Cela faisait 50 ans que je n’avais plus rencontré notre petite demoiselle d’Avignon devenue aujourd’hui la grande dame de la Chanson Française connue, adulée, honorée, acclamée partout dans le monde.
Si elle est l’une des plus belles voix française, elle est aussi l’une des plus belles voix du monde… Et elles ne sont pas nombreuses !
C’est donc avec plaisir que je la retrouve et je me souviens de notre première rencontre, petite chanteuse timide, répondant en hésitant à mes questions, surveillée par Johnny Stark. Aujourd’hui, elle s’est affirmée, elle est même volubile, souriante, faite de simplicité et de gentillesse, comme d’ailleurs toute l’équipe qui l’entoure. On sent beaucoup d’amour autour d’elle.
«Amour» est d’ailleurs un mot qu’elle emploie beaucoup, surtout pour parler de sa famille et son public qui la porte depuis tant d’années et dont elle est reconnaissante de tant de fidélité.
«Vous savez, j’ai toujours la trouille de monter sur scène et je l’aurai toujours mais lorsque j’arrive devant le public, j’oublie tout et je lui donne autant d’amour qu’il m’en donne. C’est lui qui me porte».
Nous rencontrons donc notre Mimi nationale et internationale à ST Tropez où elle est venue passer quelques jours de vacances chez des amis très chers : Jean et Catherine Madar.
«J’y viens chaque année et j’y suis comme en famille. Ils ont toujours mille projets, le dernier étant de réhabiliter le Palm Beach à Cannes et de le réaménager à l’identique, du temps de son âge d’or. Ça va être extraordinaire !
Vous aimez St Tropez !
Oui, j’y ai mes habitudes, je suis fidèle à Sonia au restaurant «Le caprice des deux» où nous sommes attablés, le club 55, le Cabanon.. Je n’oublie pas cette petite église de Notre-Dame de l’Assomption où je me rends régulièrement. Je viens d’y chanter l’Ave Maria de Shubert et le Panis Angelicus.
Et avant l’église vous êtes allée faire une visite au Château du Marquis de Sade !
(Elle rit) Mais je n’y suis pas entrée ! Le Château Lacoste appartient à Pierre Cardin qui est un ami de longue date. Il était venu voir mon premier Olympia où je chantais trois chansons dans le spectacle de Sacha Distel. Il m’a alors invitée à une soirée où j’étais entre Jean Seberg et Georges Pompidou et sa femme, moi, petite débutante. De ce jour, nous ne nous sommes jamais perdus de vue. Il y a longtemps qu’il voulait que je vienne chanter chez lui dans ce festival qu’il présente chaque année. Il fêtait ses 97 ans, c’était magique, il y avait plein de nationalités différentes dont une centaine de Russes, des Norvégiens, des Français bien sûr qui viennent de loin…»
Ce qu’il y a d’incroyable chez Mireille c’est qu’elle est une star mondiale et malgré tout, elle s’émerveille encore de ce qui lui arrive, comme une gamine.
«C’est vrai, je suis toujours heureuse et émerveillée car je sais que dans ce métier, rien n’est jamais acquis, rien ne nous est dû. Alors bien sûr, je suis heureuse qu’après tant d’années le public soit aussi fidèle, des gens m’invitent, me remercient de ce que je fais…
Justement, parlons de ce très beau disque sorti voici quelques mois : «Mes classiques»
Il n’est fait que de mélodies classiques signées Tchaïkovski, Shubert, Mozart, Brahms, Offenbach, Haendel… Et je chante en sept langues. Je l’ai enregistré juste après la mort de ma maman dont je ne suis toujours pas remise. A sa disparition, il fallait que je fasse quelque chose pour oublier ma peine, ma douleur. J’ai très vite pensé comme une évidence, à enregistrer un «Ave Maria» pour elle. J’ai choisi celui de Shubert. Ce disque a été une vraie thérapie parce que ça a été beaucoup de travail et de bonheur. Nous avons fait le mastering à Abbey Road, dans le studio des Beatles, nous avons enregistré et filmé dans le château de Prague. J’étais accompagnée du Prague Symphonic Ensemble sous la direction de Jerôme Kuhn.
C’était somptueux.
A peine sorti ce CD, vous nous en annoncez un autre !
Oui, à la rentrée, je sors un double album de toutes les musiques de films que j’ai enregistrées (40 titres) afin de rendre hommage à tous ces grands compositeurs qui m’ont fait l’honneur de me choisir pour les interpréter : Michel Legrand, Maurice Jarre, Ennio Morricone, Francis Lai… J’ai également retrouvé des morceaux inédits comme la musique du film «La bataille d’Angleterre» signée Ron Goodwin et Sir William Walton. J’ai retrouvé aussi la musique «Anna et Julien» du film «Le train» avec Romy Schneider et Jean-Louis Trintignant, signée Philippe Sarde… des musiques peu connues.
Le premier single sera bien sûr «Un homme, une femme» le film de Lelouch, pour rendre hommage à mon ami Francis Lai. Je lui avais envoyé mon disque «Mes classiques», hélas, sa femme m’a dit qu’il était trop malade pour l’écouter.
Sortira-t-il à l’étranger ?
Oui, comme tous mes disques, mais seulement en français.
Vous parlez et chantez combien de langues ?
En sept langues mais le français reste «ma» langue et je la défends partout où je passe, j’y mets un point d’honneur car je suis française avant tout et fière de l’être !
Vous y chantez peu pourtant !
Malgré tout, plus je vieillis, plus j’ai la trouille et elle atteint des sommets lorsque je chante en France ! Mais j’y viens lorsqu’on m’y invite.
On vous voit également peu aussi à la télé.
Je choisis mes émissions. J’ai par exemple demandé à passer chez Cyril Hanouna, lui proposant de présenter l’émission à ses côtés, ce qui ne s’était jamais fait. Cyril est un homme magnifique, il est à l’écoute, d’une grande gentillesse, d’une grande délicatesse. J’ai également fait «C’est à vous» avec Anne-Elizabeth Lemoine qui est d’une grande intelligence, très prévenante. J’ai été merveilleusement reçue. Ce sont de vrais professionnels, des gens qui n’ont pas de prompteur. Je ne comprends pas comment on peut animer une émission en fixant un prompteur sans regarder le public dans les yeux. Le regard, c’est important.
En avez-vous un sur scène ?
De prompteur ? jamais de la vie ! Je n’en aurai jamais comme je n’aurai jamais d’oreillette. Je veux être libre de tout pour exprimer mes sentiments. Je ne me vois pas me concentrer sur un écran devant le public. J’estime que pour une chanteuse, connaître ses textes et regarder le public c’est la moindre des choses pour faire passer la vraie émotion.
Vous êtes intransigeante et disciplinée !
Oui, je me suis toujours obligée à une grande discipline. Je ne laisse rien au hasard lorsque je dois chanter. Je parle le moins possible, je fais mes vocalises, je répète et je rentre à l’hôtel avant de me préparer pour être au mieux devant le public. J’ai besoin de discipline. Dès le départ de ma carrière j’ai agi comme ça.
C’est Johnny Stark qui vous a formée ainsi ?
Johnny, je lui dois tout. Il m’a tout appris, même à parler, à m’exprimer. Il a été merveilleux pour moi. Lorsqu’il est parti, j’ai vraiment perdu un père, un conseiller, un mentor. Mais si vous saviez ce que j’ai dû supporter comme trahisons, mensonges, critiques. Je ne sais pas s’il savait tout ça ou s’il voulait me le cacher et si tout s’est déchaîné à sa mort mais ça a été très dur. Heureusement, ayant travaillé à ses côtés, c’est ma sœur Monique qui a pris le relais. Au début ça n’a pas été facile. C’est toujours elle qui s’occupe de moi et croyez-moi… C’est du travail à plein temps !
Y a-t-il d’autres personnes qui ont compté pour vous ?
Il y a eu Charles Aznavour qui était un ami très cher dès le début. Au jeu de la chance j’ai commencé en chantant une chanson de lui : «Jezabel» (Elle nous la chante et sa voix puissante envahit le restaurant). Et puis il m’a écrit des chansons comme «Celui que j’aime», «Une vie d’amour», que nous avons enregistrée séparément et en duo, tirée d’un film intitulé «Téhéran». Je la chante en russe lorsque je vais en Russie et elle obtient chaque fois un énorme succès. Nous avons fait beaucoup de duos ensemble avec Charles, entre autres chez les Carpentier que je regrette infiniment. Que de belles émissions, de belles rencontres nous avons faites grâce à eux. C’était très gratifiant. Ils nous manquent. C’était une vraie famille.
Mireille entourée de Sonia, le journaliste Laurent Amalric et moi-même
La famille a toujours été importante pour vous.
Je suis issue d’une grande famille très unie. Le départ de maman a été terrible et c’est un peu moi qui ai pris sa place. Je n’arrête pas de penser à elle et même lorsque je chante. Elle nous a laissé ses chats qui n’ont plus d’âge et auxquels on tient beaucoup. C’est un peu d’elle qui nous reste».
On sent Mireille très émue, au bord des larmes. Aussi change-t-on vite de sujet.
Aujourd’hui Mireille, vous intéressez-vous aux jeunes générations ?
Oui bien sûr, il y a certains d’entre eux que j’aime beaucoup. L’autre jour j’ai rencontré Patrick Bruel, nous avons beaucoup parlé. C’est un garçon et un chanteur formidable. J’aime Patrick Fiori qui a une voix sublime, Calogero, Christophe Maé et j’aimerais beaucoup faire un duo avec Gims ! »
Rencontrer Mireille est un bain de Jouvence, un grand bol d’air rafraîchissant tant elle est vraie, spontanée malgré la grande artiste qu’elle est depuis des décennies. C’est devenu tellement rare dans ce show biz qui se détériore de jour en jour et qui fait des stars de pacotille à coup de télé-réalités.
Après une heure et quart d’une chaleureuse rencontre, en nous embrassant elle nous donne rendez-vous l’été prochain pour fêter avec elle… 55 ans de carrière !
Nous y viendrons avec plaisir, Mireille !
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Christian Servandier