Alain MAROUANI
BREL, BALAVOINE, FERRAT… et les autres

Marouani

Qui n’a pas vécu les années Barclay ne peut pas savoir que les artistes, la presse, les acteurs du métier de la musique vivaient alors les années bonheur. Et j’en faisais partie, partageant les soirées les plus folles au MIDEM, à la Rose d’Or d’Antibes et surtout lors de ces fameuses soirées blanches où se retrouvait le nec plus ultra du show biz dans cette mythique maison d’Eddie à Bonne Terrasse à Ramatuelle, où les palmiers poussaient au milieu de la piscine.
A ces soirées, se côtoyaient à ses tables aussi bien les artistes Barclay que les autres car il n’était pas sectaire et connaissait le monde entier.
Autour de lui, son bras droit Léo Missir et l’épouse de celui-ci l’originale chanteuse et compositrice Patricia Carli et le discret mais omniprésent Alain Marouani.
Alain fut, durant trente ans le photographe officiel de la maison Barclay, signant nombre d’affiches, photos, pochettes de disques et s’occupant de la communication de Brel, Ferrat, Ferré, Dalida, Nicoletta, Aznavour, Balavoine, Mireille Mathieu et bien d’autres encore. Car il y avait « le style Marouani ».
Il a évidemment des souvenirs à la pelle de ces années où le show et le business se mêlaient allègrement dans une sorte de légèreté et de fêtes permanentes.
Déjà auteur de quelques beaux portraits (Balavoine, Ferrat, Ferré…) il nous offre aujourd’hui un magnifique album hommage à Jacques Brel dont il a été, durant des décennies, son photographe et ami. On y retrouve notamment nombre de photos que l’on a pu admirer sur ses disques, ses affiches, ses programmes et il nous raconte « son » Brel qu’il a côtoyé jusqu’à sa mort. S’y adjoignent nombre de documents et articles, une préface de son neveu Bruno Brel, de Claude Lelouch avec qui il tourna « L’aventure c’est l’aventure ». Le livre s’intitule sobrement « Brel », édité chez Flammarion.
Avec Alain, nous nous sommes donc souvent croisés et c’est un plaisir de le retrouver pour parler de ce livre.

A B

« Ta première rencontre avec Brel remonte à quand, Alain ?
Professionnellement, dès que j’ai commencé à travailler avec Barclay, c’est à dire vers 67. Mais je l’avais rencontré en 66 à l’Olympia, mon oncle, Charley Marouani s’occupant de lui
Dès que j’ai pris mes fonctions, je me suis occupé de lui pour ses photos, ses campagnes de pub, j’ai travaillé avec lui jusqu’à la fin puisque j’ai fait la photo de son album posthume.
Avec les fameux nuages..
Oui, celle qui est également en 4ème de couverture du livre. Cette pochette a toute une histoire car au moment de la préparation du disque, Barclay me dit que Brel veut une pochette rouge et noire. J’ai trouvé ça bizarre venant d’un homme à qui on venait d’enlever un poumon !
Barclay, qui n’aimait pas les conflits, n’était pas d’accord pour que je fasse autre chose. J’ai quand même fait cette photo en lui disant que de toutes manières ce serait Brel qui choisirait. Lorsqu’il la découvre, il me dit : « C’est quoi, ça ? ». Je lui explique alors que cette photo est symbolique de sa vie, l’espoir, les orages, l’aviation qu’il pratique, ce qu’il voit de son bateau mais aussi le ciel de Paris qu’il a découvert en y arrivant et bien sûr, celui des Marquises.
« C’est OK » me dit-il au bout d’un moment. La pochette se fait, je la signe… et on vend un million de disques ! Un événement. Lorsqu’il voit que j’ai signé la photo, il a cette réflexion : « Le ciel n’appartient à personne ! »

H I
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En dehors de Brel, tu as photographié tous les artistes de l’époque !
C’est vrai. Et tu sais pourquoi ? J’avais la réputation de rendre les gens beaux ! Je savais gommer leurs imperfections. Par exemple, j’évitais de photographier Dalida lorsqu’elle avait le problème avec son œil.
Lenorman avait un gros nez et je m’étais aperçu que lorsqu’il inspirait, ça disparaissait. Je l’ai donc fait inspirer à chaque fois que je cliquais !
Balavoine n’aimait pas sa tête et il a fallu attendre le troisième album pour qu’elle apparaisse, après qu’il m’ait fait confiance.
A propos de Balavoine, tu as une anecdote…
Oui, il avait déjà fait deux disques chez Barclay, qui n’avait pas marché. Léo Missir, qui s’occupait de lui, propose à Barclay un troisième disque. Comme Eddie était près de ses sous, il s’écrie : « Il va nous ruiner, je n’en veux plus ». Léo lui met alors le marché en main : « D’abord, si tu n’en veux plus, je pars avec lui. Et puis, tu n’as qu’à te débarrasser de cinq chanteurs et tu garde Balavoine ». Ce qu’il a fait. C’était « Le chanteur » !
Avais-tu une approche particulière pour photographier les artistes ?
J’ai toujours eu une règle : rester en tête à tête avec eux. Je n’ai jamais eu d’assistant. Au départ nous discutions de ce qu’ils voulaient ou pas, ce qui les gênait chez eux afin d’y remédier. Nous parlions beaucoup, je les mettais en confiance. J’installais une connivence. On travaillait vraiment ensemble. Je peux te dire que deux heures de séance photo crée une intimité plus forte que 20 ans de connaissance.

C E D

Est-ce que c’était facile de travailler avec Barclay ?
Quelquefois, lorsqu’il n’était pas décidé, ça pouvait être difficile. Il avait ses moments. je l’ai vu gifler Nicoletta parce qu’elle voulait chanter Piaf. Mais avec moi c’était assez tranquille, il me foutait la paix du moment qu’il avait ses photos.
Avais-tu un contrat d’exclusivité ?
Heureusement non car, comme il nous payait au lance-pierres, j’allais faire des photos ailleurs. J’ai ainsi photographié Lama, Céline Dion, j’ai beaucoup travaillé avec des musiciens de jazz et avec tous les chanteurs québécois qui venaient chanter à Paris. Pour eux, c’était très important pour leur promotion de repartir dans leur pays avec un reportage photo.
Tu allais au Canada ?
Je n’y ai jamais mis les pieds ! Trop de boulot. Tu te rends compte du travail que j’avais à Paris entre les photos, les affiches, la communication, la pub… Je n’étais jamais libre mais j’aimais ça !
Pour en revenir à Brel, as-tu demandé l’autorisation à la famille ?
Non, ils ne voulaient pas en entendre parler, du coup je n’ai rien demandé à personne, d’autant que le responsable de la fondation est un mec très compliqué. J’ai préféré aller voir Bruno Brel ou Lelouch qui avait de belles choses à dire.
Brel parti au Marquises, l’as-tu revu ? Es-tu allé le voir ?
Non, tant qu’il était là-bas, je ne l’ai plus vu. La dernière fois que je l’ai vu, il était mort.
Averti de son décès, je me suis précipité à l’hôpital. D’autres personnes étaient là mais seules deux personnes ont voulu le voir mort : Barbara et moi. Je revois le scène : moi regardant Brel et Barbara pleurant dans son coin…
Il y avait là une photo à faire !
(Il rit) Oui et je regrette de ne pas l’avoir faite. Tu te rends compte le scoop, Barbara pleurant devant Brel mort ! Je suis aussi allé voir Dalida. Elle était très belle, je l’ai trouvée toute petite mais c’était magnifique. Je n’ai pas l’appréhension d’aller voir des gens décédés. Il y a une certaine paix en eux.
Pourquoi avoir ajouté au livre quelques Unes parues lors de sa mort ?
C’est un clin d’œil par rapport à ce qu’ont écrit certains comme France Dimanche qui avait, dix ans avant sa mort, écrit : » Jacques Brel : plus que dix ans à vivre »… Quelle drôle de prémonition ! A un jour près il est mort dix ans après. Il y en a eu d’autres comme : « Brel est mort. L’incident est clos » et, plus violent encore : « Le cancer lui a fermé sa grande gueule » !
Aujourd’hui, que fais-tu ?
Plein de choses, de photos, des livres sur ces gens que j’ai côtoyé, aimé et admiré.
Nous avons vécu de belles années.

Propos recueillis par Jacques Brachet