Archives mensuelles : novembre 2023

Chasse gardée : Les ruraux contre les parisiens


Simon (Hakim Jemili) et Adélaïde (Camille Lou) vivent une vie trépidante et bruyante à Paris. Métro, boulot, embouteillages, bruits en tous genres sans compter les cris incessants de leurs deux enfants survoltés qui vivent dans un étroit appartement.
Ils ne rêvent que nature, grands espaces et silence.
Et voilà qu’ils dégottent une annonce inespérée : immense maison, grand champ, forêt… pour une bouchée de pain… Trop beau pour être vrai !
Et justement si, au départ tout semble un conte de fée, tout va changer à l’ouverture de la chasse où tout le village mené par deux gentils cinglés (Didier Bourdon et Jean-François Cayrey) vont envahir leurs bois, tirer dans tous les sens, sur leur maison entre autres, sonner de la trompette dès l’aube… Bref, pire qu’à Paris.
Abusés par la directrice de l’agence (Chantal Ladesou) qui leur a fait visiter la maison au printemps, ils se rendent comptent qu’ils ont été dupés. Sans compter que l’ancien propriétaire a été retrouvé mort dans leur puits…°
La guerre étant déclarée, tous les coups sont permis de part et d’autre dans un bruit effrayant,des pétarades, des engueulades, des cris et des courses effrénées.

Le film est signé Antonin Fourlon & Frédéric Forestier. C’est une immense et très bruyante guerre de territoire, dans une ambiance complètement iconoclaste… Situation impossible entre les gentils ruraux un peu limites et les gentils parisiens qui viennent en pays conquis.  Un film drôle, dingue, avec une équipe chorale de comédiens, d’un côté les naïfs parisiens, de l’autre les ruraux pas méchants mais obnubilés par la chasse aux sangliers. En prime un Thierry Lhermite (père d’Adélaïde), qui, en avocat coincé vient essayer de calmer les esprits et se retrouve bourré comme un cochon. Une scène d’anthologie !
On rit beaucoup… Et on continue à rire en rencontrant les deux réalisateurs qui ont commis cette grande farce qui pourtant n’est pas si loin de la vérité. « Promis – nous dit Antonin – on n’a rien amplifié, rien exagéré. La vie à Paris est aujourd’hui invivable, hostile, il y a de plus en plus de surpopulation, l’enfer de la vie parisienne existe vraiment.
J’ai écrit le scénario durant le confinement, dans 60 mètres carrés avec deux jeunes enfants, deux fauves en cage. Du coup, on rêvait d’un jardin, d’un coin de campagne, comme beaucoup de gens l’ont fait.

C’est donc du vécu ?
Oui – dit Fréderic – nous sommes deux parisiens et, malgré notre différence d’âge (Je suis un peu plus vieux !) nous avons vécu les mêmes choses avec des enfants vivant dans un lieu étroit. Avec l’envie de prendre l’air ailleurs.
Avec le Covid, beaucoup de gens sont partis à la campagne en pensant pouvoir tout maîtriser mais beaucoup vont se rendre vite compte qu’ils ne maîtrisent rien du tout, ni la flore, ni la faune… ni la population.
Il faut beaucoup d’espoir et de naïveté car en fait ce sont deux cultures et il faut pouvoir s’adapter.
Lorsqu’on parle d’un film de chasse, on pense tout de suite à Didier Bourdon et son sketch de la galinette cendrée ?
C’est vrai que ça nous vient tout de suite à l’esprit, c’était une référence… mais pas une évidence pour lui ! Pour lui c’était de la caricature et le sketch date de trente ans ! Il n’avait pas forcément envie de refaire ça. Mais lorsqu’il a lu le scénario, il a vu que l’esprit était différent, que même la chasse était différente même si les clichés sont toujours là comme l’âge des chasseurs, le plaisir de se retrouver, de boire, de chanter. A la campagne, si vous quittez la chasse, vous quittez la sociabilité.
Comment arrive-t-on à mettre en scène une meute de sangliers ?
Un sanglier, c’est très docile et très intelligent… surtout lorsqu’on les trouve dans une réserve ! Nous avons reconstruit le jardin de la maison à l’identique où, durant un mois, on les a habitués à être nourris tous les matins à la même heure. Un jour, on les a filmés en caméra cachée, dans le vrai jardin, avec beaucoup de nourriture !

La scène du banquet a-t-elle été difficile à tourner ?
Techniquement… il a suffi de remplir les verres !!! Nous avons tourné la scène en sept chapitres. Il faut savoir que tous les figurants étaient de vrais chasseurs. Au fur et à mesure du tournage, ça s’échauffait. Alors qu’on leur donnait à boire du jus de groseille, certains y ont ajouté de l’alcool… Ils apportaient leurs munitions !
La scène de Thierry Lhermitte, avocat parisien psychorigide se transformant en poivrot va devenir culte !
Au départ il veut le prendre de haut et vient pour les laminer. L’alcool aidant il se laisse aller à l’euphorie, aux chansons, à l’alcool et devient ami avec l’ennemi, sous les yeux atterrés de sa fille et de son gendre… Thierry s’est beaucoup amusé à tourner cette scène.
Comment s’est fait le choix des comédiens ?
Au départ tout commence avec Didier Bourdon. Puis on a pensé à Thierry Lhermite et le fameux « Dîner de cons », avec son côté snob qui va plonger dans l’alcool. Hakim, Fred avait déjà travaillé avec lui et je le suivais sur les réseaux sociaux. Camille a été une proposition du directeur de casting. On l’avait surtout vue dans des rôles dramatiques. J’adore sa voix (elle est aussi chanteuse), sa spontanéité, sa fraîcheur. Et en plus, elle est belle !
Antonin est chasseur mais pas vous Frédéric…
(Il rit). Je suis le parisien type et tout à fait néophyte. Mais je n’ai pas d’à priori sur la chasse, pas de clichés et j’avoue avoir appris beaucoup de choses. Ça ne m’a pas fait devenir chasseur pour autant. Mais j’ai découvert la complexité et le paradoxe de la chasse, ses tenants et ses aboutissants. Ça m’a éclairé sur la chose !

Avez-vous eu des problèmes avec les vrais chasseurs ?
Il faut avouer qu’on ne leur a pas fait lire le scénario… On le leur donnait au jour le jour ! Ils ont quelquefois été dubitatifs mais se sont vite rendu compte que c’était une comédie bon enfant et que tout le monde en prenait pour son compte. Et surtout que c’était sans méchanceté.
Connaissaient-ils toutes ces chansons paillardes ?
Mais oui, bien sûr. Evidemment, il ne fallait pas que ça aille trop loin car c’est tout de même une comédie familiale. Il y a, c’est vrai, pas mal de gros mots dans cette scène mais aujourd’hui ça ne choque même plus les enfants.
Le disque sortira-t-il ???
Oui bien sûr, chanté par Thierry Lhermite et Chantal Ladesou !!!
Comment avez-vous eu l’idée de travailler-t-on à deux sur le scénario ?
Antonin :
Au départ, c’est moi qui écris et au fur et à mesure je passe les scènes à Fred qui donne son avis. J’ai déjà écrit des scénarios pour lui. C’est donc venu tout naturellement, d’autant qu’il y avait des scènes un peu compliquées pour moi dont c’est le premier film. On se connait bien et on a l’habitude de travailler ensemble. Les décisions sont plus rapides en travaillant à deux, nous avons gagné beaucoup de temps.
Frédéric : J’avais envie de guider ce petit jeunot dans le métier !
Antonin :   Et moi d’accompagner la retraite du vieillard !
Ça vous a donné envie de récidiver ?
Antonin : Pourquoi pas, si le film marche. J’ai déjà deux scénarios sous le bras et si Fred est OK, on continue ! »

A suivre donc
Jacques Brachet
Photos Alain Lafont

Scaramouche Jones or the Seven White Masks
Scaramouche ou les sept masques blancs
Théâtre de Nesles, Paris – novembre 2023


Scaramouche Jones (à ne pas confondre avec le Scaramouche de la commedia dell’arte) est un clown blanc né en 1899 et décédé fin 1999.  La pièce est un monologue écrit par Justin Butcher, joué dans le monde entier. Repris superbement à Paris par Les Clack, dans une mise en scène de  Patricia Kessler.
On est au Nouvel An 1999. C’est son anniversaire. On voit Scaramouche sortir de scène sous les applaudissements après sa dernière représentation, et rejoindre sa loge où il va se dévêtir des apparats du clown, conçus par Jackie Clack, tout en racontant sa vie, brossant en même temps une revue du XX° siècle. Il est à la fois épuisé, l’âge et le spectacle, et heureux d’être encore sur scène. Il s’exclame à plusieurs reprises « What a Day » (Quelle journée) d’abord ravi, le succès, puis triste, adieux à la scène. Il sait qu’il va bientôt mourir.
Côté cour : la table de maquillage, miroir éclairé par des ampoules rondes. Sur le plateau deux malles comme points d’appui ; un rideau rouge et jaune, flamboyant, côté jardin qui donne sur la scène imaginaire. Lumières minimalistes de William Orego Garcia, mais le décor est planté, l’atmosphère magnifiquement rendue. On est à côté de Scaramouche, son invité dans la loge, ce qui donne cette atmosphère intimiste à la pièce.

Scaramouche Jones resplendit dans son costume de clown blanc, noir, trop grand, chemise blanche à plastron, boule de nez rouge, immense nœud papillon rouge et blanc, perruque de clown, dégarnie sur le crâne et cheveux touffus sur les côtés, mitaines blanches qu’il gardera jusqu’à la fin, énormes chaussures, chaussettes à raies rouges et blanches. Au fil du récit il enlève le nez, puis le nœud papillon, la perruque, les chaussures, la veste, le pantalon, pour se retrouver en caleçon et Tshirt blanc.
Il conte sa fabuleuse histoire. Il naît à Trinidad d’une mère prostituée et d’un père anglais. Quand sa mère est tuée il est livré à un Arabe, marchand d’esclaves de Mombasa, puis il est charmeur de serpent au Sénégal, par la suite il voyage avec un Prince de Venise, finalement il se retrouve à Milan pour finir dans un camp de réfugiés en Croatie. C’est là qu’il découvre son talent de clown quand on l’a chargé de faire rire les enfants promis à la chambre à gaz.
Enfin il va pouvoir acquérir un passeport anglais, car son père était un Englishman, avec l’obligation de prouver qu’il n’était pas nazi, et en ajoutant Jones à Scaramouche. Pas de plus grand bonheur pour lui.
Ainsi il passa les 50 premières années de sa vie d’aventure en aventure, et les 50 dernières comme clown acclamé dans le monde entier.
Les Clack est littéralement habité par la pièce, il est Scaramouche Jones, il est entré dans le costume pour lui donner vie. Devant nous c’est Scaramouche Jones en chair et en os qui nous raconte sa vie. Les Clack dégage une présence, un magnétisme, qui nous entrainent dans une émotion incontrôlable. Le personnage est touchant. Par son jeu Les clack dépasse le comique, on est devant un clown tragique. On suit sur son visage, sur ses attitudes, l’histoire de cette vie peu banale. Dans la scène finale, dans une lumière bleutée, on voit sur ce visage blanc, toute la détresse du monde, l’angoisse devant la mort qui approche. L’air de dire : C’est fini ! On est au bord des larmes.


La direction d’acteur de Patricia Kessler est remarquable ; elle a su faire occuper toute la scène par le comédien, donnant l’impression qu’ils étaient plusieurs.
Dommage que la pièce ne soit pas traduite en français.
Le britannique Leslie (dit Les) Clack, acteur bilingue, n’est pas un inconnu pour les Varois puisqu’il a vécu à La Seyne sur mer, et plusieurs années à La Valette, où il s’est fait connaître avec « Gros Câlin » de Romain Gary. Il est médaille d’or du conservatoire de Toulon. Après avoir beaucoup œuvré pour le théâtre dans notre région il s’installe à Paris en 1980. En 1991 il fonde la compagnie « Dear Conjunction » avec Barbara Bray et Patricia Kessler. L’aventure continue.

Serge Baudot

Elian BACHINI
C’était un grand photographe et un ami


Le photographe Élian Bachini nous a quittés à 78 ans dans la nuit du 19 au 20 novembre 2023.
Élian Bachini est né en Toscane (Italie). Il avait la prestance, l’élégance et la douceur toscane. Il vous accueillait le sourire aux lèvres, les yeux pétillant, et vous saluait de sa voix charmeuse. Affable, toujours prêt à aider, à rendre service, à organiser quelque chose. C’est ainsi qu’en 1990 il cofonda l’association « Minos, Photographes en Méditerranée » qui regroupait 10 photographes de l’aire toulonnaise, et qui font une belle carrière.
Élian Bachini se passionne très tôt pour la peinture ; il dessine, peint, tout en suivant des études de Lettres Italiennes à Aix-en-Provence. Mais c’est la photographie qui va devenir sa passion, sa raison de vivre.
Fasciné par la danse et le théâtre il deviendra en 1980 le photographe officiel pour la danse à Châteauvallon, jusqu’en 2000. Il ira jusqu’à faire des stages de danse afin d’être mieux à même d’anticiper, de capter les mouvements des danseurs et des danseuses. C’est là, à partir de 1997, qu’il aura l’idée de tirer ses photographies sur des toiles de jute ou de lin, ou sur papier aquarelle, se rapprochant ainsi de la peinture. Vont naître les séries « Picturales de danse et Silence écrits de danse ». Nous pensons qu’il atteint ici le grand art. Captation des attitudes, des ombres et de la lumière, mouvement piégé par le déclic et qui pourtant reste toujours miraculeusement mouvement.

Ne se contentant jamais de l’acquis il va multiplier les expériences, presque toujours avec succès. Il tire des photos sur la pierre, qu’on a vues à l’exposition « Pierre(S) ». Il utilise le numérique pour « Osmoses minérales ». Il travaille sur les fontaines de Brignoles pour en tirer des photos compétemment surréalistes et très drôles : les « Fantastiques Fontaines de Brignoles ». Il produira une série très facétieuse pour les toilettes d’Auchan à La Seyne sur Mer ; ce qui permet à un très grand nombre d’admirer les œuvres. On peut encore citer « Incrustations », un jeu avec l‘homme de la préhistoire. Parfois il lui arrive même d’intervenir graphiquement sur la photo.
Il franchit encore un pas avec « Osmoses minérales II », photographies dans lesquelles matières minérales et autres s’unissent au corps, aux visages. Un rendu époustouflant par l’utilisation des couleurs, de la lumière, et la superposition d’éléments divers : tout cela crée un envoûtement qui vous emmène ailleurs.
Élian Bachini est aussi le photographe de la femme, révélée mais toujours énigme, élément subliminal et poétique qui transcende les ambiances, fleur et lumière de la nuit, graphème de l’amour. On retrouve toujours les mêmes qualités de dévoilement du réel et de questionnement, que ce soit dans les personnages, les paysages, ou les objets.

Il sera souvent invité aux « Hivernales d’Avignon » et enchaînera les expositions en France et à l’Étranger, jusqu’à son dernier souffle. On peut encore admirer ses « Métamorphoses » jusqu’au 8 décembre à la Galerie d’Art Le Moulin à La Valette, et d’autres œuvres à la Galerie Cravéro au Pradet jusqu’au 25 novembre.
En plus de l’éblouissement de son œuvre, nous n’oublierons pas les fêtes partagées, ses spaghetti bolognese, son lapin à la moutarde et son escalope milanaise.
Une foule immense est venue rendre un dernier hommage à notre ami, parmi laquelle les photographes d’ex-Minos, compagnons des débuts.
Au revoir Élian Bachini. Pourquoi nous as-tu quittés si tôt en ce triste mois de novembre ?
Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa fille Gwendaline, à sa compagne Karine, et à sa famille.

Serge Baudot & Jacques Brachet

Notes de lectures


Jacques DUTRONC : Et moi, et moi, et moi (Ed Cherche Midi)
Dutronc le solitaire, Dutronc le taciturne, Dutronc le sauvage, Dutronc le silencieux…
C’est ce qu’au fil des années est devenu Jacques Dutronc qui vit comme Robinson Crusoé sur son île corse avec ses dizaines de chats.
Il ne fut pas toujours celui-ci car dans les années 60 il débarqua avec ses chansons iconoclastes, une mode dont il partagea la vedette avec Antoine ou encore Nino Ferrer. C’était con mais ça marchait !
Puis il y a eu sa période scato (Merde in France, Guerre et pets, en cela bien soutenu par Gainsbourg !) Et il en profita, avant de nous montrer que, s’il le voulait, il pouvait nous offrir une autre face de sa personnalité : « Il est cinq heures, Paris s’éveille », « Le petit jardin », « Gentleman Cambrioleur » et ce magnifique duo avec Françoise Hardy « Puisque vous partez en voyage » de Mireille et Jean Nohain.
Durant quelque huit années il n’arrêta pas de faire des tournées à guichets fermés… Et semant le saccage partout où il passait car c’était un électron libre. Je l’ai subi en partant en tournée avec lui… Et j’ai vite abandonné, tant il était énervant, déjanté et une interview avec lui devenait une série d’onomatopées qui faisait rire son équipe. Il était imprévu, ingérable. Souvent (et plus !) bourré.
Puis est venue sa période cinéma, qui a commencé grâce à Jean-Marie Périer et il a tellement crevé l’écran que tous les réalisateurs l’appelaient. Il a tourné avec les plus gands : Pialat, Zulawski, Lelouch, Chabrol, Melville, Mocky, Godard, Rouffio et bien d’autres.
Là, il s’est assagi, s’est installé en Corse où il vit une vie contemplative avec ses chats, le soleil et la mer.
C’est ce qu’il nous raconte dans cette bio inattendue car il n’a jamais autant écrit sur lui. L’âge de la sagesse est arrivé … L’âge surtout ! Et à 80 ans des ennuis de santé qu’il paye peut-être aujourd’hui car il ne s’est pas ménagé.
Il parle peu, sinon pas, de Françoise Hardy, la fidèle malgré toutes ses incartades, un peu plus de Thomas, son fils, qui est sa fierté et qu’il a retrouvé sur scène lors de sa dernière tournée.
Quant à ses dernières pages, elles sont consacrées à sa Corse avec amour. Cette Corse qui est son havre de paix et dont il parle avec émotion et lyrisme. Il ne peut que constater que nombre de ses proches se sont « absentés », ce qui lui a appris à aimer davantage la solitude.
De la nostalgie bien sûr mais une pirouette et l’humour revient.
Et s’il était Docteur Jekyll… ou Mister Hyde ?
JB

EMMA GREEN : Ce qui nous rend vivants (Ed Addictives – 443 pages)
Le livre est écrit par un duo d’autrices françaises dans un style simple et attrayant.
Cleo Robbins commence son internat aux urgences de l’hôpital public de Chicago et y retrouve une vieille connaissance de la fac de médecine, Carter Cruz avec lequel la relation s’est mal terminée.
Les retrouvailles inattendues se présentent particulièrement difficiles car il est un sérieux rival professionnel et son plus grand regret.
L’univers des urgences et les relations internes entre patrons et internes sont décrites avec réalisme : atmosphère de stress, conditions d’exercice pénibles, gardes prolongées…
Dans ce climat médical épuisant au rythme effrené se nouent des relations  entre patrons et internes quelquefois détonantes quelquefois respectueuses.
L’amitié, la solidarité et l’engagement professionnel sont  très présents chez les internes.
Ce contexte médical est la partie importante du roman, l’histoire de Cleo et Carter est sous-jacente.
Cleo, peu proche de son père ne se remet pas du décès de sa mère, décès accidentel ou suicide ?
Carter vit d’autres problèmes familiaux avec sa mère et son frère.
Tous deux cherchent des réponses à leurs questions.
Ce roman est dans l’air du temps, il rappelle les séries médicales télévisées. Il réunit action, situation conflictuelle, enquête, détresse, amitié et amour.
Un livre de détente et d’actualité médicale.
Éric FOTTORINO : Mon enfant, ma sœur (Ed Gallimard – 275 pages)
Éric Fottorino révèle avec douceur et poésie l’existence d’une sœur dont il a appris l’existence tard dans sa vie. Sa mère « qui a passé sa vie à ne pas la vivre » a eu un enfant, une petite fille qui lui a été arrachée à la naissance par les religieuses chargées de cacher aux yeux de la société bourgeoise bordelaise, une grossesse hors mariage.
C’est en  vers que l’auteur révèle la douleur d’une famille, une mère qui, même présente, semble  si souvent absente car en communion secrète avec son enfant disparue, une sœur en apnée qui maintenant que la vérité a enfin jailli des lèvres de la mère doit revenir au sein de la cellule familiale malgré la difficulté et surtout la crainte de ne savoir remonter le fil du temps.
Et pourquoi cette sœur que l’auteur a prénommée Harissa, car pleine de piment, pourquoi en effet cette sœur ne se transformerait-elle pas en Elisabeth ? En un seul vers Éric Fottorino révèle sa souffrance « le secret est une infection de l’âme ». Dans ce roman, l’auteur poursuit « Dix-sept ans » paru en 2018 et témoigne de la blessure d’amour jamais refermée de sa mère. Magnifique hommage à cette petite sœur et à cette mère qui a su survivre aux lois implacables de la société bourgeoise.

Lionel HOËBEKE : La cité radieuse de Marseille (Ed Hervé Chopin – 142 pages)
Nous étions juste après la guerre. En 1947 exactement. Charles-Edouard Jeanneret-Gris, plus connu sous le nom de Le Corbusier, est peintre, architecte, sculpteur suisse. Il commence à être connu mais son nom restera dans les annales lorsque le Ministère de la reconstruction lui demande de créer à Marseille la Cité Radieuse. Exactement sis boulevard Michelet, dans le huitième arrondissement.
Créatif de génie, il va donc s’attaquer à ce qui est aujourd’hui considéré comme un chef d’œuvre architectural, tant cette cité est ingénieuse, conceptuelle, innovante, d’une incroyable modernité, même si au départ elle eut tout de suite ses admirateurs et ses détracteurs.
Les Marseillais la baptisèrent « La maison du fada » mais elle reste aujourd’hui, au même titre qu’un monument historique, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
La cité radieuse est un village à elle seule puisqu’en dehors d’appartements incroyablement beaux et confortables, elle comprend des commerces, une école, des espaces collectifs. On peut y vivre sans en sortir !
Aujourd’hui c’est encore un lieu contesté de l’extérieur mais lorsqu’on y entre, c’est une découverte qui porte bien son nom car on s’y sent bien.
Lionel Hoëbeke est un fan de la première heure de cet architecte hors norme : A 16 an, il fait des économies pour acheter son premier livre sur lui. Et il ne cessera obstinément d’entrer dans son œuvre, jusqu’à écrire ce livre qui est à la fois un hommage admiratif et une bible car il a fait de nombreuses recherches, rencontré tous les gens qui vivent, fouillé les archives de fond en comble, jusqu’à y habiter !
Avec ce très bel album, très documenté et également très imagé, on apprend tout sur ce génie que fut le Corbusier, tout sur la Cité Radieuse que l’auteur a visité de fond en comble, en l’y incorporant dans l’histoire d’un homme, d’une ville, d’une œuvre  unique.
Antoine SENANQUE : Croix de cendres (Ed.Grasset – 426 pages )
L’auteur, éminent médecin puis historien, nous emporte aux XIIIème et XIVème siècles dans la France profonde qui va balayer toute une sinistre période de guerres, de peste, de luttes intestines.
C’est à la fois un roman historique et un polar moyenâgeux où vont s’affronter clergé, armées, puissants et petites gens.
Tout part du prieur dominicain Guillaume, qui envoie deux novices, Antonin et Robert, chercher du vélin à Toulouse, la peau de veau étant chère et précieuse, car il a à raconter d’importantes choses qui intéressent l’Inquisition .
Le titre « Croix ce cendres » fait appel à la croix tracée sur le front des fidèles, qui représente les péchés. Ici ce sera l’évocation de Maitre Eckart, théologien allemand, dénoncé par les dominicains et les franciscains devant l’Inquisition pour hérésie.
Le roman en fait un super méchant qui va tramer une sombre histoire de lutte parmi la vie ecclésiastique et monastique du XIVème siècle. On y côtoie les béguines, les moniales, les conflits entre dominicains et franciscains, les épidémies de peste, la guerre de Crimée. Bref une longue et difficile période décrite avec forces détails et reconstitutions, un travail d’érudit certes qui fait revivre avec talent une grande épopée mais parfois un peu ardue à suivre.
Réservé à un certain public.

Irène FRAIN : Ecrire est un roman (Ed Seuil – 279 pages)
Irène Frain fait partie des écrivains reconnus et appréciés par de très nombreux lecteurs.
Vient de paraître « Écrire est un roman » où elle explique avec aisance, bonheur et vérité le pourquoi de l’écriture. Car oui, pour qui, pour quoi, comment écrit-on ? Elle se révèle dans sa recherche d’écriture, ses ateliers et ses lectures nombreuses et variées. Elle rappelle qu’Hérodote, le père de l’Histoire peut aussi être appelé le Père du Mensonge, au lecteur avisé de déterminer son jugement.
Agrémenté de très nombreuses citations, de reproductions d’éditions anciennes Irène Frain devient au fil de la lecture une relation puis une amie du lecteur car sa sincérité crée un lien très personnel.
Une lecture très agréable, ponctuée de très nombreuses références littéraires et historiques, ce dernier écrit d’Irène Frain est une réussite.
Alain ARNAUD : Le crime de l’Express Côtier (Ed. exæquo -184 pages)
Comme à chaque rentrée littéraire Alain Arnaud nous entraine dans une nouvelle destination, parcourue pendant la belle saison estivale.
Ici le grand Nord, à bord de l’Express Côtier qui rentre des fjords de Norvège pendant laquelle se sont retrouvés de nombreux passagers dont un petit groupe de Parisiens réunis pour des vacances amicales dans ces lieux enchanteurs. Mais à l’arrivée au port un évènement inattendu vient semer le trouble : Un passager est retrouvé assassiné dans sa cabine.
C’est autour de Daphné, jeune invitée et pivot du groupe, que va se dérouler le schéma du séjour et se dénouer le mystère. Les personnages sont décortiqués par ses soins dans un décor de rêve et de réalité, dans lesquels les éléments s’emboitent. L’occasion pour l’auteur de cerner les personnages, d’évoquer en touches poétiques les lieux parcourus et de nous maintenir dans un suspense qui nous conduira à la résolution du mystère.
Belle écriture, beaux paysages aux personnages intéressants. On est pris par le suspense qui émane de cet imbroglio

Vahina GIOCANTE… Sept ans de réflexion


« Femmes »… 22ème !
Eh oui, le festival varois a aujourd’hui 22 ans et, après loucha Dassa qui l’a créé, c’est, depuis quelques années, Luc Patentreger qui l’a repris de main de maître, mettant toujours dans les projecteurs, la femme dans tous ses états.
Du Six N’Etoiles au Liberté en passant par le Casino Joa, le Royal, le centre Tisot, le centre Nelson Mandella ou encore le Chapiteau Circoscène, la femme est sur les écrans varois, venue de tous les pays, avec de belles ambassadrices telles que Virginie Peyre, présidente de l’association « Les amis de Romy » qui œuvre contre les violences faites aux enfants, Béatrice Metayer Chargée de mission politique de santé publique à Six-Fours et partie prenante de ce festival et celui-ci  a été inauguré au Six N’Etoiles par la lumineuse comédienne Vahina Giocante.
De racines corse et andalouse, ayant vécu à Aix-en-Provence, cette belle femme blonde au regard bleu horizon est on ne peut plus méditerranéenne. Après une carrière débutée à 13 ans, cet ex danseuse a tourné avec les plus grands réalisateurs : Benoit Jacquot, Claude Chabrol, Gabriel Aghion, François Ozon, Philippe Lellouche… et bien d’autres.
Partenaire de Depardieu, Bruel, Emmanuelle Béart, Sandrine Bonnaire et aussi bien d’autres, elle a un jour décidé de tout arrêter pour aller se reposer, faire un retour sur elle-même et pour cela, elle a choisi Los Angeles où elle est restée sept ans. Sept ans de réflexion dit en riant l’invitée du festival

Soirée d’inauguration…
… Avec Luc Patentreger

Aujourd’hui elle s’en revient pleine d’usage et raison, pleine de projets, pleine d’énergie… Et toujours aussi belle !« Vahina, vous voilà redevenue méditerranéenne. Est-ce que cela vous a manqué ?
Evidemment car mon cœur est attaché à la région. Ici, je me sens chez moi. Je me sens d’ailleurs chez moi sur tout le pourtour de la Méditerranée !
Aujourd’hui j’habite à Paris, après être passée sept ans aux Etats-Unis dont je suis revenue en mai dernier mais il se trouve que mon compagnon est de Nice et l’on se débrouille toujours pour venir y passer du temps.
Votre premier amour n’a pas été le cinéma mais la danse…
C’est vrai, ça a commencé par la danse à l’Opéra de Marseille, avec les ballets Roland Petit. La danse a été mon premier amour, je me rêvais en danseuse étoile, puis mon chemin a bifurqué.
Pour l’avoir rencontré, Roland Petit n’était pas un gentil !
(Elle rit) Oui, bien sûr, mais la danse est un métier de rigueur. Il faut accepter d’être formatée pour ça, mais en même temps, c’est très constructif. C’est important d’avoir ce cadre très jeune. C’est beaucoup de travail et je suis partisane de la discipline. Sans cela on n’arrive pas à grand-chose. En tout cas, cette discipline m’a beaucoup aidée pour la suite. Elle m’a donné une structure.
La danse ne vous a pas manqué ?
Oui, beaucoup car ça m’a appris à avoir un rapport au corps. Il y a mille façons de marcher, de se mouvoir, de bouger, de se tenir. J’ai continué les pratiques de la danse, avec plus de souplesse, moins de rigidité.

« 99 francs » avec Jean Dujardin
« Secret défense »
« Bellamy » avec Gérard Depardieu

Alors, pourquoi avoir arrêté ?
Parce qu’à 13 ans, on m’a proposé un premier rôle dans un film. J’en ai parlé à la directrice qui m’a dit de faire un choix : faire la belle devant une caméra ou être présente 22 heures par semaine pour m’entraîner ! Faire un choix si jeune a été un peu compliqué mais comme j’avais l’esprit rebelle, j’ai choisi le cinéma, la liberté, sans savoir où ça allait me mener. Mais c’est pareil en danse, devenir étoile n’est pas une promesse. Je ne regrette absolument pas d’avoir fait ce choix.
Alors, ce premier film ?
« Marie, baie des anges » de Manuel Pradal. Ce qui est drôle c’est que nous avons tourné dans les parages et il y a une scène où l’on voit en fond les deux frères… comme aujourd’hui ! Retour au bercail !
Après ce premier film ?
Tout a continué, je me suis retrouvée face à Emmanuelle Béart et Sandrine Bonnaire dans « Voleur de vie » d’Yves Angelo, ont suivi « Le libertin » de Gabriel Aghion, « Pas de scandale » de Benoît Jacquot, tout a continué avec « Un lever de rideau » de  François Ozon, « Bellamy » de Claude Chabrol… J’ai vraiment eu de la chance, sans jamais devoir frapper aux portes, même s’il y a quand même eu beaucoup de travail. Et tout s’est enchaîné jusqu’à mes 35 ans. Là j’en ai eu marre d’être toujours exposée sur les plateaux, dans les médias. J’ai voulu prendre du recul, savoir qui j’étais vraiment en dehors du cinéma.
Et alors ?
Je suis partie à Los Angeles pour me faire oublier, pour me retrouver… Plutôt pour me trouver,  me découvrir. A Los Angeles il y a quelque chose de très léger, les gens sont accueillants et n’ont pas de jugement de valeur sur vous. C’était une page blanche pour moi, même si la page blanche pouvait être dangereuse. Mais ça m’a fait du bien.

Sept ans, c’est long !
(Elle rit) Sept ans de réflexion ! Ce qui m’a fait revenir en France et tourner de nouveau avec plaisir et gratitude.
Avez-vous tourné là-bas ?
Oui, dans des films indépendants, dans une autre langue, dans d’autres structures, d’autres façons de faire. Mais mon cœur est ici !
Vous n’aviez pas peur d’être oubliée ?
Non, car je n’ai jamais été rongée par l’ambition. La célébrité ne m’a jamais vraiment excitée. J’ai toujours eu envie de jouer, de m’amuser. Et si l’on m’a oubliée, ce n’est pas grave. C’est même bien car aujourd’hui je ne suis plus la même, je suis plus solide, je me connais mieux. Je suis sereine et cette parenthèse, ça a été quelque chose d’extrêmement salvateur. Je prends les choses avec recul et j’ai des projets à moi !
Parlons-en
Je n’ai pas encore envie d’en parler car c’est en phase de développement. Je vous en parlerai en temps utile ! Ce que je peux vous dire c’est que ce n’est pas seulement en tant que comédienne mais aussi scénariste, réalisatrice et possiblement productrice.
J’ai plein d’envies, il y a mille manières de raconter des histoires. Jusqu’ici j’ai toujours raconté les histoires des autres, il est temps que je raconte mes propres histoires.


Bientôt sur les écrans : « Valensole 65 »

Depuis votre retour, une série est sortie ?
Oui, « La jeune fille et la nuit » de Bill Eagles qui a d’ailleurs été tournée dans la région, et qui a eu une belle audience. Et puis, j’ai tourné dans un film « Valensole 65 », de Dominique Filhol, avec Mathias Van Khach. C’est tiré d’une histoire vraie où un couple d’agriculteurs a vu ou cru voir un engin au milieu de leurs lavandes, à Valensole le 1er juillet 65. On en a beaucoup parlé à l’époque.
Parlons un peu de ce festival « Femmes » qui vous a amenée chez nous en tant qu’invitée.
J’y ai été invitée par Virginie Peyre, qui est ambassadrice du festival. J’ai trouvé le concept extraordinaire car il y a de plus en plus de réalisatrices et qu’elles ont une façon différente de travailler. C’est pour moi un festival précurseur car on y voit les choses, les problèmes, la façon de faire de façon différente. Evidemment, au niveau des femmes, il y a encore beaucoup de travail mais on y arrive plus facilement par le dialogue. Ce genre d’événement nous offre la possibilité d’échanger et pas nécessairement en étant en colère, même si quelquefois il y a de quoi l’être. On a la chance que le cinéma soit pour les femmes un vecteur important.
Au bout de sept ans d’absence, comment trouvez-vous le cinéma français ?
Je le trouve encore vivant, diversifié, je pense qu’il a bien résisté à la pandémie. Il reste toutefois encore un peu frileux mais il n’est pas formaté. Il se tourne encore de belles œuvres. Je pense qu’en France nous sommes des chanceux et c’est de vivre aux Etats-Unis que ça m’a permis de m’en rendre compte !
Aujourd’hui je reprends le chemin de ce cinéma pour pouvoir explorer toutes mes envies avec plein d’autres bagages. »

Propos recueillis par Jacques Brachet

Leïla Messaï, Virginie Peyre, Vahina Giocante, Luc et Martine Patentreger, Hicham Mrabit


Juliette CHANAUD
avec la tête, avec le coeur, avec les mots


Elle est, comme nombre de métiers du théâtre et du cinéma, une femme de l’ombre puisqu’elle est créatrice de costumes.
Véritable artiste elle-même, elle habille comédiens et comédiennes mais elle a sa manière bien à elle de le faire puisqu’elle les vêt des impressions que lui donnent les mots, les histoires, selon leur rôle, leur personnalité, selon l’histoire personnelle que lui inspire le personnage. Avec la tête, avec le cœur comme l’aurait dit un chanteur mal aimé !
Elle fut la complice de réalisateurs comme Jean-Michel Ribes, Patrick Timsit, Jean-Luc Moreau, Didier long au théâtre… Aucinéma avec Pierre Granier-Deferre, Robert Guédéguian, Mathieu Amalric, Bruno Podalydès, Charlotte de Turkheim…
Et c’est grâce à la présidente de « Lumières du sud »  Pascale Parodi, que Juliette Chanaud est venue nous parler de sa passion… Même si aujourd’hui elle est en train de passer à autre chose.
Sa passion, elle nous l’a communiquée et j’ai passé un moment magnifique avec cette artiste volubile qui a mille anecdotes à raconter, ce dont les adhérents de « Lumières du Sud » ont bien profité !

« Juliette, comment vous est venue cette passion du costume ?
J’ai d’abord travaillé dans la mode, la haute couture, le prêt-à-porter. Mais en fait, ça ne me plaisait pas du tout.
Alors, pourquoi y être allée ?
J’ai passé un bac publicitaire, passé le concours des Beaux-Arts de Paris. J’avais alors 18 ans et plutôt envie de faire la fête. Mais comme nous n’avions pas beaucoup d’argent, je faisais moi-même mes robes. Mon père qui, voyant que j’allais de moins en moins aux Beaux-Arts et de plus en plus dans des fêtes, m’a inscrit à l’école de la Chambre de haute couture parisienne. De ce fait, j’ai dû retourner à l’école et je suis entrée dans ce métier que je n’avais pas réellement choisi. Mais je pleurais tout le temps car ça ne me plaisait pas.
Et le théâtre est venu comment ?
J’ai commencé à aider de petites troupes qui avaient peu de moyens. Grâce à elles j’ai appris le métier. Je n’ai pas fait d’école du costume, même si, après ça m’a manqué. Mais j’avais alors 35 ans et j’étais déjà dans le métier.
Qu’est-ce qui vous a plu ?
Je me suis très vite rendu compte qu’en fait la mode, c’est une industrie et je n’étais pas faite pour ça. Ce que j’aimais, c’était les textes, les mots et créer autour d’eux. Je pouvais alors mettre mon savoir-faire au service de quelque chose que j’aimais. Parallèlement à mon métier de styliste, je pouvais m’exprimer grâce aux textes, aux comédiens. Je me sentais à ma place. Je commençais à avoir des contacts.
Un jour, il a fallu choisir… Et j’ai choisi !

Et vous avez rencontré Jean-Michel Ribes !
Oui, c’est lui qui m’a donné ma chance professionnellement en travaillant sur des textes. C’étaient ceux des « Brèves de comptoir » de Jean-Marie Gouriou. J’ai fait trois spectacles avec eux et créé 130 costumes pour six comédiens. J’ai trouvé ça très amusant d’habiller ces petites phrases, chacun des comédiens devant se changer en trente secondes.
Comment travailliez-vous avec lui ?
En toute liberté et avec la chance d’avoir des idées qui arrivaient malgré moi. Je créais, j’achetais, je modifiais à ma convenance et ça marchait. Puis j’ai travaillais sur un film de Jean Benguigui à qui j’avais fait des costumes pour « Brèves de comptoir ». C’était « Hôtel des Caraïbes » avec Didier Boudon.
Et le cinéma ?
Encore grâce à Jean-Michel Ribes.
J’ai un ami d’enfance qui est le frère de Charlotte de Turkheim. Elle m’a proposé de travailler sur son film mais en même temps Jean-Michel me proposait de travailler sur « Bataille », une pièce de Topor. J’ai choisi ce dernier mais un jour, je dis à Jean-Michel : « Tu sais que j’ai raté mon entrée au cinéma à cause de toi ? ». Il me répond alors : « Je ne savais pas que ça t’intéressait. Je fais un film en septembre. Fais-le ! ». Et là, c’était dingue. Le film était « Chacun pour toi » avec Jean Yanne et Dupontel, il y avait mille figurants à habiller, on a tourné en France, en Allemagne, en Tchécoslovaquie et partout j’amenais des tonnes de costumes ! Pour mes débuts au cinéma, j’étais gâtée ! Mais ça a été une chance et tout a démarré.
Et il y a eu entre autre votre rencontre avec Robert Guédéguian.
Oui, j’ai travaillé sur un film avec Ariane Ascaride et elle me racontait en riant que son mari voulait tout faire sur ses films, même trouver les costumes. Et elle m’a proposé de travailler avec lui. La première fois, ça a été épique, c’était pour « Mon père est ingénieur » : Je suis allée aux Galeries Lafayette où j’avais repéré quelques costumes. Robert me propose de venir avec moi, ce qui était rare pour un réalisateur. D’autant plus rare qu’il est arrivé avec Ariane, Darroussin et Meylan ! On aurait dit une maman qui venait habiller sa famille !
Comment travaillez-vous avec le réalisateur et les comédiens ?
D’abord, je lis le scénario, puis je rencontre le réalisateur, je lui fais des propositions, il me dit ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas et lorsque nous sommes tombés d’accord, je rencontre les comédiens avec qui, en général, ça se passe bien. J’ai eu quelques problèmes avec certains qui n’aimaient mon choix ou qui ne voulaient pas essayer le costume. Mais en général c’est sans problème.

Et Charlotte alors ?
Elle ne m’en a pas voulu et j’ai travaillé avec elle sur « Qui c’est les plus forts ? » avec Audrey Lamy.
Vos projets aujourd’hui ?
Tourner la page !
C’est-à-dire ?
J’ai décidé d’arrêter. J’ai 65 ans et j’ai envie de faire autre chose et peut-être de m’accorder un troisième métier. J’ai plein d’envie dont, depuis longtemps, créer des rideaux ! (elle rit) Et puis, j’ai des petits-enfants dont j’ai envie de m’occuper, d’autant que j’ai perdu mes parents cette année. Par contre, ce qui est étonnant, c’est que du jour où j’ai pris cette décision, j’ai commencé à oublier le nom des gens avec qui j’ai travaillé !
Là, je termine deux pièces de théâtre : « Berlin, Berlin » de Patrick Haudecoeur et « Une idée de génie » de Sébastien Castro, deux gros succès. Après, je me dis que tout peut s’arrêter et que j’ai envie de profiter de la vie. J’ai une maison à Palma de Majorque où j’ai une vue éblouissante et j’ai envie de la retrouver. Je suis d’un naturel optimiste, je suis facile à vivre et je suis heureuse. »
Ce sera le mot de la fin… En attendant de découvrir ses rideaux !

Propos recueillis par Jacques Brachet

Serge REGGIANI aurait 100 ans

Avec ses enfants

Si je vous parle aujourd’hui de Serge Reggiani, c’est qu’il aurait eu cent ans cette année et que ma carrière de journaliste a commencé (très mal !) avec lui
je viens tout juste d’entrer à Var-Matin, au milieu des années 60, alors que les «yéyés» sont en pleine explosion et que ma seule envie est de les rencontrer.
Et voilà que ma rédactrice en chef me demande, pour ma première grande interview, d’aller rencontrer… serge Reggiani qui passe à l’opéra de Toulon avec Jacques Martin et de faire un papier sur les deux artistes.
Martin, passe encore mais Reggiani, ce «vieux» comédien (qui n’a alors pas encore 50 ans !) je connais son nom, quelques titres de ses films mais le chanteur me parle peu
Contre mauvaise fortune bon cœur, de toutes manières je n’ai pas le choix. Je prends donc rendez-vous avec lui, bosse sa bio et me pointe à l’opéra où le monsieur m’attend et m’accueille chaleureusement, ce qui me rassure un peu.

A l’Opéra de Toulon
Encore à Toulon, quelques temps après

Il m’invite à m’asseoir, je sors mon petit magnéto de poche dont je me sers pour la première fois et je pose ma première question à laquelle il commence à répondre. Mais très vite, il s’arrête de parler et me dit : «Votre magnéto ne tourne pas».
Panique. Quand on m’appelle «jako la bricole» c’est par ironie car je ne sais pas planter un clou ! Alors la mécanique, n’imaginez même pas !
Après plusieurs essais infructueux, de plus en plus paniqué, Reggiani voyant ça, me dit : «attendez, je m’y connais un peu donnez-moi l’appareil». Et la sentence tombe très vite : «Vous n’avez pas mis de pile !».
Je rougis de confusion mais notre Reggiani, toujours d’une gentillesse extrême (il a très vite compris qu’il a affaire à un néophyte, dans tout le sens du terme !) me dit alors : «Ce n’est pas grave, c’est pour un journal, prenez des notes…»
Et re-panique car je n’ai ni papier ni stylo. Je sens le fiasco et surtout j’appréhende la colère de l’artiste… qui me propose alors son stylo et son bloc-notes !
De plus en plus confus, je reprends en tremblant l’interview mais j’écris vite, mes questions le rassurent car il voit que j’ai bossé, que je sais ce qu’il a fait et qu’en fait mes questions sont pertinentes.
Comme il doit se préparer pour aller chanter, que Jacques Martin a presque terminé et que je lui dis que je dois à son tour l’interviewer, il me dit en souriant : «Gardez mon stylo et mon bloc, vous les déposerez dans la loge en partant»

A Aix-en-Provence durant son exposition
Après le spectacle

Je pousse un grand ouf de soulagement, m’excuse et le remercie chaleureusement. Il me dit en riant : «Il y a un début à tout et vous saurez ce qu’il faut faire la prochaine fois. Bon courage».
On ne pouvait pas être plus gentil.
Mais là ne s’arrête pas l’histoire.
Je vais donc à la rencontre de Jacques Martin et là, tout se passe bien, je suis équipé. Même si le monsieur n’est pas aussi simple et gentil que le premier. Mais bon, j’ai mon interview et je peux passer dans la fosse d’orchestre pour aller faire quelques photos de Serge Reggiani.
J’ai un appareil photo… qui marche… et qui flashe malheureusement.
Au premier flash, l’artiste s’arrête de chanter, pointe son doigt vers moi (heureusement, je suis dans le noir !) et s’écrie : «J’ai dit pas de flash… Sortez !».
Je ne demande pas mon reste… Courage, fuyons !
Revenu dans les loges, je me dis que je vais attendre la fin du tour de chant pour m’excuser, arguant que je n’étais pas dans la fosse quand il a demandé de ne pas flasher. Aujourd’hui, on n’a plus de flash mais à l’époque…
Je rencontre le directeur de l’opéra, qui est un ami de mon père, à qui je raconte mon histoire. Il rit de bon cœur et me suggère : «Je serais toi, je partirais sans le revoir. Il ne t’a sûrement pas reconnu »

Je crois qu’il a raison. Je vais déposer bloc et stylo dans sa loge… Et je m’enfuie comme un voleur.
C’aurait pu être la fin de «ma carrière» si je n’étais pas tombé sur un type épatant comme Serge Reggiani qui, ce jour-là, m’a donné une belle leçon. De ce jour j’ai toujours été précautionneux, vérifiant le magnéto, ayant toujours un bloc et plusieurs stylos (on ne sait jamais !) dans ma sacoche.
Deux, trois ans plus tard, j’ai de nouveau rencontré Serge Reggiani pour l’avant-première du film «Comptes à rebours» qu’il était venu présenter à Toulon avec le réalisateur Roger Pigaut. Je lui rappelai notre première rencontre dont d’ailleurs il ne se souvenait pas mais cela l’a fait rire.
Je devais le retrouver une  fois encore à la fin de sa vie. Invité d’honneur au Festival de la Chanson Française à Aix-en-Provence. Il était déjà très affaibli et venait présenter son livre, une exposition de ses œuvres car il avait découvert la peinture sur le tard et donner un récital. Qu’il donna d’assis car il avait du mal à se mouvoir. C’était à la fois pathétique et émouvant. Émouvant surtout car  il était entouré de ses enfants Karine et Simon qui vinrent le rejoindre pour chanter avec lui.
Mais le repas donné en son honneur fut joyeux et brillant car il nous raconta plein d’anecdotes.
Voilà comment je débutais dans ce métier qui aurait ne pas avoir de suite… Et que je poursuis depuis plus de 50 ans !

Jacques Brachet