Jean PIAT… Adieu l’ami…²

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J’ai rencontré Jean Piat voilà près de 40 ans, alors qu’il prenait un tournant : son premier livre « Les plumes des paons » sortait. C’était nouveau et sans suite, à ce qu’il disait.
Carrière sans faute pour cet artiste qui a débuté exactement le 2 janvier 44 en espérant devenir chanteur de Music Hall. Malgré une belle voix, il l’a prouvé dans un album de chansons signé Françoise Dorin et dans « L’homme de la Mancha », il s’est très vite retrouvé à la Comédie Française pour lui échapper quelques années après avec éclat et démarrer une carrière de comédien dit « de boulevard » avec le succès éclatant que l’on sait.
C’est grâce à ce premier livre que je l’ai rencontré. C’était dans les années 80Avec les tournées Karsenty où il tournait avec la pièce de Françoise Dorin « L’étiquette », je le contactais et lui proposai une halte l’après-midi pour venir parler de ce premier livre qu’il venait de sortir. Il accepta et fut brillantissime devant un public nombreux… et très féminin !
Il parla donc de cette nouvelle expérience de l’écriture qui se soldait par un succès puisque « Les plumes des paons » venait de recevoir le prix de l’Académie Française. Pour un premier tir, le succès était complet.
Et pour nous deux, ce fut le début d’une amitié qui ne s’est pas démentie. Nous nous sommes beaucoup rencontrés, beaucoup écrit car c’était une époque où l’on s’écrivait encore et mes dernières rencontres furent au Théâtre Galli de Sanary en 2014 où il jouait avec Marthe Villalonga « Ensemble ou séparément ». Il avait déjà des difficultés pour marcher puis, en 2017 pour « Love Letters » qu’il jouait d’assis avec Mylène Demongeot. Le rôle le voulait ainsi et c’était un rôle révé pour lui qui avait des difficultés à se déplacer. Mais, malgré son âge, il n’était aucunement question qu’il arrête.
Je me souviens qu’il m’ait confié un jour : « Lorsqu’on fait un métier qu’on a choisi, que demander de plus ? Souvent on me demande si je prends des vacances. J’avoue que j’en prends très peu car mes loisirs consistent à jouer, à écrire. Depuis plus de soixante ans je fais des choses que j’aime et lorsqu’on fait ce que l’on aime, on n’a pas vraiment envie de se reposer puisque le repos c’est justement pour faire ce qu’on aime ! Je dis que pour moi, être comédien c’est un métier parce que c’est ce qui me fait vivre. Mais c’est aussi une passion et écrire est un plaisir. Ce sont deux choses différentes puisque jouer c’est être actif, en action et écrire c’est réfléchir et raconter une histoire…
Mais c’est toujours aller vers les gens, aimer les gens, leur donner quelque chose. Je leur donne ce qu’on m’a donné.
Depuis 60 ans, je cultive mes dons ! »
Et Dieu sait s’il en avait, des dons, de comédien, de conteur, d’écrivain.

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Écrivain, il l’était mais il ne se considérait pas comme tel. Par ailleurs il m’avait encore confié que, s’il aimait écrire, il ne s’écrirait jamais une pièce de théâtre :
« Il y a très longtemps que j’écris… pour moi ! Je commence des choses puis, faute d’inspiration, de courage ou de temps, je remets à plus tard. Il est vrai que j’aime ça et je pense que je reviendrai à cette discipline (il y est revenu souvent et avec le talent que l’on sait). Par contre, depuis ce livre, on me demande si je vais m’écrire une pièce et là, je suis catégorique : c’est non. D’abord parce que je ne m’intéresse pas assez à moi pour m’écrire un rôle et que je ne saurais le faire. Mais même, écrire une pièce est un travail très particulier. Un auteur agit dans une certaine direction pour raconter une histoire puis l’acteur agit dans une direction pour faire vivre cette histoire. Je suis donc un acteur avant tout et l’opposé de l’auteur. Ce sont deux personnes, deux entités qui se rencontrent, se regardent, quelquefois en chiens de faïence. C’est comme le dieu Janus qui a deux têtes qui se complètent.
Et puis, l’écriture d’une pièce est tout à fait différente que l’écriture d’un roman : beaucoup de romanciers le savent, qui se sont cassés les dents sur une pièce. C’est un langage spécial. Un roman, c’est une histoire qu’on emmène ou on veut, où on peut faire voyager les héros dans le monde entier, où il n’y a aucune barrière. Une pièce c’est automatiquement un conflit à partir d’une situation et des dialogues, c’est un langage spécial, il n’y a pas de longues descriptions et de plus, si le système des trois unités : temps, lieu, action a été créé, ce n’est pas pour rien. Allez proposer une pièce où il y a dix décors, vingt changements de costumes et trente comédiens, à par « Cyrano » parce qu’on sait que ça va marcher, vous ne pourrez jamais monter votre pièce ! Dans un roman, on peut se balader au gré de ses envies, de ses inventions… »

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Avec des amis à Ramatuelle et sa compagne Françoise Dori, disparue depuis peu aussi

Grâce à Jean, j’ai passé des magnifiques moments à l’écouter simplement parler, raconter, avec ce charme, ce regard bleu et cette voix que l’on reconnaissait entre toutes.
Je garderai longtemps le souvenir de cet homme raffiné, simple, plein d’humour, de cet immense comédien qu’il fut…
Jean tu nous manqueras.

Jacques Brachet