« Les héritiers », film de Marie-Castille Mention-Schaar, fait un carton. Déjà plus de 500.000 spectateurs l’ont vu et aujourd’hui, voici que son comédien, co-scénariste également, Ahmed Dramé est nommé aux César pour la révélation masculine. Le bonheur sur toute la ligne.
Grâce à Noémie Dumas, qui préside aux destinées du Six n’étoiles de Six-Fours, nous avons eu la chance de voir arriver ce tout jeune nominé de 21 ans pour présenter ce film qui, à juste titre, lui tient tellement à cœur.
J’ai eu la chance de l’avoir une heure en tête à tête et, en plus d’être un talent plein de promesse, j’ai rencontré un être à la fois lumineux, bien dans sa tête, sensé, posé et volubile quant à la passion qu’il a pour ce métier qu’il a toujours voulu faire, jouer et écrire étant ses buts déjà tout jeune, et qui s’exprime avec délicatesse et sincérité.
Alors Ahmed, quel effet ça fait d’être « nominé » ?
Nominé seulement… pas encore nommé ! Mais c’est un sentiment émerveillé de voir déjà la reconnaissance du métier.
Il faut passer parfois par beaucoup de sacrifices pour en arriver là et là, le métier me dit que j’ai eu raison. Bien sûr que j’en ai rêvé mais justement, ça n’était qu’un rêve sans imaginer que ça viendrait si vite. Je pensais que ça n’appartenait qu’à quelques élus… Et aujourd’hui je le suis !
Déjà, lorsque j’ai tourné « Les petits princes », je trouvais que j’avais de la chance mais tout s’est enchaîné si vite…
Ça ne te fait pas peur justement ?
Tu sais, je suis quelqu’un de très discret et j’ai la chance d’avoir rencontré des gens extraordinaires comme Anne Anglès, ma prof, grâce à qui tout a commencé, puis Marie-Castille qui m’a fait confiance tout de suite, au-delà de ce que je pouvais espérer, Ariane Ascaride et son humanité et Léon Zyguel qui m’a ouvert aux réalités du monde et dont j’ai appris la mort aujourd’hui. J’ai beaucoup de peine.
Avec tout ce que ces personnes m’ont apporté, je ne peux que garder la tête froide.
Que t’ont-elles apporté ?
Les réelles valeurs du travail bien fait, le respect des autres et de soi, l’amour des autres… Je comprends l’importance de tout cela et il n’y a donc pas de quoi s’enflammer pour des honneurs, même si c’est appréciable.
Je n’ai que 21 ans, j’ai encore plein de choses à prouver, à apprendre.
Dans ce milieu du cinéma, rien n’est jamais acquis, on reste étudiant à l’infini, on est sans cesse à la recherche d’un rôle, d’une histoire, d’un univers…
Comment es-tu venu à ce métier ?
J’ai toujours aimé le cinéma, j’ai toujours aimé écrire. Déjà, lors de mes premiers castings, je lisais les scénarios en m’intéressant à leur écriture, à leur construction. Je me suis alors dit : pourquoi ne pas essayer ?
Mais pour cela, il me fallait une histoire et pourquoi pas ne pas partir sur du vécu, sur quelque chose qui avait marqué ma vie ? Alors j’ai pensé à cette année de classe qui restait une de mes plus belles expériences.
En as-tu parlé à tes camarades ?
Non, tout d’abord parce que je les avais perdus de vue, puis parce que je ne savais pas où ça allait me mener et enfin, dans la vie je suis très pudique, je ne raconte pas ce que je fais. Seules ma maman et ma sœur étaient au courant. Ce n’est qu’à deux semaine de tournage que je l’ai dit à certains. Ils étaient à la fois surpris, curieux et heureux.
Tu t’es donc écrit ton propre personnage ?
Oui mais je ne l’ai pas du tout fait dans ce but. J’écrivais ce que j’avais vécu et au départ, je voulais surtout fixer par écrit cette histoire importante pour moi. Je voulais aussi honorer certains profs qui oeuvrent souvent avec des moyens limités et des ados pas faciles. Enfin je voulais rendre hommage à ces gens comme Léon Zyguel, qui ont vécu des choses abominables. Mon but était de rassembler et toucher un maximum de personnes.
Comment en es-tu arrivé à cette finalité ?
Ça a été le parcours du combattant. J’ai tapé à tellement de portes pour pouvoir montrer mon scénario ! Ça a été très compliqué, très frustrant… On m’a donné tellement d’excuses, de refus, qu’à un moment, j’ai décidé d’abandonner. Ça a duré cinq mois mais il y avait des gens autour de moi qui me disait qu’il fallait y croire, qu’il ne fallait pas baisser les bras, à tel point que j’ai eu un sentiment de honte et que j’ai relancé la machine. Je me suis dit qu’il était normal qu’on se méfie d’un ado de 17 ans 1/2 qui n’avait même pas fait un court métrage et qu’il fallait que je m’accroche.
Et ça a été ta rencontre avec Marie-Castille !
Exactement ! J’aimais ce qu’elle faisait, de plus, elle était scénariste, réalisatrice, productrice et elle ne pouvait m’être que de bon conseil. J’ai trouvé ses coordonnées sur Internet, j’ai appelé et elle m’a donné tout de suite rendez-vous… Je n’en revenais pas !
Alors ?
Elle a tout voulu savoir de moi, d’où je venais, pourquoi j’avais écrit ce scénario, quelles étaient mes ambitions… Nous avons passé l’après-midi ensemble et à la fin elle m’a dit : « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? ». J’ai été tellement surpris que je n’ai su que dire. C’était tellement inattendu, si soudain. C’est en sortant de chez elle que j’ai commencé à comprendre ce qui se passait. Nous avons finalement décidé de réécrire ensemble le scénario, qu’elle le réaliserait et que j’y jouerais mon rôle.
11 juillet 2013 :C’est une date que je n’oublierai jamais. Au premier clap, j’ai compris ce qui m’arrivait !
Et il y a eu deux autres rencontres : Ariane Ascaride et Léon Zyguel.
Deux cadeaux énormes.
Ariane, c’est le talent doublé d’humanité, de générosité. Très protectrice, elle a tout fait pour me mettre à l’aise, me mettre en valeur, m’aider au maximum sans ostentation. Ca a été une véritable osmose.
Ma nomination, je la lui dois en grande partie car au cinéma, il faut savoir qu’on ne joue pas tout seul. On dépend d’une équipe pour dégager quelque chose. Et puis, Ariane est une passionnée. Je me souviens de son dernier jour de tournage à Bruxelles. Elle a donné un pot d’adieu et je me suis mis à pleurer devant tout le monde, moi qui n’ai pas l’habitude de montrer mes sentiments en public.
Je prenais alors conscience de son engagement, de sa détermination, de ses implications. C’est une actrice fantastique doublée d’une femme chaleureuse et humaine.
Tu dois être déçu qu’elle ne soit pas nommée aux César ?
C’est vrai, ça a été une déception, j’ai trouvé ça injuste. Mais je crois que ça m’a plus frustré qu’elle. Elle est heureuse pour moi, tout simplement. Et elle, elle n’attend pas ça. Elle a déjà eu un César, elle a déjà tout gagné et tout le métier le sait, le reconnaît. Je sais qu’elle nous surprendra encore.
Et puis il y a eu Léon Zyguel…
Sa mort aujourd’hui, à 87 ans, m’a rendu très triste.
C’était un homme d’une grand humanité. C’est très bizarre car j’ai été tout de suite très proche de lui, comme si nous avions le même âge. Je lui ai dit que si nous avions vécu à la même époque, nous serions certainement devenus les meilleurs amis du monde. Il m’a dit que la différence d’âge n’empêchait pas d’être amis.
Lorsqu’il a évoqué ses souvenirs dramatiques, je me suis rendu compte qu’il avait alors 15 ans. Et moi j’en avais alors 15 1/2. Quel courage, quelle force, quelle noblesse dans cette vie de combattant. Malgré tout, il croyait en l’avenir de l’Homme. Il est l’une des personnes qui a changé ma vie.
Revenons à ta prof, Anne Anglès… Comment a-t-elle appréhendé cette aventure ?
Avec surprise et émotion car elle n’imaginait pas un seul instant qu’elle ait été aussi importante pour nous. Marie-Castille l’a rencontrée et, pour en savoir plus sur elle, elle s’est immergée six mois dans sa classe, pour l’observer, la cerner. Entre elles aussi, il y a eu une belle osmose.
Tes camarades ont-ils enfin vu le film ?
Oui, nous avons voulu faire une projection pour eux. J’ai eu un mal fou à les retrouver tous et les réunir mais on y est arrivé. Ils sont passés par tous les sentiments : rire, émotion, frustration, joie mais en fait il y avait en eux beaucoup de fierté.
Ça restera pour nous tous une période inoubliable. »
Propos recueillis par Jacques Brachet