D’après vous, quel rapport y a-t-il entre Anastasie, la méchante belle-sœur de » Cendrillon », la princesse Fiona de « Shreck », Lady Pénélope de « Thunderbirds », la princesse Leïla de « Stars War », Cameron Diaz ou encore la mémé de Titi, l’ennemi de Grosminet ?
Eh bien il y a… une voix ! Et c’est celle de Barbara Tissier.
Comédienne, directrice artistique spécialisée dans les doublages, elle fait partie de ces artistes de l’ombre dans le cinéma. Ceux qu’on ne voit pas, qui travaillent « off » écran et sans qui un film n’existerait pas.
Barbara est une femme belle, lumineuse, souriante, volubile et la rencontrer est un véritable plaisir tant elle est avenante et passionnée par son métier… Ses métiers devrais-je dire car évidement, elle est dans l’ombre lorsqu’elle double ou lorsqu’elle est elle-même directrice artistique mais elle sort de l’ombre lorsqu’elle devient comédienne au théâtre.
« Mais – nous confie-t-elle tout de go -pour faire du doublage, il est essentiel d’être comédienne car, même si l’on ne nous voit pas, la gestuelle est importante pour nous et pour incarner un personnage. Il faut savoir s’approprier, sinon la voix, du moins la personnalité du comédien dans le rôle qu’il joue dans le film. Et puis, lorsque l’on n’est pas « une star », il faut avoir plusieurs cordes à son art. Ce que je fais.
Comment, de comédienne, es-tu venue au doublage ?
Par hasard, grâce à un chercheur de voix de chez Disney. Il m’a vue et donc entendue jouer au théâtre, ma voix l’a intéressé et il m’a pistée un temps avant de me proposer de doubler la série « Felicity ». Puis il y a eu « Tarzan » et bien d’autres. Disney est une maison fidèle !
Quelles qualités faut-il pour faire ce métier très particulier de directrice artistique ?
Il faut savoir écouter les voix des comédiens, donc aller les voir jouer afin d’avoir en tête un panel de voix et repérer la voix qui va s’adapter à l’acteur qui va être doublé. Qu’elle s’approche bien sûr de sa voix mais aussi de sa personnalité, de son comportement, de l’âge du comédien. Bien sût il ne faut pas s’arrêter au physique car bien souvent il n’y a rien de commun physiquement entre les deux. Mais il faut qu’il soit crédible et qu’il se rapproche du personnage. C’est pour cela qu’il est important qu’il soit comédien. Et surtout, qu’il doive accepter d’être guidé car d’abord, pour cause de confidentialité, il ne peut pas voir le film avant donc il a peu de temps pour incarner la voix du personnage, il faut lui expliquer ce qu’on attend de lui. Je suis donc là pour lui expliquer l’enjeu de la scène qu’il doit doubler.
Ça ne doit pas toujours être facile à manager ?
Si le comédien joue le jeu et qu’il est un bon comédien, il est très vite au fait de ce qu’il doit faire. Car lorsqu’il double, il est seul. Lorsque vous voyez deux comédiens côte à côte dans des reportages, c’est de la triche, car dans le film, ils ne sont pas côte à côte, les voix ne viennent pas du même endroit, elles sont donc chacune enregistrées à part. Puis il faut prendre en compte les bruitages, la musique qui vont venir s’intégrer, d’où un travail incroyable pour l’ingénieur du son et le directeur artistique.
S’ajoute aussi une autre difficulté lorsque c’est un film d’animation : la voix du personnage créée, il faut que le comédien la garde d’un bout à l’autre du film.
Y a-t-il des comédiens qui n’y arrivent pas ?
Ca arrive, surtout chez des gens qui ont été choisis pour mille raisons et qui ne sont pas de vrais comédiens. Certains n’arrivent pas à être naturels pour dire un texte qui n’est pas le leur. Alors là, ça devient une grand art pour le mixeur de voix.
Les langues étant différentes, il doit y avoir un sacré travail de traduction ?
Je n’emploierais pas ce mot de traduction mais d’adaptation. Car c’est en fait un vrai travail d’auteur. Il faut que l’idée, le sujet restent les mêmes mais que l’adaptation soit crédible et en même temps que les mots se rapprochent le plus possible du mouvement des lèvres du comédien sur l’écran. Du coup le mot important de la phrase n’est souvent pas au même endroit. Il faut être très vigilant , ce qui fait que ce n’est pas un simple travail de traduction.
Comment devient-on la voix officielle de Cameron Diaz ?
(Elle rit) On ne l’est vraiment jamais. J’ai eu la chance de pouvoir la doubler plusieurs fois, depuis dix ans, mais il suffit que le producteur ou même le réalisateur ou encore le distributeurs aient une autre voix en tête et vous êtes remplacée. Tout cela est très éphémère. C’est pour ça aussi qu’il ne faut pas s’arrêter sur un seul objectif.
Est-ce qu’en faisant ce métier, il n’empiète pas sur ton métier de comédienne ?
J’essaie à ce que cela ne se produise pas. D’abord, lorsqu’on n’est pas une star, il faut pouvoir vivre de ce métier donc il vaut mieux avoir une corde à son arc. Dans mon cas, je ne cherche pas à être « célèbre » ou « star », je veux surtout pouvoir vivre de ces différents métiers, qui sont de vraies passions. C’est pour ça que je fais aussi bien du théâtre que de la danse et du chant. J’ai beaucoup appris en pratiquant tous ces arts.
Tu as commencé jeune, je crois ?
Oui, j’avais 10/12 ans. Je prenais des cours de danse salle Pleyel lorsque Jean-Luc Godard m’a remarquée et m’a engagée sur son film « Passion ». Trois mois de tournage pour dix minutes à l’image ! Mais je me suis aussi post-synchronisée et du coup, la passion est né pour les deux métiers ! Alors que je m’égarais dans des études scientifiques, je rêvais de théâtre. J’ai donc lâché ces études pour faire une maîtrise de théâtre. J’ai eu la chance d’être encouragée par mes parents.
Tu fais du doublage et tu diriges aussi des doublages… être juge et parti ne te donne pas des velléités de t’offrir un rôle dans un doublage de film ?
Jamais ! Je n’ai jamais mélangé les deux. Ou je suis prise pour un doublage et je ne m’occupe pas du casting, ou je suis directrice artistique et là, je ne me donne jamais un rôle. D’abord, c’est une question d’éthique et puis, je ne pourrais pas être juge de mon propre travail.
Aujourd’hui, beaucoup de comédiens connus font du doublage. C’est du travail en moins pour des gens comme toi ?
Pas tant que ça car il y a du travail pour tout le monde et puis, travailler avec de grands comédiens est très enrichissant. Il y a de belles rencontres, comme Charles Aznavour, José Garcia, Romain Duris… Il y a des rencontres surprenantes comme Isabelle Adjani. Mais tous sont de grands professionnels et nombre d’entre eux font ça épisodiquement et se rendent compte avec humilité que c’est un vrai travail, pas si facile que ça ! D’ailleurs, il faut être psychologue, leur donner confiance en ce métier que, pour certains, ils maîtrisent peu.
Avant, on n’osait pas dire qu’on faisait du doublage car ça voulait dire que le comédie qui était derrière faisait ça parce qu’on ne lui proposait rien d’autre. Aujourd’hui, grâce à eux, ce métier, que certains font à temps plein, a pris ses lettres de noblesse et est considéré comme un vrai métier.
Théâtre, doublage… Où va ta préférence ?
Je te répondrai que les deux me sont nécessaires, que j’aime faire les deux car j’aime varier les plaisirs. C’est vrai que la scène est importante pour moi mais les deux boulots nourrissent (intellectuellement s’entend !) la comédienne que je suis.
Si tu es là aujourd’hui, au Six N’Etoiles, c’est que tu viens présenter deux films sur lesquels tu as été directrice artistique…
Oui, il s’agit de « Les animaux fantastiques et « Les crimes de Grindelwald » écrits et produits par JK Rowling, l’auteure de « Harry Potter », réalisés par David Yates, dont je me suis occupée du doublage, sauf des quatre comédiens principaux choisis par la production. J ‘ai beaucoup planché, fait beaucoup d’essais. Après un premier choix, je suis allée voir jouer les comédiens pour voir s’ils correspondaient bien à ce que je cherchais, leur personnalité, ce qu’ils dégageaient. Après cela, nous avons travaillé à plusieurs car il ne faut pas oublier que c’est un travail d’équipe.
Mais encore ?
D’abord, il faut être passionnée, avoir beaucoup d’énergie et d’enthousiasme, aimer les comédiens car le facteur humain est important, savoir s’adapter à toutes situations, être sincère, savoir se réinventer. C’est beaucoup d’investissement. »
Barbara Tissier, Jerôme Quaretti, Noémie Dumas, directeurs du Six N’étoiles
Et elle a tout ça, Barbara. D’ailleurs lorsqu’elle en parle, elle a les yeux qui pétillent, elle est intarissable et l’on pourrait y passer la nuit à l’écouter. On n’a d’ailleurs pas vu passer le temps car 1h1/2 d’interview, vitre transformée en conversation amicale où le tutoiement s’est aussitôt imposé, c’est devenu rare de nos jours !
Ce fut un grand moment de plaisir, une rencontre chaleureuse qui nous a appris beaucoup de choses sur les coulisses de ce métier dont on ne parle pas assez. Et il est bon, de temps en temps, de mettre des gens aussi talentueux et passionnés en lumière.
Dont acte
Jacques Brachet