Archives mensuelles : avril 2023

Pierre PORTE : « Je jouerai jusqu’à mon dernier souffle »

Pierre Porte est l’un de nos plus talentueux compositeurs, musiciens et chefs d’orchestre français, à l’instar de Franck Pourcel, Paul Mauriat, Michel Legrand, Vladimir Cosma, Francis Lai… Ils sont peu nombreux à avoir importé la musique française dans le monde entier.
Artiste multiple, Pierre Porte est passé de la chanson à la revue et au classique, du théâtre à la musique de films, travaillant avec les Carpentier et Jacques Martin, avec les Folies Bergère et le Moulin Rouge… Aujourd’hui il a conquis la France et le monde
Marseillais de souche, il s’est d’abord partagé entre deux conservatoires, Marseille et Toulon avant de « monter » à Paris où il a été reçu au Conservatoire National Supérieur de Musique dans les classes d’écriture de Maurice Duruflé, Marcel Bitsch et Alain Weber en 1966. Il a accompagné nombre de grands chanteurs, arrangeant leurs chansons ou leur en composant : Johnny, Hallyday Sylvie Vartan, Serge Gainsboug, Dalida, Marie Laforêt, Jean-Jacques Debout, Mireille Mathieu, Thierry le Luron…
Il a travaillé avec les plus grands : Ella Fizgerald, , Claude Bolling, Charles Aznavour, Johnny Mathis, l’Opéra de Huston, Gilbert Bécaud et bien d’autres.
Il a à son actif une trentaine d’albums, une vingtaines de BO pour le cinéma et les séries télé sans compter les nombreuses chansons, trois revues pour les Folies Bergère et les deux dernières revues pour le Moulin Rouge, « Formidable », 12 années de succès et « Féerie » depuis 24 ans, toujours à l’affiche aujourd’hui

Ce printemps 2023 marque la sortie de ses mémoires « Le piano est mon orchestre » (Ed l’Archipel). En parallèle à ce livre de souvenirs, Marianne Mélodie édite un coffret de trois CD où l’on retrouve une partie de ses œuvres « Pierre Porte, Grand Orchestre » et un retour à la scène avec le concert qu’il a donné le 20 mars à la Nouvelle Eve à Paris. 
Bref, l’homme est musique et l’on a plaisir à le lire nous raconter ses aventures autant humaines que musicales.
Quant à l’écouter, c’est un autre grand plaisir tant il est magnifiquement éclectique, passant d’un hommage de Piaf à Beethoven, de Brel à Mozart, de Chopin à… Pierre Porte, de « Féerie » à Cole Porter…
Trois CD pour passer d‘une musique à l’autre avec, de temps en temps la sublime voix de Liliane Davis qui, de Johnny à Cloclo en passant par Aznavour, Trenet, Gainsbourg, a accompagné les plus grands.
C’est un régal et, cerise sur le gâteau, Pierre Porte himself qui m’accorde une interview !
« Pierre Porte, pourquoi tant d’événements cette année ?
Parce que ça fait quelque cinquante ans de carrière. J’avais envie de me raconter dans ce livre de souvenirs, quant à ce coffret de trois CD c’est mon ami Matthieu Moulin qui me l’a proposé et Marianne Mélodie a suivi. Il se compose donc de trois albums, le premier est composé de mes propres productions dont les musiques écrites pour les émissions de Jacques Martin « Musique and Music », « Bon dimanche », la plupart de mes compositions a été produite par la maison Victor JVC au Japon
Le second CD démarre par un extrait de la bande originale de la revue du Moulin Rouge « Féerie », avec entre autres un hommage à Edith Piaf, enfin le troisième avec des orchestration des morceaux classiques signés Wagner, Liszt, Beethoven, Mozart, Chopin, des reprises de musiques que j’ai signées et pour terminer ce CD un autre extrait de la revue du Moulin Rouge « Féerie ».
Enfin, le concert du 20 mars à la Nouvelle Eve à Paris. Je ne m’étais pas produit dans la capitale depuis l’Olympia 1983 et le Théâtre des champs Elysées en 1984.

Paris où tu as travaillé avec Gilbert et Maritie Carpentier…
Oui, grâce à Claude Bolling qui me présente en 1970 aux Carpentier et avec lesquels je collaborerai à une centaine de shows durant 5 ans avant de rejoindre Jacques Martin au Théâtre de l’Empire en 1977.
Bizarrement, aussi bien les Carpentier que Jacques Martin t’ont un peu oublié par la suite !
(Il rit). Tu connais le métier : Les Carpentier m’ont boudé parce que je suis allé travailler avec Jacques Martin et après la fin de son contrat avec antenne 2 en 78 et deux années sabbatiques, Jacques est revenu à l’antenne avec de nouvelles émissions mais il ne m’y a jamais invité. C’est dommage qu’ils m’aient tourné le dos mais je n’ai pas cherché d’explication… D’ailleurs je t’avoue que je m’en fous !
Puis il y a eu les revues !
Oui, d’abord aux Folies Bergère où j’en ai signé trois, en 77, 82 et 87, puis au Moulin Rouge où j’en ai signé deux : « Formidable » en 89 et « Féerie » dix ans après.
Sans compter les artistes avec qui tu as travaillé…
Et que je rencontrais souvent chez les Carpentier : Sylvie Vartan avec qui j’ai travaillé en 75 et 76 au Palais des Congrès. Mais j’ai aussi dirigé le grand orchestre philharmonique de Nice à Salon de Provence au Château de l’Emperi pour Ella Fitzgerald. J’ai travaillé avec Thierry le Luron que j’ai dirigé à l’Olympia, avec Johnny à qui j’ai écrit, avec Michel Mallory et Jean-Pierre Savelli « Fou d’amour ».
C’est toi qui les appelais ?
Je n’ai jamais appelé personne, c’est un peu le fruit de nombreuses rencontres. Il faut savoir saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent et surtout décrocher son téléphone avant qu’il ne sonne !
C’est pourquoi tu as une formule : « Je dis oui à tout » !
Oui, ça c’est quand tu débutes, tu dis oui à tout car il faut travailler et te faire connaître. Jusqu’à 50 ans où tu dis « oui… mais… » car tu ne peux pas faire tout ou n’importe quoi. A partir de 60, il faut que tu apprennes à dire non !
De toutes façons, tu es très éclectique : pianiste, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre, que ce soit dans le jazz, le classique, la variété…
J’aime diversifier les plaisirs, changer de casquette, à partir du moment où je parle musique. Quant aux styles, en dehors du jazz où je n’oserais pas aller, que j’aime mais qui n’est pas vraiment dans mon langage musical. D’autres le font mieux que moi ! Mais je suis curieux de découvrir, d’apprendre, de jouer. Ma vie, c’est la musique ! par exemple pour le Moulin Rouge depuis 36 ans, lorsque je compose Je reste dans la tradition et la continuité évolutive ! C’est vrai que chez les Carpentier j’ai appris à passer d’un style à l’autre avec des chanteurs et des comédiens très différents et des duos quelquefois improbables et ça, c’est une bonne école car il fallait s’adapter et réagir vite.

Et la musique de films entre autres : tu as travaillé avec Roger Vadim, Yves Boisset, Christian-Jaque, Joseph Losey…
Là encore le hasard et les rencontres avec des amis, des amis d’amis, des gens qui ont entendu parler de mon travail… Par exemple, Christian-Jaque a vu et entendu une musique d’un ballet que j’avais écrit pour les Carpentier et ça lui a donné l’idée de m’appeler pour la musique de son film « Docteur Justice ». C’était le genre de musique qu’il cherchait. J’ai également écrit beaucoup de musiques pour des séries télévisées.
Tu as donc débuté très tôt…
J’ai toujours aimé la musique et à 13 ans on m’a demandé d’accompagner un spectacle au piano. Puis, à 15 ans, avec mon frère, mon cousin et quelques amis, nous avons créé un petit orchestre. On jouait pour des fêtes, des communions
Après quoi je suis entré au conservatoire de Marseille et de Toulon…
Pourquoi les deux ?
Parce qu’il y avait dans les deux conservatoires des professeurs très différents qui m’enseignaient des disciplines différentes comme le solfège et le piano à Marseille, à Toulon toujours le piano, avec André Millecam mais aussi l’écriture, l’harmonie et contrepoint avec M Buisson.
Alors aujourd’hui, tes projets ?
Je suis en train de préparer le DVD du concert de la Nouvelle Eve. Et puis j’écris, je joue, je n’arrête pas…Je n’ai jamais arrêté. je fais des concerts avec mon piano qui est un orchestre à lui tout seul. les 88 notes du clavier sont le reflet de toutes les tessitures des instruments qui composent un orchestre symphonique Mon bonheur c’est la musique et la scène.
Et je jouerai et composerai jusqu’au dernier souffle.

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Christine Ledroit-Perrin

Notes de musiques

Max DARMON : La grande aventure (Antipodes Music – 6 titres)
Max Darmon est d’abord bassiste, puis auteur compositeur, et le voilà qui se frotte à la chanson ; oui « C’est une grande aventure », réussie. Voix chaude et virile, qui reste dans le médium, avec du charme, et de la douceur. « Fuis-moi » est assez représentative de ses différentes qualités. Il est entouré par des claviers et des perçus, et même un oud, sur de arrangements assez bateaux.
Les thèmes tournent autour de l’amour, le plus souvent malheureux. Il utilise parfois le parlé chanté rythmé, comme dans « La grande aventure ».
Un chanteur en devenir. A suivre.
AÎTONE : Follow (Musigamy / Inouïe Distribution – 11 titres)
Aïtone, c’est une forêt en Corse, et c’est aussi un groupe corse, qui revendique sa « corsitude ». Voici leur second album réalisé par François Poitou. C’est un groupe homogène avec un son de groupe personnel, des arrangements (de François Poitou) qui se fondent dans la voix, qui devient un instrument comme les autres.
Le chanteur joue d’une voix intimiste, comme sortie de la nuit (« Inner Child »), qui peut monter dans l’aigu (« Nightmare »), ou devenir rauque et puissante (« Le temps de l’autre ».
Ce groupe est parfaitement à la place d’honneur dans ce qu’on appelle la pop anglo-saxonne.

Caesar SPENCER : Get Out Into Yourself (New Radio Records – 11 titres)
Un magnifique livret façon BD, qui donne les paroles des chansons. Bravo !
On nous présente Caesar Spencer comme Anglais né au Pérou, également Suédois, mais qui réside en France depuis 2008. Extraits d’une interview de Paris Move : « Je voulais donner quelque chose en retour à un pays qui m’a tant offert (…).Je voulais démontrer qu’en France, il y a une sophistication dans la créativité musicale qui n’existe nulle part ailleurs. Je prends mon univers anglo-saxon et je le déplace dans un contexte français… C’est à la fois étrange, et fascinant.” C’est bien vu. Le chanteur possède une voix grave, vibrante, au charme très particulier. Par la voix, la façon de chanter, le son du groupe, on est très proche de l’Australien Nick Cave and the Bad Seeds, en plus solaire. « Isn’t that what jimi said » (hommage à Hendrix ?) est assez emblématique du fonctionnement du groupe.
Les mélodies sont belles, prenantes ; elles restent en mémoire, même si elles sont proches musicalement les unes des autres, reposant souvent sur des chœurs et des arrangements bien moulés et efficaces. Pas mal d’invités aussi. Un beau duo avec Mareva Galanter sur « When I whisper in your ear », beau chant d’amour. Les thèmes sont assez variés.
Ce disque exerce une sorte de fascination par le côté lancinant des mélodies qui vous enveloppent et ce chant des songes dégagé par l’ensemble. Groupe qui a tout à fait sa place dans l’univers pop rock British-French dans ce qu’il a de meilleur.
Louis ARLETTE : Sacrilèges (Le Bruit Blanc)
Quelques-uns des plus grands poèmes du patrimoine mis en chansons ; formidable ! Rare de nos jours. Je mets avec gourmandise le disque sur la platine. Hélas, première déception, « La Ballade des Pendus » est susurrée sur une scansion slam, pas une mauvaise idée, mais les paroles sont inaudibles même quand on connaît le poème par cœur. « A son âme » de Ronsard, plus réussi. « Tristesse » de Musset, chanté  sur un air agréable. « El desdichado », chanté façon Renaud. « La fin de la journée » de Baudelaire, chantée aussi, mais là encore, difficile de comprendre les mots. Mauvaise prise de son ? Les airs sont assez banals. On est loin de Brassens, ou de Léo Ferré par exemple, même si la démarche est autre. Certes le CD s’intitule « Sacrilèges », donc volonté de déboulonner les statues, peut-être de déconstruire ; mais après il faut reconstruire. On espère une suite plus corsée. On est quand même au degré zéro de la poésie. Je ne peux m’empêcher de penser à Victor Hugo, qui déclarait : « Défense de déposer de la musique le long de mes vers ». Mais l’appropriation est libre ; le tout c’est de la réussir, d’être au niveau du poème.

Serge Baudot  

Six-Fours – Six N’Etoiles
Laure PRADAL : la passion Doc

Après avoir quitté son Ardèche natale à 18 ans, Laure Pradal a fait des études scientifiques et d’enseignement math-physique, à Lyon, Nîmes, Montpelier. Suite à un déclic, une rencontre à la fac de lettres avec un réalisateur, elle décide de s’orienter vers le cinéma. Non pas de fiction mais de documentaire. Et la voilà qui va très vite réaliser des courts-métrages pour l’émission de « Strip Tease », émission venue de Belgique mais qui s’installe sur Canal Plus.
Ce sera le coup de foudre et de ce jour,elle n’arrêtera pas de réaliser des documentaires pour France 2, France 3 et Arte.
Grâce à sa rencontre au festival Méditerranéen de Montpellier avec Pascale Parodi, présidente de l’association six-fournaise « Lumières du Sud » et de Noémie Dumas, directrice du Six N’Etoiles, la voici venu nous présenter son dernier doc : « Des livres et des baguettes ». Un documentaire où un jeune animateur, Nourdine Bara, a eu la superbe idée de réunir, dans une boulangerie d’un quartier populaire de Montpellier, la Paillade, des rencontres autour du livre « Dites-le avec un livre ». Un lieu de rencontres mensuel où se retrouvent, adultes et enfants venus de tous horizons, de toutes ethnies, qui se réunissent pour parler de leurs livres préférés ou leurs propres écrits, d’en lire des passages, de faire de la musique, de chanter, de parler d’eux dans une joyeuse convivialité, avec des témoignages émouvants ou drôles, en toute liberté d’expression. Un lieu chargé d’universalité, de bonnes ondes et de fraternité.
Et on ne pouvait s’empêcher de se dire que si la même chose se produisait partout ailleurs, le monde serait meilleur.

Laure Pradal a toujours choisi des sujets qui parlent à tout le monde, qui parlent d’humanité.
« Mes sujets sont variés puisque, pour « Strip-Tease » je réalisais des films sur l’enfance, puis je suis passée à d’autres sujets comme le portrait d’une enfant handicapée que j’ai suivie durant quinze ans ou celui de Jean Carrère, je choisis un thème et je tourne autour de lui avec comme principe, comme pour « Strip-Tease », de ne faire aucune interview ou d’ajouter une voix off. Je laisse parler les gens et me contente de les filmer comme pour ce documentaire « Des livres et des baguettes » où chacun s’est exprimé en toute liberté, seulement canalisé par Nourdine. Après, chacun s’exprime comme cette petite fille qui nous lit un extrait de son livre préféré, cet homme qui nous fait un rap qu’il a écrit, cette jeune femme qui chante l’opéra magnifiquement, ces musiciens qui font danser les gens, cette femme qui nous raconte comment elle est venue à la lecture alors que ses parents sont illettrés…
Comment choisissez-vous vos sujets ?
Très souvent par hasard, au gré d’une rencontre, d’un fait divers, comme le film que je prépare pour juin sur un immeuble vertical où vivaient des marocains et qui va être détruit.
Je suis aussi en train de préparer un film sur la chanteuse d’opéra que vous voyez dans le film. Elle se nomme Narimène, elle a un talent fou et n’a pas été prise à un concours alors qu’elle était l’une des meilleues, tout simplement parce qu’elle n’a pas voulu enlever son turban qui fait partie intégrante de sa personnalité ! En ce moment elle est à Londres où sa vie va peut-être changer. J’ai un collaborateur qui est allé la filmer.
Ce ne sont donc pas des films de commande ?
Non, je choisis mon sujet, je me renseigne, je fais des repérages et puis le monte mes films et je tourne avec une équipe réduite de deux ou trois. J’écris d’abord un scénario que je propose à divers producteurs et quelquefois je tourne sans savoir si le scénario ou le film sera accepté.

Ce peut être frustrant ?
Oui, lorsque le sujet est refusé. Ça ne m’est pas arrivé souvent mais alors je le mets de côté en me disant que j’y reviendrai plus tard. J’ai toujours deux ou trois sujets dans ma tête et souvent, entre l’écriture, l’acceptation et le tournage ça prend du temps. J’arrive à réaliser un film dans l’année. Quelquefois deux, maisc ‘est rare. C’est un travail de longue haleine… et de patience ! L’intérêt est que je travaille en toute liberté, que j’ai tout mon temps, que je n’ai pas de dead line.
Avez-vous réalisé des films de fiction ?
Non, et ça ne me préoccupe pas, d’abord parce qu’un film de fiction dépend de trop de choses : l’argent, les comédiens, les producteurs, le sujet qui, une fois écrit, doit être suivi. Je ne l’ai fait qu’une fois avec un film sur un prisonnier. Difficile de tourner en prison, d’y faire entrer des enfants, dnc je l’ai tourné comme une fiction… sans les contraintes d’une fiction !
Et ce que j’aime c’est le côté inattendu car certaines fois, au cours du tournage, il se passe quelque chose qu’on n’attendait pas.
Êtes-vous journaliste ? Avez-vous eu envie d’écrire autour de vos sujets ?
Non, je suis simplement réalisatrice et j’écris la colonne vertébrale de mon sujet. Je n’interview personne et mes reportages sont des moments de vie. Vous savez, il suffit de regarder autour de soi pour trouver un sujet. Après ça, peut-être qu’un jour viendra où je pourrai écrire les expériences que j’ai vécu autour de ces tournages.
Avez-vous eu des refus de gens qui ne voulaient pas que vous les filmiez ?
Ça m’est arrivé mais pas si souvent que ça. Pour certains c’est un non définitif et je n’insiste  pas. Pour d’autres, ils ont envie de s’exprimer et je les laisse s’exprimer en toute liberté. D’ailleurs, on est le plus discret possible et très vite ils oublient qu’ils sont filmés. Ils sont même ravis de se voir sur écran après car le leur montre toujours le film une fois monté.
Je suppose qu’étant donné le format de 50’, vous devez mettre des séquences de côté ?

C’est ce qui m’est arrivé pour « Des livres et des baguettes » car j’ai dû écourter certaines interventions et j’ai même dû carrément enlever certaines personnages pourtant intéressants, et je le regrette. C’est pour cela que j’ai envie de remonter le film et d’en faire un long métrage car j’ai dû sacrifier de beaux moments.
Rencontrer le public est indispensable pour vous ?
Oui car si certains téléspectateurs m’écrivent, beaucoup  se contentent de regarder et d’écouter. Les rencontrer et discuter avec eux est quelque chose d’indispensable. Sans compter que voir le film sur grand écran, ça donne une autre dimension au sujet ». Ce soir-là le public a beaucoup apprécié cette projection et cette rencontre qui a duré longtemps avec la réalisatrice qui parle de ses films avec une passion qu’elle nous a fait partager.

Jacques Brachet

Toulon – Le Colbert
Gil ALMA, un homme heureux

Cela faisait deux ans que l’on se courait après avec Gil Alma. Trois rendez-vous manqués à cause du Covid qui repoussait à chaque fois les dates du spectacle ;
Mais enfin voilà que le Colbert le reprogramme… Et qu’il y vient enfin, avec son inséparable acolyte Benoît Joubert, dit Ben. Gil & Ben, ça fait un joli duo, non ?
D’autant qu’ils en ont écrit l’histoire car ce n’est mas un two men show, ce n’est pas un stand up, c’est une histoire totalement foldingue où Gil, qui va se marier, appelle à la rescousse son ami Ben. Est-ce le bon choix ? Evidemment oui et non car s’ils sont de vieux amis, l’ami en question est quelque peu déjanté, ce qui va donner tout au long du spectacle un spectacle tout aussi déjanté, un duo fait d’énergie et de dinguerie, d’impros quelquefois, de coups de théâtres et de rebondissement. Un match de tennis où chacun renvoie la balle à l’autre avec maestria, où Gil est dépassé par les événements, Ben est le roi de l’embrouille. Bref un duo complémentaire et irrésistible.

Je retrouve Gil avec plaisir car nous nous étions rencontrés autour de bulles de champagne au festival télé de la Rochelle. Le sourire est toujours chaleureux, le regard toujours vrillant mais peut-être un peu plus posé. Il faut dire qu’on est à une heure du spectacle.
La tension monte, Gil, avant le spectacle ?
Toujours un peu mais ça fait 140 fois que nous montons sur scène ensemble avec Ben donc on commence à être rodé. Il n’y a plus d’angoisse. D’autant qu’on a à peu près autant de spectacles à venir d’ici les mois qui viennent. Donc tout va bien. Le Covid nous avait ralentis dans notre élan mais on est en train de rattraper le temps perdu. Nous faisons des salles de 250 à 700 places et ça fonctionne !
Comment sont nés cette pièce et ce duo ?
Le duo, c’est une amitié qui date de treize ans. Nous nous sommes rencontrés sur le téléfilm de Charles Némès « I love Périgord » en 2011, nous sommes restés amis, nous vons ensuite fait des one man shows, j’ai produit les siens et l’idée nous est venue d’écrire ensemble une pièce. Je précise que ce n’est pas une série de sketches mais une vraie histoire à deux personnages.
Jeune, le théâtre t’a peut-être sauvé d’une adolescence un peu turbulente…
N’exagérons rien, j’ai été un ado comme d’autres, qui fait des bêtises, je le vois aujourd’hui avec mon fils. Mais c’est vrai que j’ai très vite eu envie de monter sur scène, j’écrivais des sketches, je faisais du théâtre avec des copains, j’ai monté un groupe « Les Trois », j’ai fait du café-théâtre, des pubs, de la figuration, j’ai pointé mon né dans divers spectacles jusqu’à ce que « Nos chers voisins » ma fasse connaître.

Les débuts au cinéma ne sont pas mal : tu tournes dans un film de Costa Gavras quand même !
Oui, dans le film « Eden à l’Ouest ». Il y a aussi eu « Vilaine » de Jean-Patrick Benès. Mais c’est surtout la télévision qui m’a permis de me faire connaître. Après le succès de « Nos chers voisins », j’étais un peu catalogué comme un comédien comique puis il y a eu « César Wagner » qui m’a donné une image plus dramatique.
Parlons-en : un flic hypocondriaque, ce n’est pas banal !
C’est ça qui m’a plu car il est à la fois énervant avec ses peur, ses doutes mais aussi attachant car il n’est pas sûr de lui, il se pose des questions sur le fait d’être dans la police. Il ne se considère pas comme un vrai flic. Il est hypersensible
Peut-on dire qu’il est « attachiant » ?
(Il rit). Oui, c’est ça, il est à la fois pathétique et drôle, avec un peu d’ambigüité, c’est en fait un anti-héros, qui est devenu flic pour plaire à sa mère, femme politique et être à sa hauteur.
Bref, tu l’aimes !
Oui, c’est vrai et je m’y suis attaché. C’est donc avec plaisir que je continue à le faire vivre. Nous en tournons en principe deux par an depuis 2019. Nous sommes d’ailleurs en train de tourner un épisode à Strasbourg.
Entre deux spectacles ?
Exactement ! C’est quelquefois un peu compliqué car c’est du boulot h24 et 7 sur 7 ! Mais je ne vais pas me plaindre lorsque ça marche !
Tu as aussi monté une maison de production. Tu produis« César Wagner » ?
Non, pas du tout, pour le moment je produis mes spectacles. J’ai produit Benoît mai j’ai arrêté car c’était trop compliqué. Pour le moment je me contente de tourner des choses qu’on me propose et que j’aime et je suis heureux qu’on fasse appel à moi.

Festival de la Rochelle « Nos chers voisins »
Gil Alma & Olivia Cote dans « César Wagner »

Comme « L’abîme » ?
Oui, une série de six épisodes, réalisée par François Velle avec Sara Mortensen. Je suis très heureux qu’on me propose des rôles de ce type, forts, dramatiques, loin du personnage comique dans lequel on me casait. Ce qui prouve qu’on a confiance en moi.
Et la production alors ?
J’ai très envie de produire mais pour le moment je suis trop occupé par mes tournages et la tournée. J’ai déjà des idées, nous écrivons avec Benoît et nous verrons ce qu’il en sortira. Mais avec lui ça fonctionne bien car nous sommes très complémentaires.
Et le cinéma ?
Tu sais, il y a encore du chemin avant que des acteurs dits « de télévision » soient aussi considérés comme des acteurs « de cinéma », même si le contraire est plus évident. Mais ça ne me gêne pas plus que ça. Lorsqu’on me propose des rôles aussi formidables que « César Wagner » et « L’abîme » à la télévision, je suis très heureux.

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Patrick Carpentier – Mathieu Colin

Notes de lectures

Claire DELANNOY : Wanted (Ed Albin Michel – 123 pages )
Ancienne éditrice, Claire Delannoy est auteure de plusieurs romans. Celui-ci porte sur le bandeau la mention « la cavale d’une icône du terrorisme ». Nous découvrons une femme âgée, qui vit seule dans une maison dans la forêt. Elle reçoit un homme plus jeune, Anton, qui vient régulièrement pour l’interroger sur son passé. Au fil des pages, Elsa raconte son passé, sa jeunesse alors qu’elle était étudiante en médecine, son engagement révolutionnaire, son arrestation puis sa longue cavale à travers le monde. Que cherche Anton ? Q u’a vraiment fait Elsa ? Nous ne le saurons qu’à la fin du roman après de multiples chapitres mettant en scène le face à face des deux protagonistes.
Jacqueline TAÏEB : Je chante si on me donne des chocolats (Auto édition – 146 pages)
Milieu des années 60… Une toute jeune fille au regard aussi noir que la frange qui les balaie, vient avec une énergie et un culot grimper dans les hit parades avec « 7 heures du matin » le premier rap qu’on n’appelait pas ainsi puisque c’était alors un OVNI. Sans compter que c’était une femme qui l’assenait !
De sa toute petite enfance elle a voulu chanter et sa guitare, un cadeau de son père, a tout déclenché.
Elle a 20 ans et le monde lui appartient. Mais, si elle est toujours restée dans le métier, elle n’a pas eu le succès que d’autres ont eu et qui n’étaient pas plus talentueuses qu’elle. Malgré ça, si elle a toujours travaillé entre ombre et lumière cette battante d’origine tunisienne n’a jamais baissé les bras, a toujours enregistré des disques, écrit, composé pour elle et pour d’autres comme Jeane Manson, Michel Fugain, Maurane qui s’appelait encore Claude Maurane, Yves Montand, ces trois derniers collaborant à une comédie musicale pour enfants « La petite fille Amour chez les cousins de miel ». C’est elle qui a écrit « Les Sud-Américaines » à Fugain. C’est elle qui découvre et produit Dana Dawson, hélas trop tôt disparue. Son seul et unique tube a fait le tour du monde, souvent employé dans des pubs ou dans des films. D’autres pubs aussi dont elle signe la musique (Lolita Lepimka, Axe, Les 3 Suisses…)
Contre vents et marées, trahison et ingratitude des gens du métier mais aussi de sa famille, elle a toujours débordé d’énergie. Elle s’est toujours relevée de tout et a continué en trouvant des chemins de traverse mais toujours dans la musique qui est et reste sa seule passion.
Elle écrit comme elle parle, sans tabou, sans langue de boit, appelant un chat un chat, un con un con, un salaud un salaud.
Remerciant ses père et mère elle n’oublie pas ses profs de math qui l’ont tellement gonflée qu’elle a pu écrire ses chansons pendant leur cours !
Ses amis, ses amours, ses emmerdes… elle déballe tout avec une sincérité et un humour confondants.
Quel plaisir de la retrouver !
Peter D. MASON : Destins mortels à Chamonix (Ed Paulsen – 173 pages)
Gabriel Santonini, 28 ans, vient de perdre son père, juge d’instruction. Il trouve un dossier non résolu par celui-ci, concernant un mafieux franco-serbe de la pègre de Chambéry. Il décide de se transformer en justicier et devient tueur à gages. Et voici le lecteur parti dans des aventures rocambolesques toutes aussi improbables que drôles.
Un roman policier très réussi. On attend avec hâte le suivant.

Zoé BRISBY : LES MAUVAISES ÉPOUSES (Ed Albin Michel – 335 pages)
Dans le désert du Nevada, pas très loin de Las Vegas vivent très confortablement des jeunes femmes dont les maris travaillent sur la base militaire qui étudie la bombe atomique. Cela se passe en 1952.
La jeune femme profitant du soleil dans une piscine sur la page de couverture du livre serait-elle une de ces mauvaises épouses que l’auteure veut nous faire rencontrer ? Ces mauvaises épouses vivent dans des maisons alignées toutes identiques, leur seule occupation étant le prochain cocktail ou barbecue qu’elles qualifient d’atomiques pour singer la profession de leur mari. Tout le monde connaît tout le monde et rien ne doit transpirer d’une maison à une autre sauf les cris étouffés qui parviennent de la maison de Charlie. Sa gentille voisine Summer, découvrira la sauvagerie de son mari et s’émancipera à son contact. Rien ne doit troubler les explosions qui malgré tout provoquent des saignements de nez et troubles divers, la vie est réglée pour que les femmes vivent en vase clos avec leur cachoteries, leurs manigances, leurs mesquineries, leurs transgressions, tout est fait pour la gloire de cette fameuse bombe qui éliminera ces affreux communistes.!
Un roman qui replace bien le mode de vie de ces jeunes femmes dans une base militaire. Ce n’est pas caricatural, heureusement ces temps ont changé pour les femmes. L’auteure a voulu pimenter  son histoire en y ajoutant des amours transgressives, ce n’est pas le plus intéressant.
Etienne de MONTETY : La douceur (Ed Stock – 267 pages)
Le narrateur se présente dès la première page comme un journaliste ayant travaillé vingt-cinq ans dans les services « Arts de vivre » de magazines hauts de gamme. Il part en Australie à Constantia pour la Convention Internationale de la Rose, toujours mieux qu’un salon de la voyance pense-t-il, mais ce sera l’occasion de rencontrer une pétillante consœur allemande, Barbara et surtout la merveilleuse May de Caux, présidente de cette vingt-troisième convention. Une femme élégante, racée, distinguée qui écoute, sourit délicieusement et ne répond qu’aux questions relatives aux roses. Il y a pourtant derrière cette façade une femme cachée et le journaliste fera tout pour découvrir ce qu’elle ne veut pas révéler. Il ne sera pas facile de briser le silence de cette aristocrate élevée dans un milieu privilégié.
La persévérance, la correction, la patience amèneront May de Caux à confier les notes secrètes  écrites au fil des ans depuis sa libération du camp de Ravensbrück. L’horreur des camps ne s’oubliera jamais, d’ailleurs May a besoin de retrouver ses amies de camp, celle par exemple qui lui a mis du rouge à lèvres, donné un semblant de bonne mine alors qu’elle avait le typhus. Au fil des ans, malgré les épines de la vie  c’est la douceur qui dominera sa vie, notamment avec les roses.
Ce livre est dédié à Lily de Gerlache, figure de la résistance en Belgique, qui s’est efforcée de faire reconnaitre la place des femmes dans la lutte de celles-ci contre le nazisme.
Le titre choisi par Etienne de Montety montre la dignité face à l’horreur de la guerre, un titre malheureusement toujours d’actualité.



Lumières du Sud
Kamel BENKAABA… Le Toulonnais de Copenhague !

Kamel Benkaaba est toulonnais. Il a fait ses études au Lycée Dumont d’Urville, poursuit ses études à Aix-en-Provence où il rencontre sa première femme, une suédoise qu’il suit dans son pays. Elle parle français, il ne parle pas suédois mais s’y met très vite et s’installe là-bas où il devient chargé de cours en cinéma à Copenhague. Un peu plus tard il rencontrera… une autre danoise qui deviendra sa seconde épouse.
Mais notre toulonnais n’oublie pas ses racines varoises et y vient ponctuellement « pour gagner vingt degrés et le soleil » me dit-il en riant.
C’est ainsi que, lors de ses séjours, on le retrouve à l’association « Lumières du Sud » où à chaque fois, invité par sa présidente Pascale Parodi, il vient parler cinéma bien sûr et vient nous disséquer un film ou nous parler d’un réalisateur, comme Kubrick, Fellini et, lundi soir, de Claude Sautet.
Pourquoi Sautet ?

« Parce que – me dit-il –  c’est un grand cinéaste qui fut sous-estimé par la Nouvelle Vague, Godard, Truffaut et consort, critiques de cinéma devenus réalisateurs dans le milieu des années 50 qui le remisaient, comme Tavernier ou Boisset et les plus anciens grands réalisateurs de l’ancienne génération comme des réalisateurs du « cinéma de papa » alors que chacun, (comme René Clément qui a fait « Plein soleil » avec Delon et Ronet) a fait des chefs d’œuvres mais alors, en 1954, il fallait tuer le père. Alors pourquoi les disqualifier alors qu’ils ont fait de très grands films ?
Claude Sautet a eu le malheur de tourner « Classe tous risques » en 1960, la même année où Godard sortait « A bout de souffle » et il fut aussitôt classé comme réalisateur de polars.
Pourtant Sautet est d’un grand modernisme car il a apporté des idées originales comme, par exemple, les hommes qui portent l’impuissance des choix de leur vie. Sautet ne fait partie d’aucune école et il est le seul à savoir filmer l’impalpable des sentiments. C’est pour cela que « César et Rosalie » fait partie aux USA des films français marquants. « Si la vie passe dans un film, c’est que le film est bon » aimait-il à dire.
Il a su également imposer le film choral, des portraits de groupes où l’amitié, la famille, l’amour, la vie, la mort se mélangent autour de nombreux comédiens comme dans « Vincent, François, Paul et les autres ». Il a su également filmer la femme des années 70, une femme forte, libre, qui s’assume, qui avorte parce qu’elle n’aime plus l’homme avec qui elle est, qui mène deux amours en même temps, ce qui était alors très nouveau. Et à ses côtés, l’homme qui n’est plus le héros, qui a des difficultés à être l’homme, qui a des failles ».

On écouterait des heures parler Kamel de cette passion qu’il a du cinéma, qu’il connaît sur le bout des doigts, véritable encyclopédie de tous les cinémas et il nous fait partager cette passion.
Ce soir-là, Sautet a été rendu à sa lumière et à travers des écrits, des séquences de deux films « Les choses de la vie » et « Un cœur en hiver », il nous révèle un réalisateur imaginatif, sensible.
Cet accident des « Choses de la vie » est quelque chose d’unique, qui démarre dès le début du film, pour y revenir tout au long, avec les derniers souvenirs d’un homme qui ne sait pas alors qu’il va mourir mais qui se remémore sa vie. La scène de l’accident est unique, superbement filmée et rythme le film avec cette musique de Philippe Sarde mêlée à celle de Vivaldi et avec cette sublime chanson que Romy Schneider et Michel Piccoli interprètent « La chanson d’Hélène ».
« La musique – dit-il – prend une grande place dans les films de Sautet, on le voit dans « La choses de la vie » qui accompagnent tout le film dont l’accident filmé au ralenti puis en accéléré qui revient au fur et à mesure.
Pour « Un cœur en hiver » La musique de Ravel est d’autant plus omniprésente qu’il s’agit d’une histoire complexe entre une violoniste (Emmanuelle Béart) et deux luthiers (André Dussolier et Daniel Auteuil) et il a choisi des musiques de Ravel, quelquefois dissonantes, mais qui épousent parfaitement les sentiments de ce trio amoureux ambigu et compliqué. Trois personnages, trois instruments : le violon, le violoncelle, le piano. Et aussi la musique de Philippe Sarde qui se mêle à la complexité des sentiments des trois comédiens. Et toujours cette façon de filmer l’ineffable ».

Que dire de cette soirée qui nous a fait retrouver et mieux comprendre l’un de nos plus grands réalisateurs français, malgré seulement 13 films à son actif, alors que Chabrol, par exemple, en a réalisé 57, souligne Kamel qui nous a redonné l’envie de redécouvrir ce magistral réalisateur.

Jacques Brachet