Jazz à Toulon 2018 – 29ième édition

F
Remember Petrucciani

Le 29ième festival « Jazz à Toulon » s’est achevé par des tornades de basses sur les plages du Mourillon avec The Stanley Clarke Band.           
Stanley Clarke, physique de colosse américain avec casquette de base-ball sur les yeux, montre d’emblée ce qu’il sait faire. Il tentait parfois de retrouver le feeling de School Days ; ce furent les meilleurs moments. Ainsi qu’avec son hommage à John Coltrane « Song For John », également quand il se mit à jouer vraiment de la contrebasse dans quelques morceaux, démontrant qu’il restait un très grand bassiste, comme sur « No Mystery ». A la basse électrique il usa et abusa de son fameux slap jusqu’à la caricature.
Il était en compagnie de 3 jeunes musiciens comme il y en a tant, qui jouent à fond du n’importe quoi sans intérêt : Cameron Graves(clav), Beka Gochiashvili (p) et Shariq Tucker qui jouait si fort qu’il éclata sa grosse caisse ! Du cirque !
Dommage que Stanley Clarke n’ait pas su, ou pas pu, résister aux sirènes du showbiz.
La foule en délire lui fit une ovation à faire décrocher la lune qui se tenait à l’écoute derrière la scène. Il en fut ainsi à tous les concerts, même sans la lune !
Retour sur quelques concerts. Tout d’abord les concerts d’après midi de 17h30 à 19h au centre de Toulon sur quelques jolies places ombragées.
Place Dame Sibille :
Sur cette place, noire de monde, officiait le groupe « ALF and Half » qui tourne avec succès dans la région depuis de nombreuses années, dont les musiciens sont très connus, à savoir Marc Abel à la guitare et au chant, Stéphane Leroy à la basse électrique et Frank Farrugia à la batterie. Ils présentaient leur nouveau disque « Wacky ».
Place Puget :
Jean Dionisi, 81 ans, joue toujours de la trompette et du cornet, avec la même fougue, le même plaisir, la même joie et la même force qu’à ses débuts. Voilà plus de 60 ans qu’il fait vivre le jazz traditionnel dans la région et au-delà, ayant toujours été à la tête des meilleurs groupes New-Orleans. Et celui d’aujourd’hui ne nous démentira pas, avec Jean-François Bonnet (cl,ss), Raphaël Porcuna (tb) Christian Lefèvre (soubassophone), Jean-Claude Proserpine (dm), Eric Méridiano qui remplaçait au pied levé, et avec brio, le pianiste en titre, et un invité de poids venu de Clermont-Ferrand, l’excellent banjoïste Henri Lemaire.
Jean-Philippe Sempéré Quartet avec Gérard Murphy (as), Pierre Fenichel (b) et Cédrick Bec (dm) sur le répertoire du guitariste Grant Green, auquel le leader à la guitare voue une grande admiration, pour un concert riche en subtilités et en contrastes.
Après avoir enregistré un disque éminent « This I Dig For You », salué par la presse musicale, le trio de Jean-Marie Carniel, l’un des meilleurs contrebassistes d’aujourd’hui, se produisait avec Denis Césaro (p), Cédrick Bec (dm) plus un invité Olivier Chaussade (ts), pour de grands moments sur quelques titres du disque entre autres.
« Sub Jazz Project » c’est le groupe de l’excellent batteur-chanteur-compositeur Rudy Piccinelli, avec avec Olivier Debourrez (tb), Benoît Eyraud (clav) Julian Broudin (s), Mathieu Maurel (tp), Antoine Borgniet (b), et Fortuné Muzzupapa (perc). Le répertoire du groupe est basé sur des chansons connues, réinterprétées en jazz. Magnifique travail et quelle prestation, avec 5 étoiles au percussionniste.

B G
Jean Dionisi – Carlos Maza Familia Septeto


Quelques grands concerts du soir :
Place Victor Hugo :
De l’avis général et du mien, le concert de Youn Sun Nah – « She Moves on » fut l’acmé du festival, et une belle découverte pour la plupart des gens.
Un ange est descendu du paradis de la musique, un bel et doux ange bleu, petite femme d’apparence si fragile sous sa robe bleue qui flotte au vent, et qui pourtant possède une voix d’une puissance exceptionnelle, capable des graves les plus profonds jusqu’aux aigus les plus fracassants, Yun Sun Nah offrit un concert mémorable, dont le moment le plus incroyable fut son interprétation fabuleuse de « Momemtum Magicum » de Ulf Wakenius qui fut son guitariste dans « Breakfast in Bagdad ». Elle était accompagnée à minima par Frank Woeste (clav), Brad Christopher Jones (b), Tomek Miernowski (g) et Dan Rieser (dm).
Jamais la qualité d’écoute dans les concerts n’avait atteint cette intensité.
Place Saint-Jean à Saint Jean du Var :
La fine fleur des musiciens de jazz habitant la région, et les proches de la famille Petrucciani, étaient réunis pour un hommage public au grand pianiste, Michel Petrucciani, en ce « Remember Petrucciani ». A noter la présence du saxophoniste Yvan Belmondo, figure patriarcale et grand formateur de musiciens, dont ses fils le saxophoniste, Lionel, et Stéphane, le trompettiste. Pour le répertoire il s’agissait de thèmes que Michel aurait aimé mettre en chanson, nous dit Nathalie Blanc. Elle s’est chargée de le faire avec des paroles en français, changeant les titres, exemple : « I Wrote Your Song » devient « Soir de mai ».
Étaient donc réunis l’un des frères de Michel, le sympathique Philippe Petrucciani, leader et à la guitare, auteur des arrangements, la chanteuse Nathalie Blanc, Nicolas Folmer (tp), Lionel Belmondo (s), Francesco Castellani (tb) Dominique Di Piazza (eb), Manhu Roche (dm). Ils sont tous amis, pratiquent le même langage musical, et comptent parmi la crème des jazzmen qui vivent dans le Sud.

H C
Subjazz Project – Yun Sun Nah

Les paroles n’étant pas transcendantes et la façon de chanter trop linéaire, malgré le scat, on ressenti un certain ennui. C’est dans le morceau en rappel que Nathalie Blanc va « se lâcher » comme on dit, et faire exploser ses qualités vocales assez époustouflantes, en galvanisant l’orchestre, avec l’habituel et roboratif délire de Lionel Belmondo. Dommage que tout le concert n’ait pas été de cette trempe.
Place de l’Equerre : La fête cubaine avec Carlos Maza & Familia Septeto,
Cinq femmes, deux hommes, la parité s’effondre ! Affaire de famille, le père, Carlos Maza (p), la mère, Mirza Maza (eb) et deux filles : Hilda Camila Maza (vln), Ana Carla Maza (cello). Noyau familial renforcé par Nino de Luca (acc), Rita Payes (tb), Naile Sosa (dm, perc).
Ana Carla Maza va mener la fête, aussi belle que déchaînée, elle maltraite son violoncelle, mais sait en jouer, chante, hurle et danse, ne tenant pas en place, occupant toute la scène : elle provoque le délire, au détriment de la musique souvent. Mais quel emportement, et quel charme sensuel ! Le spectacle fut abracadabrantesque. Ce fut une tornade qui emporte les corps dans un tourbillon de sons et de couleurs. Il faut se laisser emmener, chanter et danser. Nada màs !
Place Louis Blanc : Trilok Gurtu Quartet
Trilok Gurtu est un percussionniste-batteur indien d’abord joueur de tablas traditionnels, qui découvre les congas, bongos et autres percussions, puis la batterie et le jazz vers 1970. Il va alors jouer avec les plus grands, dont Don Cherry et Paolo Fresu. On se souvient de sa participation au « Mahavishnu Orchestra » de John Mc Laughlin, il vint d’ailleurs une première fois à Jazz à Toulon avec ce dernier.
Jean Cocteau appelait la batterie « Le bar des rythmes », on peut appliquer cette formule à Trilok Gurtu tellement il étale d’éléments de percussion autour de lui, jusqu’à un assemblage de bouchons plastiques multicolores, remplaçant les habituels coquillages, et un seau d’eau qui lui sera prétexte à un concerto pour eau, seau et baguette : beau spectacle. Sa démonstration de scat indien laissa pantois ; c’est ce scat qui permet aux joueurs de tablas de mémoriser les figures rythmiques.
Il jouait avec un groupe très européen : Jonathan Ihlenfeld Cuniado, espagnol (eb), Tulug Tirpan, Turc (p), et Frederik Köster, Allemand, (tp); trois excellents instrumentistes, fougueux et brillants. Le trompettiste est un des meilleurs en Allemagne, il lancera à la nuit quelques solos lumineux.
L’essentiel du concert fut dévolu au percussionniste qui fit la preuve de son immense savoir faire en la matière, et nous offrit un véritable festival. Il est impressionnant aux tablas, jouant l’équivalent d’une batterie avec seulement deux petits tambours et ses dix doigts.
A la batterie il joue dans la cour des bons batteurs jazz. Jazz qu’il n’a pas oublié, avec notamment un vibrant hommage à Paolo Fresu, intitulé « Berchidda », village de Sardaigne qui a vu naître Paolo ; ou encore « Pop Corn » dédié à Miles Davis.
Trilok Gurtu et ses musiciens m’avouèrent avoir été très émus et portés à se donner à fond par l’accueil toulonnais ; j’ajoute que j’eus le même aveu de la part de tous les grands leaders. Donc Toulon sait recevoir les artistes.
Des bons points sont à distribuer pour le son et la présentation des concerts.

E D
Trilok Gurtu Quartet – Stanley Clarke

Le Festival « Jazz à Toulon 2018 » fut égal à lui-même, dont le point culminant fut la prestation de haute tenue de Youn Sun Nah ; et les concerts d’après-midi qui ont tous présenté quelques-unes des meilleures facettes du jazz qui se joue aujourd’hui.
Les choix étaient bons, finalement bien dans la philosophie de « Jazz à Toulon » qui est d’animer différents quartiers de la Ville avec des concerts gratuits. Concerts qui sont concoctés avec courage, abnégation et persévérance, par Bernadette Guelfucci, présidente du Comité officiel des fêtes et des sports de la Ville de Toulon, aidée encore et heureusement par quelques subventions, épaulée par une solide équipe dévouée, travailleuse et efficace. L’an prochain le festival fêtera sa trentième édition, gageons qu’il y aura de belles surprises.

Serge Baudot