Hédi KADDOUR : Les prépondérants (Ed Gallimard)
Quel bouleversement à Nahbès, petite ville du Maghreb lorsque débarque une équipe américaine pour tourner un film. La communauté s’interroge, s’insurge, s’émerveille selon sa culture, ses origines, ses idées politiques ou sociales. La France est toute présente avec l’arrogance, les exigences, les craintes de ses colons après une première guerre mondiale sauvée par les Américains, ces Américains qui révolutionnent le petit monde des prépondérants. Un club très fermé, où la hiérarchie permet l’ascension sociale, où se concluent les meilleures affaires et où évoluent les notables.
La jeune actrice, Katryn, apporte le trouble dans un monde réglé par la tradition, un monde où la femme se tient en retrait et ne dévoile pas son corps. Une cohorte de personnages comme le caïd, son fils Raouf, brillant élève de dix-sept ans séduit par l’Occident, le colon traditionaliste Ganthier, la jeune veuve Rania réfugiée à la campagne pour mieux étudier et vivre son amour secret, Gabrielle, la jeune et très indépendante journaliste jusqu’à l’être trop longtemps, tous ces personnages se croisent, s’épient, s’aiment, se jalousent. C’est une mini société où les prépondérants entendent bien rester à la manœuvre et garder tous leurs droits.
Ce petit monde évolue sur deux ans et l’auteur distille avec justesse et saveur une radiographie réjouissante de l’époque ; nous sommes en 1922, rien de plus dangereux que ces idées communistes, ces sursauts d’indépendance.
C’est brillamment qu’Hédi Kaddour pénètre dans l’intimité de ses personnages, rien ne lui est étranger des avancées, reculades, réflexions , filouteries des plus malins. Mais l’histoire ressent les premiers grondements d’un monde qui change, un certain Hitler tient de drôles de discours, la Russie exerce une forte attractivité auprès des intellectuels.
Décryptage savant à savourer à chaque page car le club des prépondérants vacille sur ses bases, l’Amérique n’est pas la seule en cause, la tradition et la modernité peuvent se télescoper et le drame fera exploser une communauté apparemment soudée.
Jean d’AILLON : Les aventures de Guillem d’Ussel, chevalier troubadour
L’évasion de Richard Cœur de lion et autres aventures (Ed Flammarion)
Jean d’Aillon éminent médiéviste a choisi parmi les aventures de Guillem d’Ussel entre 1182 et 1201 afin d’illustrer les faits et gestes du chevalier troubadour qui vient en aide aux faibles comme aux puissants et déjoue les injustices et les traquenards toujours sur un fond de vielle et de poésie. Sa profonde connaissance des mœurs de cette époque nous permet de visualiser et d’imaginer tant la vie de château que de bourgs de manants. De l’action, du suspense, de la psychologie, une fine description des personnages qui émaillent ces nouvelles où le héros tire toujours son épingle du jeu nous tiennent en haleine et nous révulsent par la cruauté et la barbarie de la vie à cette époque.
Pour des fans d’histoires et de réalisme historique
Célia ANFRAY : Le Censeur (Ed Gallimard)
Inspirée d’une histoire vraie, l’auteur nous propulse avec érudition dans la vie littéraire et mondaine du XIXème siècle à Paris. Nous sommes en pleine Restauration, le héros de ce roman est riche, élégant, il mène une vie mondaine, a écrit une pièce de théâtre qui a eu du succès, est entré à l’Académie. Cependant, soucieux de plaire à Charles X, il accepte un portefeuille de censeur des théâtres. Le répertoire du Théâtre Français tout entier doit lui être soumis, à lui de décider si rien dans le sujet ne peut déplaire au roi et s’il va ou non envoyer une pièce aux oubliettes !
Il est à la fois très fier et angoissé, d’autant plus qu’on lui adjoint un secrétaire pour le moins bizarre et inquiétant .
Le texte brillant, d’une grande qualité d’écriture, fourmille d’anecdotes, d’exemples de censure savoureux et de rencontres avec les grands écrivains de l’époque ,Victor Hugo entre autres. Beaucoup d’érudition donc, un peu de mystères, une amourette et aussi une vraie réflexion sur les limites de la censure, ce roman ne manque pas d’intérêt.
Maryline DESBIOLLES : Le beau temps (Ed Seuil)
Ce roman fait rencontrer le lecteur avec Maurice Jaubert qui a donné son nom à un lycée d’un quartier de Nice. Intriguée par ce nom qui lui était inconnu, Maryline Desbiolles a fait des recherches et nous livre le parcours étonnant de ce jeune niçois.
Né en 1900 et mort en 1940, Maurice Jaubert a fait des études de droit pour devenir avocat, mais son intérêt croissant pour la musique et son mariage avec une jeune cantatrice lui feront très vite évoluer dans le monde artistique. Il fréquente les milieux de jazz et se révèle bientôt un personnage incontournable pour la composition des musiques de films car le cinéma, de muet, devient parlant. C’est un univers nouveau où Maurice Jaubert rencontre des figures aujourd’hui reconnues telles que Jean Vigo, Julien Duvivier ou Marcel Carné pour le cinéma, mais aussi Olivier Maessian ou Honneger pour la musique et Jean Giono pour la littérature.
Maryline Desbiolles décrit avec passion et talent une fresque culturelle des années suivant la première guerre mondiale, des années riches, prometteuses malheureusement interrompues par la deuxième guerre mondiale qui sera fatale à Maurice Jaubert.
L’auteur a eu raison de chercher à savoir qui était cet inconnu.
Page après page, l’intérêt croît et le lecteur est ravi d’avoir découvert ce jeune talent enthousiaste, curieux, travailleur et très doué.
David GROSSMAN : Un cheval entre dans un bar (Ed Seuil)
Dans une atmosphère faussement gaie, le comique Dovalé débite ses plus ou moins bonnes plaisanteries devant un public hétéroclite en Israël, à Netanya. Il y a pourtant dans l’assistance un juge invité, plutôt, convoqué par Dovalé, un juge qui a été son ami mais a disparu dans les tourbillons de la vie et qui a répondu en acceptant d’assister à son spectacle.
C’est une interrogation tragique que Dovalé pose au milieu de ses pitreries, ses claques, ses cris, ses rires, ses sanglots secs. Fils d’immigrés, avec un père coiffeur assez brutal mais travailleur et une mère murée dans le silence après les sévices subis pendant sa captivité en Pologne, Dovalé a été un petit garçon gai qui attire l’attention avec sa peau toute blanche constellée de taches de rousseur. Dans un camp à quatorze ans, il reconnait son ami, le futur juge, ils ont suivi les mêmes cours et attendu le bus ensemble ; Dovalé , souffre-douleur de la chambrée préfère rire que pleurer, et pourquoi pas marcher sur les mains, histoire de voir la vie à l’envers, empêcher les coups. Dovalé pressent la fin de son enfance lorsqu’il est convoqué pour aller aux obsèques, mais aux obsèques de qui, lui qui n’a pour famille qu’un père et une mère. Personne ne le lui a dit, le chauffeur qui le ramène à Jérusalem ne saura que lui offrir un concours de blagues pour reculer le plus longtemps possible la terrible vérité, une vérité qui sera au bout du chemin, et fuir sur les mains n’inversera pas le regard du parent qui reste, le parent qui a compris le choc de l’enfant qui avait choisi « son parent mort ».
Les gesticulations, les rires, les sifflements, les départs des clients furieux du spectacle n’empêcheront pas Dovalé de courir vers un dénouement tragique, une course, une fuite qui rappelle celle de la femme fuyant l’annonce, précédent roman de David Grossman
Le lecteur ne saura jamais la fin de l’histoire du cheval qui entre dans un bar et si comme quelques spectateurs il ne se lasse pas des mauvaises blagues de l’auteur et ne ferme pas le livre, exaspéré, il sera anéanti par la douleur des hommes, leur incompréhension, leur manque de communication et d’amour.
Alain MABANCKOU : Petit Piment (Ed Seuil)
Nous sommes au Congo dans les années 60, non loin de Pointe Noire, la capitale.
Le héros, un jeune orphelin raconte.
Recueilli par un prêtre, le voilà affublé dès son arrivée à l’orphelinat de Loango, d’un prénom invraisemblable. Traduit, cela donne : « Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre de nos ancêtres ! » Heureusement, pour plus de simplicité, il se verra attribuer le surnom de Petit Piment, suite à une de ses facéties.
Ce petit congolais grandit donc dans cette institution catholique sous l’autorité abusive et corrompue du directeur Dieudonné Ngoulmoumako.
La vie lui sera rendue supportable grâce à son ami Bona, touchant de naïveté et à la venue épisodique de papa Monpelo, prêtre, homme d’espoir et de gaieté, également professeur de danse pygmée à l’occasion.
Le ton est donné, nous sommes bien en Afrique, et le récit de la vie de Petit Piment prend une tournure de conte exotique. La narration est pétillante.
Le récit s’essouffle cependant au fur et à mesure que le jeune garçon se fait homme. C’est aussi l’époque des désillusions avec l’avènement du pouvoir socialiste. Les cours de « conscientisation » ont brisé les rêves des quelques trois cents pensionnaires de l’orphelinat
Petit Piment déserte, fait successivement partie des « moustiques du grand marché », vit de rapines, fréquente des voyous, rallie l’équipe de maman Fiat, la maquerelle aux dix filles. Il finira en établissement pénitentiaire puis où il perdra la raison et la mémoire
La langue vive et inventive du début du texte a disparu.
Le roman reste néanmoins original par le contexte, le regard de l’auteur, perspicace et plein d’humour acide, ainsi que de savoureux dialogues.
Une belle ambiance africaine reconstituée à la hauteur de l’amour que Mabanckou porte à son pays.
Valentin MUSSO : Une vraie famille (Ed Seuil)
La famille Vasseur, lui, professeur d’université, elle, galeriste à Paris, se sont retirés au fin fond de la Bretagne suite à une tuerie qui a eu lieu au sein de l’université. Lui est sorti diminué, elle, l’entoure et le protège. Peu de contact pour ce couple qui vit en retrait, leur fille étant à l’étranger. C’est donc dans un véritable huis-clos que va se dérouler le drame sous les traits d’un jeune individu que l’époux croise dans la campagne et va introduire chez lui pour accomplir quelques travaux de jardinage d’abord puis d’aménagements de la maison jamais terminée.
Construit en trois parties on s’attache d’abord au personnage meurtri du père, puis du jeune inconnu qui se dévoile peu à peu et enfin de la mère, véritable découverte dramatique.
Bien écrit , bien construit, l’ambiance de confinement à la campagne bien campé, le suspense s’installe jusqu’à l’horreur du dénouement.
Mais peut-être, justement, est-il un peu trop énorme ?
Quoique, en fait, que sait on du déroulement possible d’un drame ?