
Quel plaisir de se retrouver dans ce lieu magique qui nous a tant manqué !
Nous revoilà dans cette pinède, entourés de ces bâtiments de pierre imaginés par le génial Henri Komatis , que j’ai vu sortir de terre, sous un ciel magnifiquement bleu, dans la douce chaleur estivale, avec pour seul bruit la stridulation des cigales et les papotages des habitués qui ont repris avec joie le chemin du théâtre national et qui se retrouvent avec grand plaisir.
Et pour ouvrir en beauté, c’est Jean Giono qui était à l’honneur pour une belle soirée où Jacques Meny, auteur, réalisateur, président de l’association des amis de Jean Giono, vint parler du rapport qu’entretenait celui-ci avec la Provence et la Méditerranée, sous le regard de Sylvie Giono, fille du grand maître. Puis ce fut autour de Claire Chazal, présidente de Châteauvallon-Liberté et de l’ami Charles Berling, de venir nous offrir des textes choisis. Enfin, pour terminer cette soirée en beauté, Jaccques Meny nous proposa un film réalisé par Giono «Crésus».
C’est donc celui-ci qui démarra cet hommage sur les hauteurs du site, dans la pinède où sa voix se mêla à ces cigales qui font partie intégrante du lieu et… de notre «pays».
En octobre de cette année, on commémorera le cinquantième anniversaire de la disparition de ce bel auteur et depuis le début de l’année, il est chanté un peu partout. Et puis il y a eu ce satané virus qui a tout arrêté. Mais Jacques et Sylvie sont repartis de pied ferme en redémarrant à Châteauvallon.


Alors, les rapports de cet auteur avec cette Haute Provence où il est né, sont très ambigus.
En effet, nous explique Jacques, Giono a d’abord toujours dit qu’il était né à Manosque «par hasard», d’un père italien et d’une mère normande et qu’il est allé jusqu’à nier cette Provence «au ciel tragique à force d’azur», lui qui n’aspirait qu’à des tempêtes, des orages, des brouillards, de la pluie (ce qu’on retrouve dans tous ses romans) et qui rêvait de l’Ecosse.
Pour lui, le soleil c’est l’ennemi, «le tragique solaire».
Il a toujours clamé que son œuvre reposait sur un malentendu et il rageait lorsqu’on le définissait comme un écrivain provençal, régional. Il détestait d’ailleurs les auteurs dits provençaux, comme Daudet, Pagnol, Aicard et pour lui, la Provence la mieux décrite, on la trouve chez … Shakespeare !
«Ma Provence est une Provence inventée, je n’aime pas la mer, je suis allergique à la Côte d’Azur, je méprise «les terres du bas» disait-il encore.
Loin du soleil et des cigales, il était fasciné par la Provence tragique, désertique, silencieuse, inquiétante comme celle qu’il a filmée dans «Crésus» le film qu’il a réalisé.
Il s’est formé à la littérature gréco-latine : Eschyle, Homère, Sophocle, Euripide et aux sources arabes des «Mille et une nuits». C’était son héritage littéraire.
Et pourtant… pourtant il a écrit les plus belles pages de son œuvre dans cette haute Provence qu’il n’a jamais vraiment quittée. Mais, disait-il encore, ses romans auraient pu se passer aussi bien au Mexique qu’en Ecosse ou en Amérique.
Quoiqu’il en soi, il est un écrivain majeur qui reste, même aujourd’hui, l’un des auteurs les plus lus en langue française et qu’on apprend à l’école.
Le temps lui étant imparti étant terminé et même si on l’eut encore écouté avec plaisir, Jacques Meny dut laisser sa place à Claire Chazal qui vint nous lire un long et admirable extrait du roman «Le hussard sur le toit», œuvre majeure de Giono qui fit l’objet d’un film et qui reste une œuvre de grande actualité puisque elle parle du choléra qui dévasta la région comme le fit (et hélas le fait encore) le Covid 19. Elle nous lut la rencontre d’Angelo avec Pauline, atteinte du choléra et qu’il soigna durant toute une nuit. On reconnait entre toutes, la voix de Claire Chazal qui, durant tant d’années, nous annonçait les nouvelles du jour. Cette voix claire ( !), profonde, grave avec laquelle elle nous distilla les mots de Giono. Ce fut un grand moment de charme et de beauté.

Avec plus de fougue et de passion – comme toujours pourrait-on dire ! – Charles Berling prit le relais pour nous assener un vrai grand moment de lucidité de l’écrivain dans «Les vraies richesses», un essai sur le monde qu’il vivait et qui n’a pas beaucoup changé, où il dénonce la vanité, l’égoïsme des hommes, cet amour de l’argent, de la gloire, qui passe au-dessus de l’amour de l’autre, nous priant d’écouter notre cœur et ce qui est le plus beau en nous…
Un texte d’une grande puissance, d’une grande émotion qui reste tellement actuel.
Après tous ces beaux mots entendus, un petit pique-nique fort sympathique nous attendait, où chacun put se mêler aux autres, (toujours dans une stricte distance voilée !) et échanger avec nos quatre personnalités dans une atmosphère de détente et de simplicité.
Puis Jacques Meny nous proposa de revoir ce film que Giono tourna à 65 ans : «Crésus».
Il y avait fort longtemps qu’il voulait réaliser un film mais il avait peur de l’ombre de Pagnol et que l’on dise qu’il faisait «du Pagnol».
Au générique Fernandel omniprésent sur l’écran, entouré des tas de comédiens, de seconds rôles «que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître» et qu’on redécouvre avec plaisir : Rellys (1er Ugolin de Manon des sources) ; Paul et Jacques Préboist, Marcelle Rançon-Hervé, le fameux bégayeur Pierre Repp, Olivier Hussenot, la grand Sylvie (La vieille dame indigne de René Allio) …
Et par-dessus tout ça, la musique de Joseph Kosma, musicien prodigieux qui signa des dizaines de musiques de films et de chansons dont les fameuses «Feuilles mortes» sur des paroles de Prévert .
Le film remastérisé par les soins de Jacques, a un peu vieilli mais les images en noir et blanc sont superbes, montrant ces fameux paysages lunaires qu’appréciait tant Giono, Fernandel étant tout simplement magnifique et les dialogues ciselés.
Et pourtant, nous explique Jacques, le film fut massacré par la critique à sa sortie en 1960 même si, quelques années plus tard Tavernier avouait que c’était un des meilleurs films qu’il ait vu, Roger Hubert, directeur photographe le comparant aux «Enfants du Paradis», ce film étant aujourd’hui considéré comme un classique.
A noter qu’on retrouve au générique Claude Pinoteau comme conseiller technique et Costa-Gavras comme assistant réalisateur.
C’est avec cette pensée que «l’argent ne fait pas le bonheur», que se terminait cette fraîche soirée et qu’on quittait nos chaises-longues les étoiles pleins les yeux et le ciel.
L’ombre de Giono a plané sur nous.

Jacques Brachet