Elle était l’un des plus beaux fleurons de la chanson française. Bien sûr que les moins de vingt ans et plus ne la connaissaient pas car elle avait abandonné depuis longtemps le métier de chanteuse pour le métier de graveur sur acier.
Alors que je voyageais, j’ai appris sa disparition à 97 ans alors qu’on espérait bien fêter bientôt ses 100 ans. Installée depuis quelques années dans une maison de retraite de Montmerle, elle et partie doucement, discrètement mais jusqu’au bout d’une longue amitié, on s’appelait souvent. J’aimais entendre sa voix un peu trembler lancer « Allo, les Brachet ? Je vous aime, je vous embrasse et je prie pour vous ». On s’envoyait de petits mots, moi des photos que je retrouvais au hasard de mes rangements, elles des petits mots agrémentés de son petit « gamin de Paris ». Quelques amis fidèles allaient encore la voir comme Dadou Brochet qui s’occupa d’elle jusqu’au dernier jour, comme Odette Mondange, une fan devenue une amie ou comme le chanteur Michel Monaco qui était son filleul et qui lui rendit hommage en enregistrant un CD de ses chansons.
Je l’aimais tendrement et elle me le rendait bien.
Aujourd’hui je suis triste car j’ai perdu une amie.
Michel Monaco et Odette Mondange fêtent ses 95 ans
Tout d’abord le titre : T.T.C… Dans le langage de Mick Micheyl, ça voulait dire «Toute Tendresse Comprise».
De la tendresse, elle en avait à revendre !
Lorsque je dis que c’était ma copine, il faut entendre « mon amie ». Mais le mot «copain» reste entre nous le plus tendre… «Alors, copain ?» c’était la phrase rituelle qu’elle me lançait lorsqu’on se retrouvait ! Elle avait beau être à Montmerle, dans ce qui est pour nous le Nord (C’est dans l’Ain !) le Var n’était jamais très loin pour cette chanteuse, auteur, compositeur, meneuse de revue qui s’est reconvertie dans les Arts Plastiques, ses premières amours et qui venait très souvent exposer dans notre région, entre autre chez nos amis communs, Claude et Jean-François Gibereau, de Sanary, avec qui on a avait fêté ses 80 printemps !
Mick, c’était la jeunesse incarnée, l’énergie pur sucre. Elle avait une pêche d’enfer, une vitalité du diable et il faut en avoir lorsqu’on a choisi comme art de graver sur acier avec une ponceuse plus grosse qu’elle… Vous me direz, pas difficile d’être plus gros et plus grand qu’elle et donc, d’autant plus méritoire.
Il fallait la voir, en trois coup d’épée électrique, dans un feu d’artifice, tracer sur l’acier des chevaux en cavalcade, un gamin de Paris qui reste sa marque de fabrique ou un paysage lunaire.
Elle y mettait autant de passion que lorsqu’elle chantait ou descendait les marches du Casino de Paris !
Je l’ai connue productrice, un autre métier qu’elle pratiquait à la télévision en offrant au public, avant les Carpentier, des shows de folie intitulés «Entente cordiale», «Show Mick» ou autre «Rond-Point des Chants».
Je travaillais alors dans le sillage de Claude François et j’avais participé à l’un de ces shows où Clo-Clo était la vedette. J’avais été époustouflé par sa créativité, son énergie, sa passion, sa joie. Elle était à tous les postes, regardant dans l’œil de la caméra, indiquant aux artistes ce qu’ils devaient faire puis revenant, vêtue de cuir ou d’autre chose, animer le show avec ses artistes invités.
Ce fut un moment rare que de la voir travailler ainsi. D’autant plus rare qu’elle n’allait pas tarder à quitter le show biz où elle s’épuisait un peu, pour changer diamétralement de vie. Autre art, plus solitaire, plus dans l’ombre mais pour mieux revenir entourée, dans la lumière des mille éclats de son acier qui danse selon comment on regarde ses œuvres.
La révélation lui est venue par hasard, aimait-elle raconter, en voyant des éraflures sur une portière de voiture. Tout à coup elle s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire dans ce domaine, pas trop exploré. Et la voici abandonnant tout, transformant sa maison en atelier, faisant venir des tonnes d’acier, un acier spécial, traité pour ne pas rouiller mais qui ne laisse pas d’alternative : un coup de ponceuse et le métal est blessé à vie… ou à mort si elle a raté son coup ! Et c’est ce qui la passionnait.
A Paris, à la télé, je m’étais contenté d’une interview très chaleureuse mais très hoqueteuse car on parlait entre deux poses. Et ça aurait pu s’arrêter là si un jour je n’avais reçu une invitation pour une expo dans la Var, je ne sais plus où. Elle avait retrouvé mon adresse dans son courrier et avait envoyé par hasard ce petit mot sur lequel figurait sa marque de fabrique : un petit poulbot. Le hasard faisant bien les choses, j’habitais toujours au même endroit et j’allais à sa rencontre sans savoir qu’à retardement un coup de foudre allait se produire… C’était il y a plus de 40 ans.
Ce fut l’amour fou ! Je l’aimais et l’admirais et depuis ce jour, le lien ne s’est jamais brisé. On s’appelait, on se faxait beaucoup il fut un temps et on se rencontrait au hasard des expos, souvent dans le Var avec les Gibereau qui s’occupaient d’elle dans la région.
A tel point qu’en une soirée, on a fêté deux fois ses 80 ans.
Je fête ses 80 ans avec elle
Je m’explique.
Le hasard – toujours lui – fait que les Gibereau organisent une expo de ses œuvres à la Fontaine des Arts, leur galerie sanaryenne et que le soir même j’organise une soirée chanson française dans le cadre d’une manifestation avec la ville de la Garde, à quelques kilomètres de Sanary. Cette manifestation s’appelle «Clefs des Chants», un groupe nommé «La Rue» propose un spectacle retraçant 50 ans de chansons françaises, de 1900 à 1950. J’ai alors l’idée de fêter les 80 ans de Mick après le spectacle.
A Sanary tout se passe bien, les fleurs et les bises pleuvent et les Giberau raccourcissent un peu leur soirée pour être à temps à la Garde. Mick ne sait rien, n’a pas trop envie de faire des kilomètres mais, sachant qu’on se retrouve, elle vient, assiste à la fin du spectacle et, alors qu’un musicien entonne à l’orgue de Barbarie «Un gamin d’Paris», je monte sur scène et je lui souhaite en direct son anniversaire devant la foule qui la reconnaît et l’ovationne. Emue, elle monte sur scène et, toujours professionnelle, va unir sa voix au chanteur et nous retrouvons alors notre Mick chanteuse, qui a toujours la même voix, même si elle est emplie d’émotion. Elle chantera même une autre chanson a capella.
On garde tous en mémoire ses chansons, si tant est, bien sûr, que l’on n’ait pas vingt ans, de «Cano Canoë» à «Je t’aime encore plus» en passant par «La Joconde»… On se souvient de ses jambes gainées de noir, descendant les fameuses marches du Casino de Paris, on se souvient de ses tours de force au Casino ou aux galas de l’Union des Artistes où le risque ne lui faisait pas peur et puis, grâce à ses émissions TV où elle lançait des jeunes, sont nés Dave, Adamo, Mimie Mathy et bien d’autres.
Belle reconversion pour cette chanteuse-danseuse qui un jour, s’est retrouvée devant une forge pour apprendre à reconnaître les différents aciers et qui, de son mètre cinquante et des poussières, a créé des œuvres monumentales, dans le bruit de sa meule… qui couvrait de temps en temps quelques jurons !
Venant à nouveau exposer à Toulon, comme par hasard, on a encore pu fêter ses 83 ans avec le même plaisir, la même émotion. Un rien lui faisait plaisir, un salut, une fleur, une bise, un petit mot gentil. Elle qui a exposé dans le monde entier et était encore plus connue que lorsqu’elle était chanteuse, restait la jeunesse même et c’est sur un coup de colère – car elle avait caractère aussi trempé que son acier ! – qu’elle avait écrit une chanson en entendant quelqu’un la traiter de mémé. La réponse de Mick, en chanson s’il vous plaît : «Tu sais ce qu’elle te dit, la mémé… ?». Je vous laisse deviner la suite !
Mick, je l’aimais, je l’admirais.
Elle était mon amie.
Jacques Brachet