Pierre VENS : La nuit Grecque (Ed Albin Michel)
Vincent aurait tout pour être heureux : une belle situation, une femme aimante un fils qu’il adore.
Mais tout va se détériorer lorsqueson entreprise décline, qu’il fait tout pour rester à flot sans vouloir en parler à sa femme mais peu à peu l’entreprise sombre et lui avec.
C’est au cours d’un voyage à Athènes que sa vie va complètement basculer. Un soir qu’il en prise avec tous ses problèmes, il entre dans une boîte gay alors que jusque là il n’a eu aucun penchant homosexuel et son regard croise Théo, un jeune grec vers lequel il est irrésistiblement attiré. Cela semble réciproque et il se laisse aller à cette aventure qu’il pense être d’un jour, par dépit, par tristesse, pour oublier ses problèmes…
Mais très vite cette rencontre devient passionnelle. Il découvre son homosexualité, il tombe fou amoureux de ce jeune garçon très ambigu quant aux sentiments qu’il semble partager mais non dénués d’intérêt, qui va l’entraîner dans une passion dévorante, une spirale infernale de sexe et d’alcool.
Malgré tout l’amour qu’il continue à porter à sa femme et la compréhension de celle-ci, le couple évidemment va éclater. Quant à lui, il prendra le chemin d’une fatale et sordide déchéance jusqu’à la rupture avec ce garçon qu’il a du mal à comprendre et qu’il a dans la peau.
Sept ans plus tard, Vincent s’est reconstruit tant bien que mal. Il n’a plus eu de nouvelles de Théo, jusqu’au jour où il reçoit la lettre d’un avocat qui lui annonce que son fils devient propriétaire d’une maison en Grèce léguée par Théo. Il va retourner sur le chemin de ce qui fut pour lui le paradis et l’enfer et va découvrir des choses…
Ce livre, qui est un premier roman, est bouleversant et vous prend très vite aux tripes. Pour écrire des pages aussi belles et touchantes, il semblerait qu’il y ait du vécu là-dessous tant les sentiments contraires évoqués sont à la fois réalistes et poignants. L’on suit cet homme à la dérive avec toujours l’espoir qu’il va s’en sortir. Pierre Vens écrit avec délicatesse, décrit avec tendresse et violence ces sentiments contraires que vit son héros et l’on se prend à les partager : que ferait-on si cela nous arrivait ?
Rarement ce délicat sujet a été abordé avec tant de rigueur, d’évidente vérité. C’est en quelque sorte un rite, une passerelle entre deux vies, un passage sur une autre rive qui ne peut se réaliser que dans le tumulte. On ne tombe jamais dans le pathos ni dans le graveleux. C’est un grand roman écrit avec une belle plume prometteuse, qui ne peut vous laisser indifférent.
Dominique BONA : Je suis fou de toi – Le grand amour de Paul Valéry (Ed Grasset)
Défendant toujours sa famille et son écriture, malgré de nombreuses maîtresses, personne n’a su prendre possession de Paul Valéry même pas cette encombrante mais brillante Catherine Pozzi dont l’exigence intellectuelle n’avait d’égale que son physique ingrat.
Alors qu’il était au bout du rouleau – soixante-dix ans et une mélancolie chronique – il rencontre Jeanne Loviton-Voilier. Jeune femme moderne, pleine de santé et de dynamisme, ambitieuse, divorcée, elle est avocate et chef d’entreprise. Lui a besoin de tendresse ce qui le rend vulnérable et amoureux comme un ado plein de sensualité. Elle devient « la muse, le public, le modèle, le thème et ….la récompense ». C’est sa drogue! Elle cherche une épaule et est éblouie par ce grand esprit, plein de charme et d’humour. Pour la jeune fille humiliée qui vivait chichement avec sa mère, d’avoir séduit un académicien français, docteur Honoris Causa de plusieurs universités étrangères, professeur de poétique au collège de France, adulé et couvert d’honneurs, quelle revanche éclatante, bien que ce soit une liaison cachée.
Mais Paul Valéry ignore le territoire encombré de cette femme fascinante qui, sans remords, dans la plus grande discrétion, parallèlement collectionne des amants illustres ( Giraudoux, Saint John Perse, Malaparte, une femme très brillante, Yvonne, Robert Denoël etc.)
Ce dernier était le seul prêt à divorcer pour elle. A l’annonce de ce futur mariage Paul Valery se laisse mourir
Dans un très beau style classique, c’est une somptueuse biographie, écrite par une spécialiste du genre qui plonge le lecteur dans la vie intellectuelle de 1937 à 1945. Avec beaucoup de délicatesse, l’auteur fait un portrait sensible et touchant de ce grand homme célèbre et vieillissant, dont elle dissèque les tourments à travers ses nombreuses lettres bien sélectionnées ( quatre cent cinquante deux au total)
C’est la victoire du cœur sur la raison. Tandis que son idole, jeune femme ambitieuse et moderne, a su charmer sans remords nombre d’hommes célèbres dont Paul Valérie pour qui elle a eu un vrai penchant.
Eric VUILLARD : Tristesse de la terre (Ed Actes Sud)
Ce récit retrace à travers la vie de Buffalo Bill le bien triste destin des indiens d’Amérique et tout particulièrement la tribu des Sioux. Eric Vuillard appuie son histoire sur une sélection de photographies d’indiens en grand apparat ou humiliés, de Buffalo Bill triomphant, de colonels satisfaits de leur tristes victoires. Des victoires sur un peuple manipulé, précipité par un hiver rigoureux vers une mort certaine, soit de faim et de froid, soit sur le champ de bataille.
Buffalo Bill a utilisé les derniers indiens valides en créant le premier grand show à travers l’Europe de 1900 à 1913. Même la reine Victoria a assisté et applaudi les cascades de ces indiens réduits à n’être que des animaux de cirque. Pauvre Sitting Bull, que faisait-il dans ces tournées loin de ses prairies du Wyoming ? Pour malheureusement être lâchement assassiné de retour chez lui. Buffalo Bill est désormais riche, même très riche, l’indianomania de l’époque provoque la ruée vers tout objet ayant appartenu à un indien, parfois même un bébé adopté pour finalement mourir dans la plus grande tristesse. Avec son Wild West Show, Buffalo Bill a créé le concept du grand spectacle, il est le précurseur de Luna Park, il a aussi créé sa propre ville selon son nom, Cody, actuellement visitée par les touristes amateurs de rodéo !
Eric Vuillard traduit l’infinie tristesse d’un peuple à qui l’identité a été volée, il ne lui reste que le folklore. Récit émouvant sur un peuple fier anéanti par le mépris, l’insolence l’inhumanité de généraux grossiers et veules.
Eric Vuillard aimerait que le lecteur envisage une autre version des faits, celle qui donne la victoire aux indiens et leur enlèverait ce voile de tristesse permanent.
Oui, pensons-y, l’histoire aurait pu être autre.
Gilles MARTIN-CHAUFFIER : La femme qui dit non (Ed Grasset)
En 1938 une jeune Anglaise débarque dans L’Ile aux Moines, elle épouse un fils du pays et y vivra toute sa vie . Elle aura un amant , un fils, fera de la résistance, gagnera sa vie, supportera son insupportable belle-mère, et traversera cette période, des accords de Munich à nos jours , d’une vie riche et bien remplie, refusant comme le sous-entend le titre, de se plier aux impératifs de l’époque .
Voici un très beau roman qui parle d’amour, d’amitié, de lâcheté, de courage, de trahison, bref du comportement des hommes dans une succession de périodes difficiles . Il nous décrit des personnages intéressants en particulier l’héroïne, un beau portrait de femme…..l’auteur a prétendu retracer le portrait de sa grand-mère…….Dans les paysages magiques des îles bretonnes, il nous fait vivre à travers ses personnages toute une période de notre histoire, la
dernière guerre, l’Indochine, l’Algérie, De Gaulle ou Mitterand ! Période riche entre toutes qu’il évoque avec talent et ne peut nous laisser insensibles
François VALLEJO : Fleur et sang (Ed Viviane Hamy)
Les deux noms du titre annoncent le double roman écrit en parallèle, la vie de deux médecins vivant à quatre siècles d’intervalle, réunis par un même nom : Delatour . Fleur c’est au XVII° siècle Urbain un jeune étudiant en médecine et herboristerie qui apprend sous la férule de son père chirurgien du petit village de Neuville le désert perdu au centre de la France. Le seigneur du lieu veuf et père d’une fille atypique, brutale et déguisée en garçon va s’effacer du panorama pour une quête de traitements dans des villes d’eaux et se laissera dépouiller de toutes ses prérogatives et de sa fortune par ce médecin retors mais habile et estimé de ses congénères. Nous le suivons à travers le regard de son fils qui l’admire et lui restera fidèle même dans le mensonge
Sang c’est Etienne, éminent chirurgien cardiologue qui tranche dans les corps et les vies . Coupé du réel au bénéfice de son art il passe à côté de la vie , échoue au travail comme en amour. Sa passionr bancale pour Irène qui l’attire et le repousse, lui fait perdre le sens des réalités jusqu’à l’effondrement et la chute dans l’alcoolisme.
Ces deux histoires de gloire et de dégringolade traitées en courts chapitres qui alternent, mêlent les destins de ces deux hommes, embrouillent les sentiments mais s’éclairent aussi mutuellement, la réponse de l’un éclairant la situation du l’autre .Ce roman déroutant par l’imbrication des histoires nous fait partir très vite dans un romanesque échevelé pour s’essouffler dans des situations inachevées .Le style est fleuri et coloré pour Fleur, plus classique et sobre pour Sang , c’est tout l’art de Vallejo ! C’est une grande histoire écrite avec beaucoup de talent mais qui laisse un peu sur sa faim malgré les révélations finales qui éclairent la trame de l’histoire.
Grégoire DELACOURT : On ne voyait que le bonheur (Ed : JC Lattès)
Après le succès mondial de « La liste de mes envies » et »La première chose qu’on regarde » J-C Delacourt aborde ici un drame familial . Alors que l’image de couverture laisse présager une histoire familiale dans le bonheur du quotidien d’un cadre rassurant, nous basculons au cœur d’un drame. Antoine, expert en assurance et père comblé bascule soudain dans la faute en ayant voulu compatir aux mésaventures d’un de ses clients et se retrouve sans travail. A partir de là il se penche sur sa vie, ses parents, son épouse, ses enfants en s’attachant non pas à l’image rendue mais en nous faisant pénétrer aux plus intimes de ses sentiments et de ses réflexions. Et ce sera la chute vers l’irréparable, la mort, le suicide, la faute fatale. Dans la deuxième partie de ce triptyque, nous le retrouverons sur la côte ouest du Mexique ou il tente d’être un autre, de se reconstruire, de refaire une nouvelle vie sans jamais oublier. Dans la troisième partie c’est sa fille qui reprend la narration à travers sa reconstruction et aborde le pardon, la résilience.
Roman intimiste et introspectif, l’auteur aborde tous les problèmes que la vie nous cache ou nous travestit , ce que l’on croit savoir, les peurs enfouies, les égarements, la honte et quand même la rédemption. Une fois de plus lourde charge pour la faute de la mère à travers les générations. Livre fort, très rythmé, dégageant une émotion intense, allant parfois jusqu’au pathos, On peut ne pas aimer et le targuer de déballage sentimental mais on ne peut rester indifférent.
Julie GOUAZE : Louise (Ed Léo Scheer)
Louise va passer son bac de philo à Lyon. Son cadre familial a éclaté lorsque sa sœur aînée quitte le cocon chaleureux et douillet d’un milieu universitaire, post soixante huitard, donc libre quant à l’éducation des enfants. Louise a quatorze ans de différence avec sa sœur Alice, elle est sa joie, sa raison de vivre dans la famille, elle veut le bonheur de tous, jusqu’au chien. Elle connait le secret d’Alice qui part se marier en Allemagne pendant les vacances des parents, et fidèle à ses principes de silence et de fidélité, elle ne révèle rien à ses parents. Louise voit tout, enregistre tout, fait de son mieux pour que l’équilibre et le bonheur familial soient chaque jour au rendez-vous.
Mais qui peut croire à une telle fiction ? Elle en fait l’amère expérience auprès de son premier compagnon qui l’exploite et la bat. Elle retrouve Alice avec un merveilleux petit garçon, mais Il faut bien admettre l’alcoolisme d’Alice ; la seule bonne volonté de Louise ne suffit pas, il faut des traitements plus radicaux et rien n’est sûr, la rechute n’est jamais loin. Les parents se réfugient dans la cuisine pour la mère, la lecture pour le père, le silence n’exclue pas l’amour des parents mais Louise souffre autant que sa sœur. Elle qui a toujours agi comme une petite mère n’arrive pas à avoir de bébé.
La lumière est toutefois au bout du chemin, Alice surmontera son addiction à l’alcool et Louise sera enfin mère, la mère qui a toujours veillé sur sa grande sœur.
Traité avec maîtrise, des phrases courtes, souvent même très très courtes pour marquer le tempo de ce premier roman, Julie Gaouzé écrit sérieusement sur ce qui pourrait être du vécu, c’est sensible, mais jamais mièvre, un premier roman prometteur.
Lydie SALVAYRE : Pas pleurer (Ed le Seuil)
Dans un récit puissant l’auteur relie la petite histoire à la grande en entrelaçant deux voix, celle de Bernanos « Les cimetières sous la lune » et celle de sa mère, jeune Catalane pauvre et inculte . Celle-ci très âgée a tout oublié de sa vie de « mauvaise pauvre », sauf l’été radieux de 1936 où elle a quinze ans et où l’Espagne est en pleine guerre civile . Elle avait suivi son frère, jeune anarchiste, à Barcelone,et découvert la liberté, la ville joyeuse en pleine ébullition révolutionnaire, le plaisir de lécher une glace, de suivre un bel inconnu français, André, oui pourquoi pas André Malraux, un jeune homme dont elle aura une fille, la sœur aînée de l’auteur . Revenue au village, les choses ont bien changées, nationalistes d’un côté, communistes de l’autre, les assassinats en série sont souvent approuvés ou même orchestrés par l’église elle-même . L’ivresse de la jeune espagnole qui espérait sortir du moyen âge, ne durera pas il faudra s’exiler, se retrouver dans un camp de réfugiés avec un bébé sur les bras . Bernanos lui aussi basculera dans le camp des républicains,
L’auteur utilise un style qui peut indisposer certains lecteurs par un mélange curieux de français et d’espagnol, et un langage souvent très grossier et vulgaire . Par contre si vous êtes quelque peu familier de l’espagnol, vous apprécierez ce langage émouvant de simplicité et de réalisme, inventé par la mère, jeune femme dont la jeunesse n’aura duré que quelques jours . Elle l’a appelé le « fragnol »
Ce roman a obtenu le prix Goncourt 2014
Kamel DAOUD : Meursault, contre-enquête (Ed Actes Sud )
Dans « l’étranger » de Camus le héros est un dénommé Meursault qui tue un Arabe sans raison précise, dans le roman de Daoud, le héros est le jeune frère de l’Arabe en question . Il raconte le drame vécu par sa mère et lui-même, la vaine recherche du corps qui n’a jamais été retrouvé, la difficulté de vivre dans l’ombre d’un mort, son incapacité quand il devient adulte à avoir enfin une vie normale jusqu’au drame final qui arrive presque comme si c’était écrit ! La parution de ce récit nous conduit à nous replonger dans le roman d’Albert Camus, il ne s’agit pas véritablement d’une contre-enquête, mais plutôt de revivre en miroir la trame du roman initial, afin de donner une identité à celui qui est remarquablement absent dans le livre de Camus où il n’apparait que comme « l’Arabe ». Celui-ci prend vie en sa qualité de frère et fils pleuré d’une mère qui finira par assouvir sa vengeance deux jours après l’indépendance de son pays .Quant au narrateur, après l’enthousiasme déclenché par cette libération, il se retrouve désabusé en colère contre lui-même et les dérives du pouvoir . Ce court et très beau roman remarquablement écrit vous tient en haleine, il vous plonge dans l’Algérie pré et post colonialiste, n’esquive aucun des problèmes actuels, ce qui est assez courageux . C’est aussi un véritable hommage à la langue française .
Jean-Marie BLAS de ROBLES : l’île du Point Némo (Ed Zulma)
Un fabuleux diamant a été dérobé, un groupe de personnes dont un richissime aristocrate opiomane, son majordome et un descendant de Sherlock Holmes, partent à la poursuite du présumé voleur qui est aussi un redoutable assassin. Ils vont emprunter le transsibérien, un énorme ballon et enfin un bateau pour aboutir au point de l’océan le plus éloigné de toute habitation humaine autrement dit le Point Némo . Dans un tourbillon permanent de personnages, d’aventures et d’anecdotes, l’auteur situe son histoire de nos jours avec les techniques actuelles, internet etc. mais il utilise simultanément des références nombreuses aux romans d’aventures des siècles précédents, Hugo, Dumas, Stevenson ou Conan Doyle . On est affolé ou exaspéré dès le départ par le foisonnement permanent de l’imaginaire, par les incessants rebondissements de l’intrigue, par le nombre de personnages . C’est à la fois épuisant et jubilatoire, exaspérant et très accrocheur, souvent plein d’humour. Un véritable monument d’imagination débridée !
Nancy HUSTON : Bad girl (Ed Actes Sud)
Nancy Huston nous révèle comment et pourquoi on devient un écrivain
Déjà évoqué dans » Désirs et réalité »sparu en 1995 le mythe du héros écrivain nous est ici dévoilé avec une originalité et une sincérité émouvante de la part de cette grande romancière. Elle écrit : « le héros-écrivain pourra puiser à l’infini dans son enfance, tel Homère dans le fonds mythologique grec réécrivant son histoire à travers mille transpositions, projections, déplacements et symboles ».
Nous voici donc plongés dans une autobiographie consacrée au thème de l’abandon. La narratrice tutoie dès les premières pages son héroïne : « Toi, c’est toi, Dorrit, celle qui écrit » Née d’une « éjaculation mal contrôlée », rescapée d’un avortement, expulsée plus que mise au monde par sa mère : « Allez, ouste, petite, sors toi de là. Bienvenue au monde ». Dorrit, le fœtus/ Nancy Huston devenu personnage, va se construire et grandir, tout au long des pages. De ce récit singulier, au fil de l’exploration de l’arbre généalogique de l’écrivaine, nous apprenons à connaître et comprendre Nancy Huston. « Personne n’est libre et souverain, nous ne tombons pas du ciel mais poussons sur un arbre généalogique ».
L’auteure fait défiler ses années de jeunesse et tire ainsi les fils de ses inspirations littéraires : sources, images, passions musicales, apprentissages culturels. Autant de « classes de littérature » comme le souligne le sous-titre. « La bad girl » s’accroche ! Sa mère Alison n’a pas voulu d’elle, son père Kenneth est dépressif, son aïeul fou, un autre pasteur, sa grand-mère pionnière féministe, sa belle-mère allemande. « Tous les « souvenirs sont bons, même les mauvais ». Dorrit se sent coupable, d’être née, d’être femme, certes, mais elle raconte et tellement bien !
Les souvenirs fragmentés, les moments figés, les anecdotes datées, les textes courts, le style extrêmement dynamique, font de ce récit un hymne à la vie et à la littérature
L’écriture de soi ici, loin d’être l’étalage malsain d’un quelconque ego, permet d’assister à la naissance d’un grand auteur. Bravo Madame !
Alexandra VARRIN : Une semaine dans la vie de Stephen King (Ed Léo Scheer)
Bien qu’annoncé comme « Une semaine dans la vie de Stephen King » le dernier ouvrage d’Alexandra Varrin n’est pas uniquement le compte rendu d’une visite à Paris de l’auteur américain. Venu pour la première fois en Europe pour une semaine de promotion de « Docteur Sleep », ce dernier est certes présent dans le texte, mais c’est d’avantage de l’auteure du livre dont il s’agit.
Fil rouge de ce reportage annoncé- d’avantage document/biographie- Alexandra Varrin nous livre sa fascination pour Stephen King. Elevée sans vrais repères la petite fille s’est réfugiée dans les romans de l’américain et a grandi avec ses personnages .Elle insinue même, se référant à « La Tour Sombre« , « Cela fait plus de quinze ans que je me demande ce que ferait Roland dès que je suis confrontée à une situation pénible ou délicate ». S’ensuit une liste exhaustive de tous les romans publiés et références aux personnages. Le compte rendu des cinq grands moments de la visite de l’auteur fétiche se transforme en quête identitaire et introspective.
Nous assistons à la conférence de presse à la bibliothèque MK2, à une séance de dédicaces, à une émission de radio, à une soirée au Grand Rex et même à un direct TV de La Grande Librairie. L’important semble-t-il réside surtout dans l’empathie affichée de la française et sa reconnaissance éternelle de groupie envers celui qui lui a procuré « l’évasion, la possibilité de sortir de son quotidien et d’apprendre le monde à travers des modèles à suivre ou à ne pas suivre».
Si l’analyse est franche, façon séance de thérapie, le style direct et brutal, se voulant humoristique, de la narratrice ne semble pas convaincre sur son statut d’écrivain. A la lecture il s’agit plus.de la peinture d’une génération rock en quête de repères. Difficile alors d’intégrer le cercle de la littérature !
Catherine LOCANDRO : Histoire d’un amour (Ed Heloïse d’Ormesson)
Que voilà un livre étrange, magnifique et particulier que celui que nous offre Catherine Locandro.
Car ce qui est singulier, c’est qu’elle est partie d’un moment de vie d’une certaine Dalida.
Après le décès de celle-ci, son frère Orlando, confie l’écriture de sa biographie à Catherine Rihoit et pour cela, il lui ouvre les carnets intimes, les courriers, les cassette que la chanteuse avait mis dans un coffre « à n’ouvrir qu’après ma mort ».
Entre autres raconte-telle qu’après son suicice dû à la mort du chanteur italien, Luigi Tenco, elle avait rencontré une jeune étudiant avec lequel elle eut une histoire d’amour. Assez brêve lorsque’elle s’est rendu compte de leur différence d’âge et surtout lorsqu’elle s’est rendue compte qu’elle était enceinte. Ne voulant pas pas faire porter ce poids au jeune homme, elle avortera dans des conditions pénibles, la privant d’avoir d’autres enfants et rompra avec ce jeune garçon à qui elle ouvrira un compte pour qu’il puisse continuer ses études.
Cette histoire restée secrète n’a donc été révélée que lors de la sortie de la biographie et elle a beaucoup marqué Catherine Locandro. Assez pour imaginer comment ce jeune homme avair vécu son histoire d’amour, sa rupture et, marié et père, découvert huit ans plus tard par un article, qu’il aurait pu avoir un enfant à ce moment là.
Elle suit donc le cheminement de ce garçon devenu un homme 50 ans, professeur, qui a gardé durant tout ce temps ce secret pour lui tout seul, respectant ainsi les voeux de « la chanteuse », car Dalida n’est jamais nommée et lui se prénomme Luca. Avec des retours en arrière l’on découvre cet amour intense, exclusif qu’il avait pour elle et c’est d’une émotion incroyable car tout lui revient en plein visage, en plein coeur.
Et lorsqu’on sait d’où est issu ce roman, on ne peut s’empêcher d’avoir le visage de Dalida en surimpression.
L’histoire est belle, écrite avec délicatesse, c’est chargé d’émotion et la fin est poignante.
Un superbe roman dont le titre et le sous-titre ( J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » sont des chansons de Dalida.
PRIX JEAN GIONO 2014
Chaque année un jury présidé par Pierre Berger et composé de Syvie Giono-Durbet, accompagnée d’écrivains et de libraires, choisit un ouvrage de langue française, roman ,récit ou nouvelles, paru dans l’année et faisant une large part à l’imagination .Le prix est offert par la fondation Yves Saint Laurent et remis généralement à l’hôtel Lutétia à Paris en Octobre . En raison de la fermeture actuelle de l’établissement pour travaux , il a été décerné cette année à l’l’hôtel du Louvre .
L’heureux élu est Fouad Laroui pour son septième roman « Les tribulations du dernier Sijilmassi » (Ed Julliard)
L’auteur est marocain, professeur d’université à Amsterdam, il écrit en Français depuis 1996 et a déjà été remarqué plusieurs fois pour l’un ou l’autre de ses ouvrages . En particulier, son roman « une année chez les Français »obtient quatre prix en 2010 et le prix Goncourt de la nouvelle lui est attribué pour « L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine » en 2012 . Dans le roman primé cette année, édité par Julliard, il est question d’un ingénieur de haut niveau qui réalise brusquement que sa vie n’a plus rien à voir avec celle de ses ancêtres, il désire faire un break pour se rapprocher du rythme de vie que menait son père et son grand père .Ce livre remarquablement ècrit traite de sujets sérieux avec un humour savoureux, la famille, la langue maternelle, la religion . Que l’on connaisse ou non le Maroc c’est un vrai plaisir de lecture , nous en avions déjà parlé dans ce journal .