Toulon – Pathé Liberté
Jeu de portable, jeu redoutable !

A

Au cours d’un dîner entre amis, trois couples et un célibataire ont l’idée de jouer à un drôle de jeu : déposer leur portable au centre de la table et découvrir ensemble les messages que chacun reçoit.
Evidemment, ce peut être drôle et surprenant, chacun ayant sa part de secret. Mais très vite, le jeu va tourner au cauchemar car la vérité n’est pas toujours bonne à dire et certains secrets, entre amis et même entre couples vont engendrer des situations inattendues. Loin de ses thriller où l’action prime, Fred Cavayé nous offre là un film entre comédie de mœurs et… thriller psychologique !
Car à chaque appel, on va, comme les convives, découvrir un nouvel élément qui fait rebondir l’action. Et l’on ira de Charybde en Sylla dans ce huis clos à la fois drolatique, émouvant, qui va changer la donne de ces amis qui croient se connaître… Jusqu’à la scène finale inattendue.
Ce film de Fred Cavayé, « Jeu », est un remake d’un film espagnol « Perfectos desconocidas » d’Alex de la Iglesia (2017), lui-même remake d’un film italien italien « Perfetti sconosciuti de Paolo Genovese (2016).
Troisième mouture donc d’une histoire qui fut à chaque fois un succès.

B

Ces jours-ci, le Pathé Liberté de Toulon avait la chance de recevoir le réalisateur (qui connaissait Toulon pour y avoir tourné) et trois de ses protagonistes Suzanne Clément, Roschdy Zem et Vincent Elbaz.
Fred Cavayé, comment êtes-vous venu à ce scénario qui a déjà fait l’objet de deux films ?
Tout simplement par mon agent qui savait que je cherchais à m’éloigner un peu du thriller pour aller vers la comédie. Mais pour moi, un remake c’est la même chose qu’un scénario original, le travail d’écriture est quasiment équivalent. D’ailleurs, tous mes films ont été adaptés et sont différents.
Après plusieurs polars je voulais m’attaquer à une comédie, le genre, en fait, étant plus compliqué à réaliser. Je pense d’ailleurs que je n’aurais pas pu le faire avant d’avoir réalisé mes autres films car j’y ai mis beaucoup de ce que j’y ai appris et en définitive, j’ai réalisé une comédie à suspense !
C’est beaucoup plus difficile de faire rire et c’est un exercice périlleux.
Il y a quand même quelque chose de glauque dans ce huis clos
Oui mais c’est désamorcé par des situations qui déclenchent le rire, sinon l’émotion ou même la gêne car chacun peut se reconnaître dans l’un de ses personnages et je m’en rends compte lorsque, lors de cette tournée, j’entends le public qui rit, mais avec des rires différents. Bien sûr, il y a des situations dérangeantes mais je crois qu’elles sont traitées de façon ludique, ce qui désamorce ce qui pourrait justement être glauque.
Vous avez un septuor de comédiens magnifique, que vous avez pris, pour certains, à contre-emploi !
C’est ce qui m’a intéressé. Je voulais leur offrir des rôles loin de ce qu’ils font habituellement. J’ai d’ailleurs, au départ, fait des listes de comédiens que j’avais envie d’avoir pour chaque rôle, jusqu’à ce qu’il n’en reste que 7. J’ai eu la chance que les 7 disent oui ! Après, il ne restait qu’à voir si les couples allaient fonctionner. Ce qui a été le cas. De plus, je voulais qu’il y ait un équilibre entre les 7 personnages, qu’ils aient une partition égale à jouer, qu’ils soient aussi toujours présents même lorsque la situation ne les concernait pas directement.
Roschdy Zem : J’avais déjà travaillé avec Fred où le rôle était très différent. Je jouais un taiseux dans « A bout portant ». Je m’étais très bien entendu avec Fred mais là, déjà le rôle était plus léger, plus ambigu et en plus hypocondriaque ! C’était formidable à jouer et, sur le tournage, j’ai découvert un autre Fred, plus près de ses comédiens, presque un guide. De plus, c’est un film choral qui provoque une capacité à être généreux, patient, d’autant qu’on joue dans la continuité.

D G
F E

Fred, le sujet, bizarrement, se prête à être une pièce de théâtre… qui n’a d’ailleurs jamais été faite ! N’aviez-vous pas peur justement de faire du théâtre filmé ?
Oui, c’était l’écueil à éviter car, au théâtre dans certaines situations, certains comédiens sont de dos.
Ce que je ne voulais pas. C’est pour cela qu’il y a énormément de champs-contre-champs. Nous avons tourné certaines scènes un nombre incalculable de fois pour être raccord à chaque fois et qu’il y ait à toujours une interaction, même lorsque le personnage n’est pas à l’écran.
Suzanne Clément : Ce qui était intéressant à jouer car il faut toujours être sur le qui-vive, rester dans le rythme et surtout en osmose avec les autres. Mais le fait d’être durant des heures, jour après jour, autour d’une table, développe une promiscuité, une complicité et souvent, grâce à cela, il s’est passé des choses inattendues. Au fur et à mesure, on trouvait une sincérité plus forte aux personnages. Ce n’est pas le comédien qui est drôle mais la situation et lorsqu’on est sincère, ça marche.
Vincent Elbaz : Ce qui m’a plu, justement, c’est d’être d’abord dans un film choral et le plaisir de jouer un personnage un peu tordu, qui a beaucoup de choses à cacher. Ca m’a beaucoup amusé et j’aime qu’on me propose ce genre de rôle. Et puis, on était toujours à l’écoute de l’autre. A tel point qu’entre les scènes nous parlions entre nous et qu’un jour Roschdy m’a raconté une anecdote qui m’a plue… et que j’ai récupérée pour mon personnage ! Et ça, ça a un côté jubilatoire.
Fred, le scénario a-t-il évolué durant le tournage ?
Le plus gros du film était écrit mais comme nous vivions vraiment les uns à côté des autres chaque jour, j’étais attentif à ce qui se passait, à ce qu’ils se disaient, à ce qu’ils proposaient. Tous les soirs, je récupérais des éléments par rapport à ce qu’ils vivaient et je les réinjectais dans le travail du lendemain ».

C

A la sortie, cette complicité donne une comédie grinçante, remarquablement maîtrisée, sur un véritable sujet d’actualité où chacun peut se reconnaître tant il est humain. C’est à la fois drôle, émouvant, surprenant, plein de coups de théâtre, avec de l’action, du mouvement, du suspense et l’on se surprend à attendre le prochain message qui va relancer l’histoire sur l’un des autres personnages…
Et puis, quel générique : Bérénice Béjo, Suzanne Clément, Doria Tillier, Stéphane de Groodt, Vincent Elbaz, Grégory Gadebois, Roschdy Zemm… Tous sont remarquables.
Un conseil : méfiez-vous de ce genre de jeu de la vérité car vous n’en sortirez pas indemne !

Jacques Brachet