Après Brel, Ferrat, Trenet, Ferré, Béart, Bécaud… il n’en restait qu’un et c’était lui, Charles Aznavour, grand parmi les grands, qu’on croyait immuable, éternel… Et le voilà qui nous quitte alors qu’il revient de tournée au Japon, qu’il prépare un livre, une comédie musicale pour Zaz, qui a encore mille projets dont celui de fêter ses 100 ans place de la Concorde.
Tout ça ne se fera pas et il reste aujourd’hui une grande fêlure dans la chanson française et même internationale.
On a dit beaucoup de choses sur lui, avant son succès planétaire et même après.
Quant à moi, je garderai des souvenirs magnifiques d’un homme simple, accessible, fier de son parcours – et il le pouvait ! – et nos rencontres furent toujours chaleureuses, amicales.
C’est par une grande chance que je le rencontrai pour la première fois. Devant passer à Toulon, je tente sans trop d’espoir un moment d’entretien pour une interview.
J’appelle donc les bureaux de son producteur, Levon Sayan et je tombe sur une voix familière : celle de Rosy, la cousine de Dalida, avec qui j’avais des liens d’amitié, puisque j’étais amie avec la chanteuse qui était décédée quelques mois auparavant. Elle travaillait désormais pour Charles et ce lui fut facile de me bloquer un rendez-vous… car à l’époque on pouvait encore rencontrer les artistes sans passer par le phoning qui est devenu le seul lien avec eux aujourd’hui, ou presque.
A l’heure dite, il m’attend dans la loge et je me trouve devant un homme volubile, heureux de parler, d’une grande simplicité. Très vite le courant passe. A tel point qu’à la fin de notre entretien il me dit : « Ca fait plaisir de rencontrer un vrai journaliste professionnel, qui sait de quoi il parle, qui sait poser les questions ». Et sur ce, il ouvre une bouteille de vin et nous partageons un verre tout en continuant de converser.
Je le rencontrerai plusieurs fois car de ce jour il ne m’a jamais refusé un moment d’entretien lorsqu’il passait dans les parages. Il m’invita même à la première d’un de ses films à Paris « Pondichey, dernier comptoir des Indes ».
A l’époque, j’organisais le prix Raimu à Cogolin et je lui demandai s’il voulait bien recevoir ce prix en y venant. Il me dit qu’il serait très fier car Raimu était l’un des grands comédiens qu’il admirait. Il me donna donc ses coordonnées afin de régler ça au moment voulu. Ce que je fis en lui proposant évidemment de prendre ses frais en charge. Ce qu’il refusa car il était honoré qu’on pense à lui et qu’il avait de quoi loger à St Tropez.
Et il vint, en toute simplicité, recevoir son prix des mains de Maritie et Gilbert Carpentier, que j’avais également invités. Nous passâmes une délicieuse journée avec aussi Jo de Salernes qui était son ami et dont il avait eu la délicatesse de me demander si on pouvait l’inviter. Ce que je fis avec plaisir. L’on présenta son film, il y eut un débat en sa présence et le jeune comédien Frédéric Gorny que nous avions également invité, puis on visita le Musée Raimu en compagnie de Catherine Rouvel qui était aussi notre invité.
Nous nous retrouvâmes souvent sur les tournées, à Toulon, à Marseille, à Ramatuelle, au festival de Cannes pour la projection du film « Ararat », et un jour par hasard dans la maison de Levon Sayan, qui était tenue par un couple d’amis qui nous avait invités.
En visitant le jardin, on le retrouva sur un fauteuil en train de lire un journal. On se salua amicalement.
Mes deux dernières rencontres furent à Toulon. D’abord au Zénith où nous avions rendez-vous à 17 heures. Il arriva à 19h, pour cause de problèmes. Désolé de ne pas pouvoir faire l’interview, il me proposa de le retrouver le lendemain à 11h au Sofitel de Marseille. Je trouvais cette attitude incroyable, alors qu’avec la carrière qu’il avait, une interview de plus ou de moins d’un » journaliste de province » (Comme certains nous appellent), n’aurait rien changé à sa vie. On bavarda amicalement durant une heure et au moment de partir il me dit : « Puisque vous êtes là, déjeunons ensemble ». Ce que je ne refusai pas, évidemment !
Certains artistes d’aujourd’hui qui se considèrent comme des stars dès leur premier (et quelquefois le seul !) devraient prendre exemple sur Charles Aznavour, qui respectait aussi bien son public que les journalistes qui pourtant, pour certains, ne furent pas tendres avec lui.
Enfin, la dernière rencontre fut encore à Toulon à la Fête du Livre où les interviews avec les journalistes avaient été triées sur le volet et dont je faisais encore parti. Il m’offrit son dernier livre avec un très joli mot que je garde précieusement.
Avec Charles Aznavour, je n’ai que de beaux souvenirs que je garderai toujours avec moi avec émotion.
Jacques Brachet