacré, bien loin que ce soit la personne, c’est ce qui, dans un être humain, est impersonnel. Tout ce qui est impersonnel dans l’homme est sacré, et cela seul »
Tout est lié à l’universalisme. Je travaille à considérer celui-ci et à cette mission de liberté que je me suis donnée avec, justement, le Liberté et Chateauvallon.

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Tu dis toi-même que ce livre est incohérent…
Dans la forme, j’ai cherché à faire un livre fragmenté, comme un kaléidoscope. J’ai aimé l’écrire comme j’aurais écrit un roman. En même temps, paradoxalement, ce livre m’a amené à réfléchir sur mes implications dans le monde socioculturel de cette région, qui est la mienne et me tient beaucoup à cœur. Et cette réflexion m’a aussi amené à considérer mes responsabilités, les valeurs que je défends. Aujourd’hui, le monde est malmené, fragilisé et j’ai voulu trouver dans mes propos un lien, le plus universel possible.
Tu dis encore « Depuis que je joue, je peux être moi-même ». Paradoxal, non alors que lorsque tu joues tu n’est pas toi-même !
Pas tant que ça ! Je me suis posé la question que tout le monde se pose : qu’est-ce qu’être soi-même ? J’ai choisi un métier ludique puisque « je joue » et en jouant, je suis le personnage que j’incarne mais pourtant ça me ramène à moi : comment, à quel endroit suis-je impliqué dans le rôle que j’ai choisi ? Lorsque je joue, je ne cherche pas à séduire, je ne veux pas me mettre de limite intellectuelle. En tant qu’acteur, je veux être le plus honnête possible. C’est quelquefois difficile de s’affronter soi-même par le biais d’un rôle.
Je te cite encore : « Chaque rôle est un ami qui part » Restes-tu vraiment orphelin de tes rôles ?
Aujourd’hui, ayant perdu mes parent, je suis un orphelin. C’est toujours difficile d’affronter la disparition des êtres chers, avec qui on a vécu. Ca n’empêche qu’ils sont toujours là. Pour un rôle, c’est un peu pareil. On s’en imprègne, on s’y attache et un jour, il faut s’en séparer. Mais il reste toujours là, quelque part. C’es à chaque fois un petit deuil qu’on vit.
Tu ne restes jamais sans un projet, tu les enchaînes… En fait, qu’est-ce qui fait courir Berling ?
La curiosité, la passion, le partage et surtout pas la consommation ! J’ai envie de vivre à fond avec mes congénères. Et tous ces chemins de traverse que je prends, toutes ces tentions, me fabriquent au moment présent. Je suis toujours en mouvement mais nous sommes un mouvement perpétuel, l’émotion c’est le mouvement, c’est l’art de l’acteur qui est toujours en questionnement.

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Tu écris encore que l’art dramatique est la préfiguration de la mort… C’est violent quand même ?
Mais non, c’est la nature ! L’art dramatique a un rapport très intéressant avec la mort. C’est le purgatoire qui amène une grande conscience entre la vie et la mort. Je trouve ça très intéressant et même joyeux. Lorsqu’on tourne, on n’est plus dans la vraie vie, il y a un décor qui n’est pas un vrai décor avec des personnages qui ne sont pas des vrais personnages. On se retrouve entre deux mondes. C’est ça que je veux dire.
Ton livre est illustré de tes propres dessins… que je trouve quelque peu torturés !
A bon, tu trouves ? Moi je trouve qu’ils ressemblent à la vie, quelquefois joyeux, quelquefois tristes, voire dramatiques. C’est aussi ma vie et lorsque je dessine ou peins, je suis dans une certaine humeur, que ce soient des moments sombres ou joyeux. Je ne crois pas que ce soit l’expression d’une torture ! Ca vient comme ça, par pulsion et je ne veux pas me censurer. L’art c’est être honnête par rapport à soi et aux autres. Tout n’est jamais tout rose ou tout noir, c’est un miroir de ma vie, et c’est là toute la complexité. Regarde le tableau de Picasso « Guernica » : il y raconte le monde dans toute sa complexité.
Ces dessins, je pense, correspondent parfaitement au sujet du livre »

Propos recueillis par Jacques Brachet