Thomas GLAVINIC : Le plus grand des miracles (Ed Piranha)
Jonas se prépare à escalader l’Everest, lors d’une éclipse totale de soleil.
Le roman relate cette préparation et celle de ceux qui font partie de l’expédition.
Ce moment exceptionnel va permettre à Jonas de replonger dans ses souvenirs d’enfance : on découvre une mère irresponsable, son jumeau autiste (alors que Jonas est d’une intelligence exceptionnelle et Werner, son alter ego. Adoptés par le grand-père richissime de Werner, les garçons reçoivent une éducation originale, n’apprenant que ce qui les passionne, libres de toute contrainte, ce qui coûtera la vie à Werner.
Devenu fabuleusement riche à la mort de son grand-père adoptif, Jonas arpente le monde à la recherche du sens de la vie jusqu’à ce qu’il croise la route de Marie. Désormais il est enfin heureux mais celle-ci souhaite prendre un peu de distance. Dès lors, il erre d’un continent à l’autre, d’une fille à l’autre, achète une gare, s’installe quelque temps à Tchernobyl, découvre le surf et recherche la vague ultime. Enfin, il décide de s’attaquer au prestigieux sommet. Pour lui, ce sera le dernier voyage; arrivé au sommet il y restera …à moins que…
On comprend mal cette éternelle insatisfaction du héros et son pouvoir de séduction est peu crédible, ses voyages sans désir de découverte le lassent très vite comme il lasse le lecteur.
Enfin la préparation à l’ascension est assez longue et répétitive, malgré quelques passages très intéressants sur la psychologie de ces sportifs de l’extrême.
En résumé un roman sur la quête de soi qu’on aurait aimé plus court et plus dense
Catherine POULAIN : Le Grand Marin (Ed de l’Olivier)
« Le Grand Marin », est le récit d’une femme qui rêvait de partir et de prendre le large.
Largement auto biographique, ce roman nous embarque avec Lili, l’héroïne narratrice dans un périple sur l’île de Kodiak, en Alaska, à la recherche d’embarquements pour les saisons de pêche
L’aventure commence, pour elle comme pour le lecteur.
A bord du Rebel, nous nous retrouvons happés par ce désir fou d’en découdre avec l’univers hostile des pêcheurs de l’extrême, au bout du monde, dans la glace, le sel et le sang.
Le tumulte de l’océan, le froid polaire, la morue noire et le flétan nous deviennent familiers ; nous vivons la pêche hauturière dans toute sa beauté et sa sauvagerie.
C’est toujours la mer recommencée mais racontée différemment à chaque sortie.
Dans cet univers d’hommes, ce petit bout de femme, « le moineau » nous transmet son énergie, sa résistance, son agilité, son courage. Elle souffre, se blesse gravement mais résiste !
Farouche dans l’âme, indocile mais adoptée, parce qu’elle a fait ses preuves pour John, Dave, Joey, Simon, Ian, la « Frenchie » va partager son tête à tête avec la mer. Jude, « l’homme lion, le grand marin », le pêcheur absolu, ira même jusqu’à lui avouer son attachement affectif et sensuel.
Nous aimons ces personnages, taillés au pic à glace, farouches, solitaires, à la recherche de « la splendeur brûlante de leurs vies » qui finissent par s’ouvrir à l’humanité.
Le texte est incisif, le phrasé identique à celui de notes prises sur le vif et le récit se nourrit de notre goût de liberté.
Quelle belle, douloureuse et charnelle histoire d’amour pour un univers d’exigence à la recherche de nos certitudes !
Patrick GRAINVILLE : Le démon de la vie (Ed Seuil)
L’action se situe dans un village du Sud-Est de la France au cœur du pays des Maures où de petites résidences côtoient de riches domaines et où les touristes anglais se plaisent à résider .
Un tigre, élevé discrètement par un milliardaire excentrique, s’échappe et sème la perturbation dans la population.Un spécialiste est dépêché par les gendarmes pour le retrouver et le neutraliser. Deux adolescents qui s’aiment, une jeune beauté qui part en Inde d’où elle envoie des lettres racontant ses découvertes et ses aventures, voilà les principaux protagonistes de cette histoire. L’auteur nous la raconte dans un style puissant et foisonnant. Les superbes descriptions des lieux mais aussi des ravages de l’amour et de la puissance des relations défendues en font un roman très riche et enlevé où on ne s’ennuie jamais même si on se demande quelquefois ce que l’Inde vient faire dans cette histoire
Paule CONSTANT : Des chauves-souris, des singes et des hommes (Ed Gallimard)
Dans le fin fond de l’Afrique, un village perdu.
Une fillette trouve un bébé chauve-souris et l’adopte avec amour. Des jeunes garçons découvrent un énorme singe dans la forêt et le ramènent triomphalement au village comme s’ils l’avaient capturé vivant. Le village en fait un festin. Une femme docteur vient faire une campagne de vaccination contre le virus Ebola, accompagnée en pirogue par un guide africain Voilà tous les ingrédients qui vont générer un drame affreux que Paule Constant nous fait vivre avec son talent habituel. Elle nous plonge au cœur de cette Afrique profonde qu’elle connait bien, il y a peut-être un peu d’humour dans la façon dont elle évoque les comportements humains naïfs ou enfantins, mais très vite cette légèreté fait place à la tragédie, une tragédie vraiment très noire et par moment insoutenable quand elle touche à des enfants .
Roman superbe déconseillé aux âmes sensibles.
Jacques LOVICHI : Les sources de la nuit (Ed Lucien Souny)
De retour dans son village après de brillantes études, un jeune homme est obligé de commettre un acte de violence terrible. S’il ne l’avait pas fait il aurait été rejeté par les siens.
Il se réfugie dans le maquis de cette île qui n’est jamais nommée par l’auteur. Il fait la connaissance de Saveria, une lointaine cousine, qui bientôt enceinte sera obligée de quitter son île. Elle mettra au monde leur fils Orso et sera obligée de rentrer dans les ordres. Ils ne se verront plus. Entre temps il rencontre dans son « Palais vert » un berger illettré et asocial.
Les deux bannis seront amnistiés s’ils s’engagent dans l’armée. Ce qu’ils font.
C’est la guerre de 14.
A son retour, il rencontrera son fils et reprendra le maquis, ayant besoin de solitude.
C’est une méditation sur la difficulté de vivre, sur la solitude, l’adaptation au silence que l’auteur nous décrit.
L’auteur Corse est romancier, poète. Il a obtenu en 1995 le grand prix du livre corse pour « Le sultan des asphodèles ».
Il fut un temps, il y avait des « bandits d’honneur » qui vivait dans le maquis grâce à la complicité des villageois. Peut-être y en a-t-il encore !!!!!!
Donna LEON : Brunetti entre les lignes (Ed Calmann-Levy)
Venise.
Une bibliothécaire appelle le Commissaire Brunetti, des pages de plusieurs livres anciens de grande valeur ayant été volées. Rapidement il est intrigué par un lecteur « américain » venu à la bibliothèque et disparu depuis, ainsi que par un ancien prêtre, « Tertullien » qui relit sans arrêt « Les pères de l’église ».
L’écriture est fluide, l’enquête intéressante malgré le côté flegmatique du commissaire, avec lequel on flâne, en découvrant la ville côté habitants et non touristes. Mais quand l’un des suspects est retrouvé mort chez lui l’affaire prend une tournure beaucoup plus sinistre.
L’auteure nous fait part de l’inquiétude des Vénitiens sur le devenir de la cité des doges, les grands bateaux de croisières croisant dans la lagune. Dans le cas présent, c’est le pillage des ouvrages anciens et antiques et le marché noir qui en découle. Qui s’en inquiète vraiment ?
Eliane SERDAN : La ville haute (Ed Serge Safran)
Hiver 1956 dans le sud de la France.
Arrivée en France par un hiver glacé, une petite fille de neuf ans, exilée, découvre une vie triste et étriquée dans une vieille ville aux décors hostiles. Quel changement par rapport au soleil du Liban, à la vie aisée et aux rires complices de son cousin Fabio!
A l’école elle subit les affronts des autres enfants, la différence d’accent, le manque d’argent, les us et coutumes qu’elle ignore, le mépris. En allant en classe elle prospecte les ruelles sombres du village qui n’ont rien d’engageantes. Or un soir d’automne très pluvieux elle s’y égare et se réfugie, par hasard, sous un porche puis entre dans une maison cossue où vit un homme seul, étranger lui aussi. Elle a le cœur gros et va s’épancher en parlant de sa séparation d’avec son ami d’enfance Fabio qu’elle ne reverra plus.
Pour lui c’est le choc car ressurgissent les fantômes d’un passé qu’il a cherché à oublier toute sa vie.. Cette fillette, si ressemblante par le visage et l’âge, rouvre une blessure profonde : à l’âge de neuf ans, en Turquie, il assiste impuissant à l’enlèvement d’Anouche, amie d’enfance, fille de sa nourrice arménienne qui a subi les pire outrages puis a été déportée. La vue du sang et son cri de détresse le hantent encore maintenant
En réponse à la confidence de la petite, il raconte ces moments tragiques sans prendre conscience de la fragilité de l’enfant. Ils demeurent tous deux très choqués par cette visite.
Le père, devenu employé dans l’imprimerie de cet homme, va demander une explication. Touché par sa bonne foi, le sachant seul et émigré lui aussi, il l’invitera à partager le repas de fête.
Texte assez sombre vu le sujet qui évoque aussi le génocide arménien. Ecriture simple, sobre, avec beaucoup de pudeur. Rencontre de deux êtres d’age et de conditions différents qu,i en exil, cachent le même chagrin : le pays leur manque, leurs amis, le soleil et l’insouciance aussi. L’enfant, libanaise, cherchera à échapper à la solitude et l’adulte, arménien, aura la possibilité de se libérer de son lourd passé.
Mark ZELLWEGER : Double jeu (Éd Eaux Troubles)
Troisième volet d’une série de romans d’action et d’espionnage, « Double jeu », nous raconte l’actualité géopolitique, les relations internationales, les enjeux politiques auxquels se greffe la part personnelle d’un héros Mark Walpen, responsable d’un service de renseignements indépendant et neutre, dénommé Sword.
Cet organisme est doté d’unités d’actions, « les Faucons », qui interviennent dans le monde entier.
Nous sommes donc entraînés dans tous les lieux où règnent, instabilité, guerre, menace, enjeux stratégiques : la Syrie, la Russie, l’Ukraine, et l’Afrique.
Fort de son expérience de consultant et conseiller spécial des services de renseignemenst, l’auteur utilise son terrain de jeu pour y organiser l’émergence de plusieurs intrigues à l’intention du lecteur.
Qu’il s’agisse de la livraison d’avions de chasse à Bachar el-Assad, de l’enlèvement d’ingénieurs au Sahel, des pratiques illégales d’un banquier Suisse, des agissements de douteux oligarques Russes, comme de problèmes sanitaires au Congo, toutes les scénarii se rejoindront dans une grande imbrication mondiale.
Les dysfonctionnements sont légions semble-t-il, mais l’auteur ne nous livre aucun détail, n’affiche aucune théorie. Le texte est un ensemble uniquement dialogué entre chaque intervenant où, banalités, incongruités et platitudes constituent l’essentiel de l’action.
En résumé, des commentaires de terrasse de café autour de la rubrique « politique internationale » du journal local !
Pierre ASSOULINE : Golem (Ed Gallimard)
Gustave Meyer, grand maître d’échecs à la mémoire phénoménale, est suivi par son ami le docteur Kaplan pour des problèmes migraineux d’origine épileptique. Soupçonné d’avoir assassiné son ex-femme mystérieusement décédée au volant de sa voiture, il comprend que les propos qu’elle tenait sur son blog mettant en cause les dérives éthiques des neurosciences, cachent un guetapens qui l’incite à fuir. Une fuite qui le mènera de bibliothèques en monastères et le fera traverser l’Europe. Son parcours, tel le fou de l’échiquier le plongera dans l’étude de la Kabbale, version vulgarisée du livre de la tradition mystique et ésotérique du judaïsme. Golem, gardant le souvenir du golem anthropoïde du Maharal de Prague, il s’enfonce dans le silence de sa race, respectant la tradition.
Ce roman surprend car le lecteur imagine un roman policier. C’est mal connaitre Pierre Assouline qui aborde une critique sévère des recherches médicales sur un néo-cortex artificiel branché sur nos synapses et connecté au web dans le secret des laboratoires.
Polar philosophique alliant l’action et la science, un roman qui fait froid dans le dos car l’humain devient humanoïde. Ne reste que l’espoir.
Christine ORBAN : Charmer, s’égarer et mourir (Ed Albin Michel)
En regardant la couverture de ce livre et en découvrant le début ,on prend tout de suite conscience que ce n’est pas un roman mais pas non plus une biographie de Marie-Antoinette mais plutôt d’épisodes de la vie de son héroïne que l’auteur nous expose sans ordre chronologique, s’aidant d’un épisode pour en expliquer un autre et s’impliquant fortement elle-même dans le déroulement des joies, le charme, les faux-pas, les égarements et le drame de sa mort qui la montret dans toute l’horreur de sa fin tragique. Tout est respecté mais on rentre au plus près de ses sentiments, on suit son évolution en arrivant à Versailles, si différent de la cour d’Autriche et on comprend le grand malentendu entre une reine attendue, acclamée, aimée, qui n’a pas compris ce qu’on attendait d’elle, paralysée par sa propre mère et son regard implacable sur ses moindres faits et gestes, par son jeune âge et son éducation chaleureuse glacée par un époux distant. Tout y est mais c’est presque une psychanalyse tant l’auteure est attachée à son personnage, et met en valeur ses pensées, nous laissant entrevoir les côtés futuristes de la souveraine. qui est déjà proche de Voltaire.
C’est le roman de l’incompréhension, du fossé qui existait entre ces deux mondes la royauté et le peuple de la misère.
Très bien documenté, très bien écrit, ce n’est pas un roman historique mais bien une approche psychologique que l’auteure a parfaitement partagé et qu’elle a rendu dans un style vif et nuancé.