Archives pour la catégorie Musique

Six-Fours – Nuits du Cygne
Ouverture en majeur avec Renaud Capuçon

Paul Zientara – Stéphanie Huang – Renaud Capuçon – Guillaume Bellom

On ne pouvait avoir meilleure ouverture et meilleure clôture du festival qu’avec les frères Capuçon. Ouverture avec Renaud les 27 et 28 mai, clôture avec Gautier les 17 et 18 juin, avant de passer au festival de la Collégiale avec le fidèle Jean-Christophe Spinosi.
Fidèles aussi les deux frères qui sont aujourd’hui devenus les parrains du festival et qu’on retrouve chaque année avec le même plaisir.
En cette ouverture, Renaud a choisi de nous offrir une soirée Mozart avec deux de ses quatuors.
Qui dit quatuor dit… quatre !

Il était donc cette année, accompagné par son pianiste et ami de longue date, Guillaume Bellom qui, longtemps, balança entre violon et piano. Et c’est le piano qui l’emporta en étant la révélation soliste aux Victoires de la Musique en 2017. Depuis, entre enregistrements et concert, il est souvent fidèle au poste, aux côtés de Renaud.
A leurs côtés, Stéphanie Huang, violoncelliste  qui, depuis ses débuts à 12 ans, le grand prix qu’elle a obtenu au concours national de violoncelle à Porto en 2015 et la révélation Adami en 2021, a déjà reçu de nombreux prix et suit une route magnifique, croisant ainsi Renaud Capuçon.
Enfin, Paul Zientara, violoniste  qui fit ses débuts à 7 ans, qui reçut le prix de la révélation classique Adami en 2021 et a rencontré Renaud Capuçon la même année, celui-ci faisant appel à lui pour interpréter, un an plus tard, « La symphonie concertante » de Mozart… déjà, avec l’Orchestre du Capitole de Toulouse.

A droite : Fabiola Casagrande, adjointe à la Culture et Stéphanie Guillaume, adjointe à la santé,
entourant Renaud Capuçon

Comme on le voit, notre ami violoniste a su s’entourer du fleuron de la musique classique pour cette soirée de fin de printemps, dans ce lieu idyllique (Si ce n’est la présence des moustiques !) qu’est le jardin de la Maison du Cygne.
Brillante soirée hélas trop courte (1 heure) car le public en aurait redemandé. Mais il pouvait se rattraper le lendemain  avec presque les mêmes musiciens Manon Galy , révélation des Victoires de la Musique 2022, remplaçant Paul Zientara et uissi Violaine Despeyroux, alto. Pour une soirée Brahms.
Belles soirées donc pour l’ouverture d’un festival aujourd’hui reconnu et de plus en plus couru.

Jacques Brachet

Notes de musiques

PILC MOUTIN HOENIG : You Are The Song (Justin Time Records)
10 titres enregistrés à Brooklyn le 11 juin 2022.
Ce trio fondé à New York (où résident les trois musiciens) en 1995 revient au disque en beauté sur une majorité de standards complètement métamorphosés. De la virtuosité et de l’exubérance mises au service de la musique. Jean Michel Pilc  est un pianiste prolixe et féroce (écouter « Impressions ») qui sait aussi être sobre et  exquis, exemple « The Song is You ». Le contrebassiste François Moutin possède un gros son avec des notes bien rondes, il est le centre d’équilibre. Ari Hoenig joue de la batterie comme on n’entend plus guère aujourd’hui, il assure le tempo, la relance, s’insère dans la musique du soliste. On ne s’étonnera pas que ce trio brille dans la liste des grands trios piano-basse-batterie, avec une personnalité certaine. « Straight No Chaser » ou encore « Bemsha Swing » de Monk sont la démonstration parfaite du partage et de l’intrication entre les trois voix. A goûter un « After You’ve Gone » grand crû classé.
Un trio remarquable, ce que le jazz d’aujourd’hui offre de meilleur et de plus rare.
Robin Mc KELLE : Impression of Ella (Naïve / Believe – 11 titres)
Elle s’est entourée de la Rolls des trios de jazz. Kenny Barron est l’un des grands pianistes de cette musique, il a joué avec tout le Gotha du jazz. Idem pour le contrebassiste Peter Washington qui fut un temps bassiste des Jazz Messengers, et pour le batteur Kenny Washington, le roi du Chabada.
Robin Mc Kelle n’est pas à priori une grande chanteuse de jazz ; alors réunir un tel trio et se confronter à Ella Fitzgerald, il y a de quoi rester baba. D’autant que je l’avais entendue dans un festival il y a pas mal d’années et je n’avais pas été emballé.
Alors écoutons. Je commence par le tube de la « First Lady of Jazz », « How High The Moon » ; aïe ! un peu laborieux. Je passe sur un tempo lent « April in Paris », surprise : belle expression des sentiments de la part de Robin, et délicat solo de piano. Puis « Lush Life » de Billy Strayhorn, l’alter ego du Duke ; très beau, de délicieux graves, très intimiste, et un subtil solo de contrebasse. Je suis conquis. La voix a muri, plus grave, plus charmeuse, plus intériorisée et plus de force expressive.
Un très beau « Robbin’s Nest », en conversation avec la contrebasse, et là elle se risque au scat avec succès. A noter un savoureux duo avec le grand Kurt Elling sur « I Won’t Dance ». Le trio fait merveille tout au long du disque ; quel écrin !
Avec ce disque Robin McKelle entre dans le club restreint des vraies chanteuses de jazz. Il faut l’écouter pour elle-même, sans faire de comparaison avec Ella.
BURIDANE : Colette Fantôme (Pluie Vaudou & Silbo Records – 10 titres)
Colette Fantôme, oui car on ne voit pas beaucoup le rapport avec Colette, l’écrivaine. Mais qu’importe le prétexte à créer, ce qui compte c’est la réussite, et elle est bien là.
Buridane possède une voix au charme pimpant, légèrement voilée, avec du grain. Elle chante délicieusement. Une vraie chanteuse en pleine possession de ses moyens, avec une technique parfaite, sachant varier les styles, les climats, les émotions.
Ses jolies mélodies sont entourées par des arrangements subtils et différents pour chaque chanson, chacune ayant son atmosphère propre, réalisés par Féloche. Les thèmes sont variés, l’amour bien sûr, l’enfantement, les choses de la vie. Pour se faire une idée, écouter « Slave » ou encore « Pourquoi tu m’fais pas », mais tous les morceaux sont chouettes. Voici une chanteuse qui devrait être en haut de l’affiche.

Serge Baudot

Magalie VAE… 17 ans déjà !

Magalie Vaé, gagnante de la « Star Academy » 5 (c’était en 2005 !) j’ai eu l’occasion de la « croiser » sur la tournée qui a suivi. Mais il y avait autour des jeunes artistes, un cerbère qui nous empêchait de les approcher… D’où pas d’interview.
Et voilà qu’enfin – 17 ans après ! – nous pouvons discuter et c’est pour une belle actualité : la sortie d’un LP de cinq nouvelles et très belles chanson, qu’elle interprète avec cette voix ample, belle, pleine d’émotion. L’occasion de revenir sur tout ce qui s’est passé depuis ce temps où elle n’a pas arrêté de travailler, faisant entretemps un enfant ! Vous pourrez voir son premier clip à la mi-mai.« Magalie, voici donc cinq chansons toutes fraîches, moment qu’on attendait !
Moi aussi, d’autant le Covid a retardé la sortie du disque. Mais ce retard m’a permis de revenir sur ces chansons, de les peaufiner et de les adapter à ce que je suis car, le temps passant j’avais une autre vision et je voulais ce qu’elle me corresponde aujourd’hui.
Avec qui avez-vous travaillé ?
Trois d’entre elles « Devenir fou », « Est-ce que tu m’aimerais ? » et « Plus fort » sont signées Franck Cotti. « On a tous » est de Gérard Capaldi et Julia Czerneski » et la cinquième « Des pleurs » est de Sébastien Dujardin et de… moi pour les paroles !
Vous avez laissé travailler les autres !
(Elle rit) Vous savez, je suis une petite locomotive, je mets beaucoup de temps à écrire, je suis plus interprète qu’auteure alors je laisse faire les autres, effectivement !

Comment travaillez-vous avec eux ?
Il y a différentes manières, chacun ayant les siennes. A certains, je donne un thème, un univers auquel je pense, quelquefois ce peuvent être quelques phrases, quelquefois je leur raconte l’histoire que l’aimerais raconter comme par exemple pour « Est-ce que tu m’aimeras ? »
Aller vous tourner avec ces chansons ?
Oui, nous allons avec Tihyad*, faire, comme nous l’avons fait, la tournée des « Camping Paradis ». Une grande tournée « Paradis des stars » avec celui qui est mon complice depuis plus de dix ans. Avec Tihyad, on a déjà enregistré deux duos : « Tu es mon autre » en hommage à Maurane, en 2018 et « Sous le vent » de Céline Dion que nous adorons, en 2021.
Nous avons beaucoup travaillé ensemble, à un moment on s’était un peu perdu de vue et on s’est retrouvé. Il est devenu mon producteur et mon « collègue ». Il fait partie de mes meilleurs amis.
Parlez-moi de ces tournées « Camping Paradis »
Nous réitérons cette année en allant dans tous les Camping Paradis. L’an dernier c’était sur la Bretagne et le centre, cette année c’est du côté du Périgord et jusqu’à la limite de la Suisse.
C’est génial car nous visitons plein de coins de France magnifiques, nous sommes reçus par des équipes sympathiques et le public est là tous les soirs. C’est une belle expérience.
Et de belles rencontres.
En parlant de rencontres, il y en a une, assez inattendue : celle avec Frédéric François !
Ça a été aussi inattendu pour moi ! Une grosse surprise lorsque Frédéric François m’a appelée pour faire un duo avec lui sur l’album où il reprenait ses chansons avec des artistes aussi divers que Laurent Voulzy, Liane Foly, Roberto Alagna… et moi entre autres !

Le choix de la chanson ?
On m’a proposé un panel de plusieurs chansons et j’ai choisi « Pour toi » qui n’est certainement pas la plus connue de Frédéric mais elle me parlait car ça s’adresse à une mère et je suis maman. Donc ça me touchait.
Maman, parlons-en. Quel âge a votre fille ?
11 ans et demi… Déjà !
Elle s’intéresse à votre carrière ?
Et comment ! Elle est la première à écouter mes chansons et elle na la franchise d’une enfant qui me dit si ça lui plaît ou non. Elle suit tout ça de près, s’intéresse à tout, jusqu’à mes tenues vestimentaires. Ça me touche et ça m’amuse.
On va parler tournage puisque vous êtes aussi comédienne aujourd’hui !
Comment est-ce arrivé ?
Tout simplement parce qu’en 2014 on m’a proposé de faire un casting et j’ai été prise pour le tournage de « Dream, un rêve, deux vies » produit par Jean-Luc Azoulay avec des acteurs de télé-réalités comme Thomas Vitiello, Elsa Esnout (Qui a fait un duo avec Frédéric François), Alice Raucoule, Tonya Kinsinger et même Julie Piétri… Nous avons tourné deux mois à Saint-Martin avec une super équipe, aussi bien comédiens que technicien. Ça a été une aventure magnifique.
Du coup vous avez récidivé ?
Oui, l’an dernier avec Mathieu Grillon qui est réalisateur, scénariste et comédien , avec aussi Alexandre Pesle, Nolan Gresle et Alex Guéry. Le film s’intitule « Ne m’oublie pas »
Et ça va continuer ?
Oui puisque je vais à nouveau tourner avec Mathieu Grillon. Jouer la comédie, ça me plait énormément. Je pense que ça fait partie de mon métier même si ce n’est pas encore aussi courant qu’aux Etats-Unis. J’aime tout ce qui est artistique et je vais, si l’on m’appelle, pouvoir jouer sur les deux disciplines, même si la chanson reste ma priorité.
Pourtant, vos débuts avec votre maison de disques a été assez houleuse !

Dreams

C’est-à-dire que nous avions des vues très différentes et du coup elle a fait le strict minimum du côté communication alors que d’autres gagnants en ont eu un maximum et le disque c’est mal vendu. Du coup, nous nous sommes séparés et j’ai monté une maison de production Dong Eden Production.
En dehors de tout ce que vous faites, vous vous intéressez beaucoup aux associations humanitaires…
C’est la moindre des choses et je réponds toujours oui lorsqu’on m’appelle pour des associations contre le cancer du sein, la maladie d’Alzheimer, les pièces jaunes ou la fondation Grégory Lemarchal. Je suis toujours là si l’on a besoin  de moi.
Finalement, que vous reste-t-il de « Star Academy » ?
J’en ai tellement parlé que je n’ai plus grand-chose à dire sinon que c’est un beau souvenir, une belle expérience et surtout que c’est grâce à cette émission que je peux faire aujourd’hui ce que j’aime. »

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Pulsart in Atris
*Tihyad, auteur, compositeur, chanteur. A écrit, avec Yves Gilbert, des chansons à Serge Lama, a chanté avec Hélène Ségara et joue dans la série « Les mystères de l’amour ».

Pierre PORTE : « Je jouerai jusqu’à mon dernier souffle »

Pierre Porte est l’un de nos plus talentueux compositeurs, musiciens et chefs d’orchestre français, à l’instar de Franck Pourcel, Paul Mauriat, Michel Legrand, Vladimir Cosma, Francis Lai… Ils sont peu nombreux à avoir importé la musique française dans le monde entier.
Artiste multiple, Pierre Porte est passé de la chanson à la revue et au classique, du théâtre à la musique de films, travaillant avec les Carpentier et Jacques Martin, avec les Folies Bergère et le Moulin Rouge… Aujourd’hui il a conquis la France et le monde
Marseillais de souche, il s’est d’abord partagé entre deux conservatoires, Marseille et Toulon avant de « monter » à Paris où il a été reçu au Conservatoire National Supérieur de Musique dans les classes d’écriture de Maurice Duruflé, Marcel Bitsch et Alain Weber en 1966. Il a accompagné nombre de grands chanteurs, arrangeant leurs chansons ou leur en composant : Johnny, Hallyday Sylvie Vartan, Serge Gainsboug, Dalida, Marie Laforêt, Jean-Jacques Debout, Mireille Mathieu, Thierry le Luron…
Il a travaillé avec les plus grands : Ella Fizgerald, , Claude Bolling, Charles Aznavour, Johnny Mathis, l’Opéra de Huston, Gilbert Bécaud et bien d’autres.
Il a à son actif une trentaine d’albums, une vingtaines de BO pour le cinéma et les séries télé sans compter les nombreuses chansons, trois revues pour les Folies Bergère et les deux dernières revues pour le Moulin Rouge, « Formidable », 12 années de succès et « Féerie » depuis 24 ans, toujours à l’affiche aujourd’hui

Ce printemps 2023 marque la sortie de ses mémoires « Le piano est mon orchestre » (Ed l’Archipel). En parallèle à ce livre de souvenirs, Marianne Mélodie édite un coffret de trois CD où l’on retrouve une partie de ses œuvres « Pierre Porte, Grand Orchestre » et un retour à la scène avec le concert qu’il a donné le 20 mars à la Nouvelle Eve à Paris. 
Bref, l’homme est musique et l’on a plaisir à le lire nous raconter ses aventures autant humaines que musicales.
Quant à l’écouter, c’est un autre grand plaisir tant il est magnifiquement éclectique, passant d’un hommage de Piaf à Beethoven, de Brel à Mozart, de Chopin à… Pierre Porte, de « Féerie » à Cole Porter…
Trois CD pour passer d‘une musique à l’autre avec, de temps en temps la sublime voix de Liliane Davis qui, de Johnny à Cloclo en passant par Aznavour, Trenet, Gainsbourg, a accompagné les plus grands.
C’est un régal et, cerise sur le gâteau, Pierre Porte himself qui m’accorde une interview !
« Pierre Porte, pourquoi tant d’événements cette année ?
Parce que ça fait quelque cinquante ans de carrière. J’avais envie de me raconter dans ce livre de souvenirs, quant à ce coffret de trois CD c’est mon ami Matthieu Moulin qui me l’a proposé et Marianne Mélodie a suivi. Il se compose donc de trois albums, le premier est composé de mes propres productions dont les musiques écrites pour les émissions de Jacques Martin « Musique and Music », « Bon dimanche », la plupart de mes compositions a été produite par la maison Victor JVC au Japon
Le second CD démarre par un extrait de la bande originale de la revue du Moulin Rouge « Féerie », avec entre autres un hommage à Edith Piaf, enfin le troisième avec des orchestration des morceaux classiques signés Wagner, Liszt, Beethoven, Mozart, Chopin, des reprises de musiques que j’ai signées et pour terminer ce CD un autre extrait de la revue du Moulin Rouge « Féerie ».
Enfin, le concert du 20 mars à la Nouvelle Eve à Paris. Je ne m’étais pas produit dans la capitale depuis l’Olympia 1983 et le Théâtre des champs Elysées en 1984.

Paris où tu as travaillé avec Gilbert et Maritie Carpentier…
Oui, grâce à Claude Bolling qui me présente en 1970 aux Carpentier et avec lesquels je collaborerai à une centaine de shows durant 5 ans avant de rejoindre Jacques Martin au Théâtre de l’Empire en 1977.
Bizarrement, aussi bien les Carpentier que Jacques Martin t’ont un peu oublié par la suite !
(Il rit). Tu connais le métier : Les Carpentier m’ont boudé parce que je suis allé travailler avec Jacques Martin et après la fin de son contrat avec antenne 2 en 78 et deux années sabbatiques, Jacques est revenu à l’antenne avec de nouvelles émissions mais il ne m’y a jamais invité. C’est dommage qu’ils m’aient tourné le dos mais je n’ai pas cherché d’explication… D’ailleurs je t’avoue que je m’en fous !
Puis il y a eu les revues !
Oui, d’abord aux Folies Bergère où j’en ai signé trois, en 77, 82 et 87, puis au Moulin Rouge où j’en ai signé deux : « Formidable » en 89 et « Féerie » dix ans après.
Sans compter les artistes avec qui tu as travaillé…
Et que je rencontrais souvent chez les Carpentier : Sylvie Vartan avec qui j’ai travaillé en 75 et 76 au Palais des Congrès. Mais j’ai aussi dirigé le grand orchestre philharmonique de Nice à Salon de Provence au Château de l’Emperi pour Ella Fitzgerald. J’ai travaillé avec Thierry le Luron que j’ai dirigé à l’Olympia, avec Johnny à qui j’ai écrit, avec Michel Mallory et Jean-Pierre Savelli « Fou d’amour ».
C’est toi qui les appelais ?
Je n’ai jamais appelé personne, c’est un peu le fruit de nombreuses rencontres. Il faut savoir saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent et surtout décrocher son téléphone avant qu’il ne sonne !
C’est pourquoi tu as une formule : « Je dis oui à tout » !
Oui, ça c’est quand tu débutes, tu dis oui à tout car il faut travailler et te faire connaître. Jusqu’à 50 ans où tu dis « oui… mais… » car tu ne peux pas faire tout ou n’importe quoi. A partir de 60, il faut que tu apprennes à dire non !
De toutes façons, tu es très éclectique : pianiste, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre, que ce soit dans le jazz, le classique, la variété…
J’aime diversifier les plaisirs, changer de casquette, à partir du moment où je parle musique. Quant aux styles, en dehors du jazz où je n’oserais pas aller, que j’aime mais qui n’est pas vraiment dans mon langage musical. D’autres le font mieux que moi ! Mais je suis curieux de découvrir, d’apprendre, de jouer. Ma vie, c’est la musique ! par exemple pour le Moulin Rouge depuis 36 ans, lorsque je compose Je reste dans la tradition et la continuité évolutive ! C’est vrai que chez les Carpentier j’ai appris à passer d’un style à l’autre avec des chanteurs et des comédiens très différents et des duos quelquefois improbables et ça, c’est une bonne école car il fallait s’adapter et réagir vite.

Et la musique de films entre autres : tu as travaillé avec Roger Vadim, Yves Boisset, Christian-Jaque, Joseph Losey…
Là encore le hasard et les rencontres avec des amis, des amis d’amis, des gens qui ont entendu parler de mon travail… Par exemple, Christian-Jaque a vu et entendu une musique d’un ballet que j’avais écrit pour les Carpentier et ça lui a donné l’idée de m’appeler pour la musique de son film « Docteur Justice ». C’était le genre de musique qu’il cherchait. J’ai également écrit beaucoup de musiques pour des séries télévisées.
Tu as donc débuté très tôt…
J’ai toujours aimé la musique et à 13 ans on m’a demandé d’accompagner un spectacle au piano. Puis, à 15 ans, avec mon frère, mon cousin et quelques amis, nous avons créé un petit orchestre. On jouait pour des fêtes, des communions
Après quoi je suis entré au conservatoire de Marseille et de Toulon…
Pourquoi les deux ?
Parce qu’il y avait dans les deux conservatoires des professeurs très différents qui m’enseignaient des disciplines différentes comme le solfège et le piano à Marseille, à Toulon toujours le piano, avec André Millecam mais aussi l’écriture, l’harmonie et contrepoint avec M Buisson.
Alors aujourd’hui, tes projets ?
Je suis en train de préparer le DVD du concert de la Nouvelle Eve. Et puis j’écris, je joue, je n’arrête pas…Je n’ai jamais arrêté. je fais des concerts avec mon piano qui est un orchestre à lui tout seul. les 88 notes du clavier sont le reflet de toutes les tessitures des instruments qui composent un orchestre symphonique Mon bonheur c’est la musique et la scène.
Et je jouerai et composerai jusqu’au dernier souffle.

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Christine Ledroit-Perrin

Notes de musiques

Max DARMON : La grande aventure (Antipodes Music – 6 titres)
Max Darmon est d’abord bassiste, puis auteur compositeur, et le voilà qui se frotte à la chanson ; oui « C’est une grande aventure », réussie. Voix chaude et virile, qui reste dans le médium, avec du charme, et de la douceur. « Fuis-moi » est assez représentative de ses différentes qualités. Il est entouré par des claviers et des perçus, et même un oud, sur de arrangements assez bateaux.
Les thèmes tournent autour de l’amour, le plus souvent malheureux. Il utilise parfois le parlé chanté rythmé, comme dans « La grande aventure ».
Un chanteur en devenir. A suivre.
AÎTONE : Follow (Musigamy / Inouïe Distribution – 11 titres)
Aïtone, c’est une forêt en Corse, et c’est aussi un groupe corse, qui revendique sa « corsitude ». Voici leur second album réalisé par François Poitou. C’est un groupe homogène avec un son de groupe personnel, des arrangements (de François Poitou) qui se fondent dans la voix, qui devient un instrument comme les autres.
Le chanteur joue d’une voix intimiste, comme sortie de la nuit (« Inner Child »), qui peut monter dans l’aigu (« Nightmare »), ou devenir rauque et puissante (« Le temps de l’autre ».
Ce groupe est parfaitement à la place d’honneur dans ce qu’on appelle la pop anglo-saxonne.

Caesar SPENCER : Get Out Into Yourself (New Radio Records – 11 titres)
Un magnifique livret façon BD, qui donne les paroles des chansons. Bravo !
On nous présente Caesar Spencer comme Anglais né au Pérou, également Suédois, mais qui réside en France depuis 2008. Extraits d’une interview de Paris Move : « Je voulais donner quelque chose en retour à un pays qui m’a tant offert (…).Je voulais démontrer qu’en France, il y a une sophistication dans la créativité musicale qui n’existe nulle part ailleurs. Je prends mon univers anglo-saxon et je le déplace dans un contexte français… C’est à la fois étrange, et fascinant.” C’est bien vu. Le chanteur possède une voix grave, vibrante, au charme très particulier. Par la voix, la façon de chanter, le son du groupe, on est très proche de l’Australien Nick Cave and the Bad Seeds, en plus solaire. « Isn’t that what jimi said » (hommage à Hendrix ?) est assez emblématique du fonctionnement du groupe.
Les mélodies sont belles, prenantes ; elles restent en mémoire, même si elles sont proches musicalement les unes des autres, reposant souvent sur des chœurs et des arrangements bien moulés et efficaces. Pas mal d’invités aussi. Un beau duo avec Mareva Galanter sur « When I whisper in your ear », beau chant d’amour. Les thèmes sont assez variés.
Ce disque exerce une sorte de fascination par le côté lancinant des mélodies qui vous enveloppent et ce chant des songes dégagé par l’ensemble. Groupe qui a tout à fait sa place dans l’univers pop rock British-French dans ce qu’il a de meilleur.
Louis ARLETTE : Sacrilèges (Le Bruit Blanc)
Quelques-uns des plus grands poèmes du patrimoine mis en chansons ; formidable ! Rare de nos jours. Je mets avec gourmandise le disque sur la platine. Hélas, première déception, « La Ballade des Pendus » est susurrée sur une scansion slam, pas une mauvaise idée, mais les paroles sont inaudibles même quand on connaît le poème par cœur. « A son âme » de Ronsard, plus réussi. « Tristesse » de Musset, chanté  sur un air agréable. « El desdichado », chanté façon Renaud. « La fin de la journée » de Baudelaire, chantée aussi, mais là encore, difficile de comprendre les mots. Mauvaise prise de son ? Les airs sont assez banals. On est loin de Brassens, ou de Léo Ferré par exemple, même si la démarche est autre. Certes le CD s’intitule « Sacrilèges », donc volonté de déboulonner les statues, peut-être de déconstruire ; mais après il faut reconstruire. On espère une suite plus corsée. On est quand même au degré zéro de la poésie. Je ne peux m’empêcher de penser à Victor Hugo, qui déclarait : « Défense de déposer de la musique le long de mes vers ». Mais l’appropriation est libre ; le tout c’est de la réussir, d’être au niveau du poème.

Serge Baudot  

Vincent NICLO : « Ma mission : transmettre »

Avec Vincent Niclo, c’est aujourd’hui une habitude : A chaque disque, une rencontre ou un appel pour en parler.
Et là, c’est pour parler d’un disque somptueux qui sort ces jours-ci : « Opéra Celte » qui, comme son nom l’indique, est composé de musiques celtique dont certaines sont connues et font partie du patrimoine, comme « Greensleeves », « Amazing Grâce », « Tri martelod », « La tribu de Dana », revus et corrigés façon opéra tout en gardant la substantifique moelle de l’esprit et des racines celtes.
La voix de Vincent est un diamant brut dans un écrin qui lui va à ravir de bombardes, de violons, de cornemuses, une ambiance, une fois de plus, très différentes de ses précédents albums. On se souvient des chœurs de l’Armée Rouge, de Luis Mariano, de tangos, de musiques classiques, de comédies musicales… Avec cette voix de ténor, il peut se permettre de tout chanter.
A chacun de ses disques, il nous surprend, il nous émerveille par la façon qu’il a de s’approprier une ambiance musicale, à chaque fois différente.
On ne pouvait donc pas ne pas parler de ce nouvel et magnifique opus.

Vincent, toi le parisien, comment es-tu venu à cette musique ?
Ça s’est imposé en moi car toute ma vie mes parents m’ont fait écouter cette musique et ça faisait très longtemps que j’y pensais. Je connaissais ces titres qui racontent tous une histoire et j’ai pensé que ça pouvait être un bel écrin pour ma voix. Je suis donc entré en studio pour enregistrer « Borders of salt » de Dan Ar Braz et je l’ai envoyé à Dan, car à chaque fois que je m’approprie des chansons des autres, je les leur propose afin de savoir s’ils sont d’accord. Dan m’a très vite répondu que j’allais dans la bonne direction. Il est venu à Paris avec sa guitare et nous l’avons enregistrée.
Dans toutes ces chansons qui font partie du patrimoine celte, comment as-tu fait ton choix ?
J’ai écouté énormément de choses et j’ai fait un choix par rapport à ma voix et mon espace. Il y a certaines que j’ai très vite enlevées et d’autres qui m’ont aussitôt accrochées. Il y avait aussi quelque chose d’important, c’est que les instruments celtes sont très puissants. Lorsqu’on joue avec le Bagad de Quimper il faut s’adapter à cette puissance musicale. J’ai donc dû choisir en fonction de ça. Avec l’équipage de Soldat Louis, nous avons fait des essais dans son moulin à Lorient et c’est là que nous avons enregistré « Fils de Lorient »
Lorsque j’ai contacté Martial j’ai eu envie de remanier le succès énorme de la reprise qu’il avait faite avec « La tribu de Dana » et ça a très bien collé.
Tu as fait une reprise très martiale de « Greensleeves » !
Ca s’y prêtait. C’est une chanson très forte, qui je trouve, développe une incroyable puissance. Lorsque tu l’as écoutée, elle ne t’a pas fait penser à une autre chanson ?
Non… laquelle ?
« Amsterdam » de Jacques Brel ! On y trouve la même puissance et je l’ai interprétée avec cette énergie et cette force.

J’ai été étonné de ne pas retrouver Alan Stivell, que pourtant tu chantes dans cet album.
Oui, j’ai enregistré « Tri martolod », « La suite sudarmoricaine » et, comme avec les autres, je lui ai envoyé les maquettes car je voulais son assentiment. Qu’il m’a donné d’ailleurs mais son planning ne permettait pas qu’il puisse se joindre à nous.
Et Nolwenn Leroy ?
Je n’ai collaboré qu’avec des auteurs et compositeur. Nolwenn, comme moi, n’est qu’interprète.
Evidemment, il y a l’incontournable « Amazing Grâce »
Oui, elle s’imposait à l’espace de ma voix. C’est devenu un cantique international. Ce sera d’ailleurs mon premier single et je la chanterai dans mes récitals.
Parlons-en : tu pars en tournée avec encore quelque chose d’original : les églises et les cathédrales.
Oui, j’avais très envie de faire ça mais pour cela, j’ai dû remanier tout mon répertoire car il y a des choses qu’on ne peut pas chanter dans les édifices religieux. C’est très strict. J’ai donc dû faire un choix et je pars aussi avec une petite formation qui s’adapte aux lieux. Il y aura bien sûr « Amazing Grâce » qui est à la fois un chant celte mais qui a aussi un côté gospel. C’est un vrai cantique chrétien.
Ta tournée ne possède qu’une date près de chez nous : le 25 mai à l’Eglise Notre-Dame de l’Assomption à Nice. Le Breton snobe les Provençaux ?
(Il rit). Non bien sûr mais ce n’est pas moi qui ai choisi les lieux et les villes. Peut-être des dates s’ajouteront-elles à la tournée… Il faudra donc que tu viennes à Nice !
A chaque disque, tu prends des chemins de traverses. Tu m’avais dit un jour : « Je suis un chanteur hybride »… Là tu l’es plus que jamais !
Oui, mais c’est ma façon de concevoir la musique car je suis curieux de découvrir des musiques différentes et tout part aussi du côté humain. Lorsque je m’intéresse à une musique, je découvre aussi l’âme humaine, une façon, un aspect différent et lorsque je découvre quelque chose, j’ai envie de le faire partager, je me donne pour mission de transmettre.
J’ai ainsi fait découvrir à beaucoup de gens la musique russe avec les chœurs de l’Armée Rouge, j’ai fait redécouvrir le tango ou encore Luis Mariano qui est à mon avis l’une de nos plus belles voix et qui fut la première rock star emblématique de la chanson. J’ai travaillé avec Pascal Obispo, avec Michel Legrand… J’aime varier les plaisirs, découvrir des choses nouvelles. Je n’ai pas envie de faire à chaque fois la même chose. Je m’ennuie très vite !

N’as-tu jamais pensé que tu t’éparpillais ?
Non, jamais, d’autant que, si tant est que je prenne des risques, c’est le public qui m’a toujours suivi qui m’a donné raison et je l’en remercie.
Alors, quelle sera la prochaine étape ?
(Il rit) Ah ça, je ne te le dirai pas mais saches que j’ai déjà trois projets pour mes trois prochains albums. Mais tu n’en sauras pas plus !
Comme tu aimes varier les plaisirs musicaux et autres, te voilà présentateur télé et peut-être bientôt comédien !
Animateur est un bien grand mot : Je me contente, depuis quatre ans de présenter l’émission « 300 chœurs » qui réunit des chorales amateurs et des chanteurs. D’ailleurs, nous sommes toujours en recherche de chœurs pour les faire connaître*. Et puis, depuis deux ans, je présente l’émission pour le Sidaction, avec Julia Vignali qui est une femme adorable et solaire. Nous fêterons cette année la trentième édition avec les 50 ans du disco.
Tous les chanteurs feront revivre cette musique festive…
Tiens, voilà une idée de thème pour un prochain album !
Pourquoi pas ? J’adore cette musique, sans compter que c’est une musique très vocale. Mais bon, pour le moment ce n’est pas dans mon actualité.
Alors, il se dit que tu aurais été approché pour devenir comédien. Info ou intox ?
Non, c’est vrai que l’on m’a proposé une pièce de théâtre que j’étudie. Pour l’instant je ne me suis pas engagé car j’ai une actualité chargée. Ce n’était pas prévu dans mon parcours mais pourquoi pas ? »

Pour l’instant, l’actualité est ce très beau disque « Opéra celtique » qui sortira le 31 mars et cette tournée en France avec arrêt à Nice le 25 mai.
Après… suivons la vie d’artiste de Vincent qui mêle la voix, le talent, la curiosité et laissons-nous mener par lui sur ses chemin de traverses  aussi inattendus que passionnants.
Salut l’artiste

Jacques Brachet

* » Bonjour les amis
Je suis ravi de vous voir toujours aussi nombreux à suivre l’émission les 300 CHOEURS sur France 3, une émission à laquelle je participe avec beaucoup de joie, tant j’aime les chœurs et les chorales de notre beau territoire.
D’ailleurs, sur toutes mes dates de tournée en église et cathédrale, j’aimerai inviter un chœur, une chorale de la ville ou de la région qui m’accueille afin de mettre en lumière votre talent !
Pour participer, c’est simple !
Envoyez votre candidature sur choeurs.vincentniclo@gmail.com avec vos coordonnées en ajoutant un lien youtube ou facebook ou encore un extrait audio et on vous recontactera si vous êtes sélectionnés.
J’ai hâte en tout cas de vous croiser sur les routes de France »
Bien à vous tous !

Vincent Niclo

Notes de musique

STÉPHANIE ACQUETTE – Chacun pour soi – Frémeaux & Associés (FA 8599) – 13 titres.
Stéphanie Acquette entre en musique dès l’âge de 8 ans par une pratique peu courante en France : Cornemuse et flûtes irlandaises. Puis elle apprend la guitare et la basse avec des musiciens russes et tziganes, plus des études au conservatoire de Créteil. La voici chanteuse. Si on y ajoute des études à Sciences PO, cela ne pouvait donner que quelque chose de bien : une artiste complète. Elle a fait ses classes dans différents  lieux dont les 3 Baudets, l’Eden, le Volcan, etc.
Une voix vibrante, pleine de charme et de tendresse, de décontraction, ou de punch, et toujours de l’élégance. Et elle chante vraiment, de vraies chansons, avec de bons musiciens et de bons arrangements. Musiciens divers selon les morceaux.
La chanson éponyme qui ouvre l’album « Chacun pour soi » pose d’emblée les qualités de l’artiste. Musique qui coule bien sur une bonne rythmique, paroles fortes : introspection, liaisons amoureuses ou amicales (ce qui en découle), histoire contemporaine, contradictions : Exemple «A croire que seul on n’est plus personne » alors que la chanson s’appelle « Chacun pour soi ». Bravo l’artiste ! Côté paroles on trouve de belles images de poésie : On ne risque plus rien / Que d’être / Un soupir avorté / Par un pas de côté. » Au fond toutes les paroles sont à citer, qu’elles soient de Stéphanie ou de Juan Tabakovic, c’est de la littérature qui donne des images de l’humaine condition et du temps présent, et qui poussent à penser. Les mélodies sont à croquer. Quelques rythmes latinos pimentent le parcours musical. « Je m’en vais » est assez emblématique l’art de Stéphanie Acquette. Avec elle on est dans la belle tradition de la chanson française.
NOGA – Songs That Light The Night – Evidence Musique – 11 titre
Chanteuse, pianiste, auteure, compositrice, improvisatrice, pédagogue, libre penseuse, fantasque, voyageuse de l’âme, c’est ainsi qu’on définit Noga (étoile du matin en hébreu), née à Genève, de parents émigrés d’Israël, élevée en plusieurs langue, elle travaille beaucoup sur le souffle et la voix. Elle a déjà plus de 10 albums comme bagage. « Elle cherche en tout cas à rétablir le lien entre le passé et l’avenir, le visible et l’invisible, pour vivre le présent à cœur ouvert. »
La voici avec son deuxième disque en hébreu, LEV, inspiré par des poèmes, des psaumes, des chansons traditionnelles. Les mélodies s’appuient sur des modes sépharades ou ashkénazes, me semble-t-il, mêlés aux gammes occidentales. Il en va de même pour les rythmes : orientaux, africains, pop. Le choix des instruments accompagnateurs : piano, sanza, flûtes diverses, synthétiseurs, violoncelle, théorbe guitare, contrebasse, sont constitutifs de ce creuset musical. On pourrait craindre un mélange extravagant. Il n’en est rien. Quelques exemples : « Shevet Hachayot » repose sur un rythme africain lancinant, la sanza dans le rôle de la kora. « Honneni » est tout à fait oriental. Etc.
Noga chante avec une voix solide mais flexible sur les modulations, chaude avec une pointe acidulée, du charme et de la conviction. Dommage que je ne comprenne pas l’hébreu pour goûter le sens des textes.
Ce disque vous emporte en plein dans la musique et la poésie sans frontières.
(Ne pas confondre NOGA avec la jeune Noga Erez)

LEO SIDRAN – What’s Trending – Bonsaï Music  (BON230302) – 13 titres
Léo Sidran est le fils de Ben Sidran, pianiste et chanteur de jazz éminent ; voilà qui aide à l’entrée en musique. Encore au lycée il joua de la batterie dans le groupe de son père, même dans les enregistrements, et participa à des shows avec des jazzmen, Richard Davis (b), Frank Morgan (s),et Richie Cole (s). ll est chanteur et multi instrumentiste : claviers divers, batterie, percussions, basse, guitare et vibraphone. Il étudia à l’université du Wisconsin, puis passionné par l’Espagne et sa langue il étudia une année à Séville. On retrouve cette influence dans toute sa production. (Ici dans « Everybody’s Faking Too ») Il vit maintenant à Brooklyn. Il est aussi producteur. Pour son huitième disque il a fait appel à 21 musiciens utilisés à la demande selon les morceaux.
Il possède une voix assez crooner,  chaude et charmeuse, comme celle de son père, mais un peu plus nasale. A noter une diction parfaite et de la douceur dans les inflexions.
Dans l’ensemble on peut dire que c’est du jazz, tant par les arrangements, les solos, même si la rythmique est assez rock sur les quelques tempos rapides. Ecouter « There was a fire » avec Mark Dover à la clarinette solo. C’est une valse lente à écouter allongé devant la cheminée. Le groupe est excellent dans les tempos lents, toute la nostalgie du slow « It’s All Right », ou encore, « Hanging by a Thread », c’est cela, on est pendu au fil du plaisir.
CHRIS CODY – The Outsider –  Chris Cody Music (CCM012) – 9 titres enregistrés en juillet-aôut 2022
Chris Cody est un musicien de jazz australien. Il joue et enregistre dans différents pays, notamment la France où Il a souvent séjourné. Après son diplôme en jazz du Conservatoire de Sydney et quelques récompenses, Chris Cody quitte l’Australie pour jouer aux Etats Unis et ailleurs dans le monde, partageant la scène avec les plus grandes « pointures » du jazz. Il compose également pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Il doit être à la tête d’une dizaine de disques sous son nom.
Un jeu de piano (Chris Cody) enthousiasmant, lumineux, qui respire, avec des attaques tranchantes, une main gauche en appui avec des accords très personnels, sur une main droite qui chante. Ses compositions reposent sur de belles mélodies et les arrangements qui entourent et accompagnent les solos sont basés sur les cuivres, phrases toujours mélodiques, le plus souvent en tenues, avec des voicings très proches qui leur confèrent un son d’ensemble très riche. La rythmique swingue avec un vrai batteur de jazz (James Waples) qui donne le tempo, suit et relance, et une contrebasse (Lloyd Swanton) très souvent en contrepoint du piano. Ça roule tout seul.
A noter un ténor charnu (Michael Avgenicos), très en verve, un trombone (Alex Silver) au son grave et puissant, une trompette agile au son cuivré (Simon Frerenci), un percussionniste qui sait se fondre dans le drumming, et un oud au jeu très enlevé, très arabo andalou, comme « La Goutte d’Or », une petite merveille. On n’oublie pas le blues « The Truth », oui la vérité du jazz et un court piano solo « Reflection », un Chopin en mode phrygien!
Un disque parfait pour les auditeurs fatigués des complexifications d’un jazz trop savant, ou trop Musique du Monde. Partir de la source pour arriver à la mer.

Serge Baudot

Christian DELAGRANGE : entre musique et humanitaire

Ce chanteur à la voix d’or qu’est Christian Delagrange, a toujours fait partie de mon univers musical et amical.
De MIDEM en Rose d’Or d’Antibes, des tournées Âge Tendre à un certain « Stars en cuisine » à Saint-Raphaël où nous avons cuisiné… de concert, nous nous sommes toujours amicalement suivis, rencontrés, appelés.
Le voici qui revient avec un double album, l’un où il mêle anciens succès et nouvelles chansons, l’autre où il nous propose des duos, réels ou virtuels avec des gens qu’il a rencontrés sur son parcours de chanteur, qu’il aime et avec qui il a eu envie de partager une chanson.
Ça nous donne un beau double CD intitulé « Ensemble » (disques Wagram) qui sort ces jours-ci.

Christian, parlons donc de ces chansons qui nous rappellent tant de souvenirs. Comment s’est-il constitué ?
Comme tu l’as dit, de mes anciens succès, des reprises comme « Rosetta », « Sans toi je suis seul » « Tendre Cathy », que le public me demande à chaque fois et quelques autres, de cinq nouvelles chansons, plus une signée Claude Barzotti « Dessine-moi ces pages ». Sur le second, il y a des duos que j’ai enregistrés avec des gens que j’aime et d’autres qui sont des enregistrements virtuel, car c’est facile à faire aujourd’hui, pour rendre hommage à des artistes disparus.
On ne peut pas ne pas commencer par Patricia Carli qui a écrit des succès pour un nombre incalculable de chanteurs… dont toi !
Patricia, c’est un amour, je lui dois tout, dont « Rosetta » mon premier succès, Rosetta étant son vrai prénom. Avec son ex-mari aujourd’hui décédé « Léo Missir » nous avons toujours eu une complicité incroyable. Faute de se voir souvent, on s’appelle. Elle a toujours cette voix de petite fille et ce rire éclatant et elle devait partager ce CD avec moi. On a choisi une de ses chansons : « La vie n’est pas facile »
Une surprise : Gloria Lasso ! Ce n’est pas vraiment de ton époque !
(Il rit). Gloria Lasso c’est une rencontre, je dirai incongrue. Une rencontre à rebondissements.D’abord elle voulait acheter ma maison et voilà qu’elle se marie… avec le fils d’un copain !
Nous avons beaucoup ri ensemble, elle avait beaucoup d’humour et surtout une voix qu’on ne pouvait pas ne pas entendre. J’ai donc réalisé un duo virtuel sur un de ses succès : « Volare ».

Patricia Carli & Léo Missir

On retrouve Manu di Bango…
Manu est un ami des vaches maigres. Nous nous sommes connus alors que nous étions totalement inconnus et qu’avec Gérard Tempesti, on se partageait… un coc à trois ! On se disait que ça allait marcher pour nous. Et ça a marché, moi le chanteur, Manu l’un des plus grands sax existant et Gérard devenu producteur. Je suis très triste que Manu nous ait quittés et pour ce duo virtuel j’ai choisi « Le Sud ».
Bobby Solo… C’est la tournée « Âge Tendre » ?
Oui. On se connaissait peu mais à se voir tous les jours un lien d’amitié s’est créé. Un jour il me disait avec regret que la chanson qui l’avait fait gagner à l’Eurovision « Una lacrima sul viso », il ne l’avait jamais chantée en français. C’est Lucky Blondo qui l’avait enregistrée sous le titre « Sur ton visage une larme ». Il avait écrit cette chanson pour sa mère qui avait pleuré lorsqu’elle avait quitté la maison pour aller chanter. Du coup, c’est la chanson qu’on a choisie.
Evidemment, on retrouve le complice, Herbert Léonard !
On se suit depuis des années et on s’est aussi retrouvé sur la tournée « Âge Tendre ». Nous avons une grande complicité et nous avons choisi « A toutes les filles »  de Didier Barbelivien et Félix Gray.

Dave, Michèle Torr lors d’un concert à Pertuis

Bon, on ne peut pas évoquer tous les duos car il y en a 15, où on retrouve Fabienne Thibeault (Ainsi va a vie), Jeane Manson Les larmes aux yeux)(, Corinne Hermès (Pleurer des rivières) David-Alexandre Winter (Et maintenant), Sébastien El Chato (Vous les femmes)…
Mais parlons d’une chanson inédite signée Claude Barzotti : « Dessine-moi ces pages »
Avec. Claude, c’est une amitié très forte qui s’est développée, là encore sur « Âge Tendre ».
On ne s’est plus quitté et lorsqu’il a été très malade, j’allais le voir très souvent. Un jour je lui ai dit : « Finalement, tu n’as jamais écrit pour moi ». Alors il a pris sa guitare et a composé la mélodie, sur laquelle j’ai mis des paroles. Ça s’est fait très vite et je suis heureux qu’il soit sur cet album. C’est une chanson sur l’amitié et sur les problèmes de la vie.

Bon, parlons d’un sujet, loin de la chanson, qui m’a énormément surpris : En 2020, on te retrouve sur une liste municipale, ce à quoi je ne m’attendais pas !
(Il rit). Ne t’en fais pas, je ne me suis pas lancé dans la politique, je n’y comprends rien et ça ne m’intéresse pas. C’est trop compliqué pour un petit bonhomme comme moi !C’est un copain qui se présentait dans un village. Je me suis inscrit sur sa liste écolo, plus pour l’appuyer, parler du bien être des habitants que pour parler politique. Et puis j’ai déménagé et c’est là que cette éventuelle carrière s’est arrêtée !!!
Alors, parlons plutôt de l’association que tu as créée « Assistance Humanitaire Internationale (AHI)*
Ça, c’est plus dans mes cordes ! C’est une association qui a pour crédo : générosité, cœur, altruisme, humilité, empathie. Nous parcourons le monde pour créer des écoles, des maternités et plein d’autres choses dans tous les pays où l’on a besoin de nous, que ce soit en Afrique, en Inde ou ailleurs de par le monde.
Tu as le temps de t’en occuper ?
Oui, quelquefois c’est un peu difficile car je voyage beaucoup, je vais sur place pour vérifier ce qui se passe. Et je précise que c’est une association dont tout l’argent qui rentre des concerts, des manifestations et d’événements qu’on organise, est aussitôt utilisé dans l’association.
Nous sommes tous des bénévoles, tous les voyages que nous faisons sont payés par chacun d’entre nous. C’est la condition  siné qua non.
Avant la création d’AHI, j’ai été dans une association où nombre d’adhérents se faisaient payer frais et voyages. C’est pour cela que je l’ai quittée et qu’on a créé celle-là.


Des projets de concerts ?
Oh, il y en, a toujours, j’en fais une centaine par an et j’essaie de m’organiser au mieux.
Au fait, il y a longtemps que je ne suis venu chanter par chez toi.
Ça me permettrait de voir un peu la mer !

Avis aux organisateurs de concerts ! Et ça nous permettrait aussi de nous retrouver !
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Christian Servandier
*Assistancehumanitaire.org

Marcel… Tu vas nous manquer

Il est né le 1er avril 1929… Après ça, l’on comprend son esprit facétieux !
Il a traversé les décennies comme l’amie Annie Cordy, avec une pêche d’enfer. Les années glissaient sur lui, il a toujours été beau, svelte, jusqu’à la fin, ses cheveux avaient blanchi depuis si longtemps qu’ils faisaient partie de cette silhouette longiligne qui devenait, sur scène, un de ses atouts. D’autant qu’il a sauté, dansé et virevolté durant…plus de 60 ans !!!
Il faisait tellement partie de notre beau paysage de la chanson française que même nos grands-parents parlaient de lui. Lui, il en rigolait et à chaque concert il faisait un malheur, tout comme lors de la tournée » Âge Tendre » où il était plus jeune que nombre d’autres artistes qui avaient 20 ans de moins que lui. Il faut dire que, si sur scène il ne se ménageait pas, il suivait un régime draconien,
condition sine qua non pour continuer cette vie trépidante…
« Ordre de mon médecin après une petite alerte cardiaque… Mais rassurez-vous, tout va bien ! »
Il était disert, volubile et très heureux de vivre, de chanter, chose qu’il n’a jamais arrêté de faire, même durant « sa traversée du désert » en France, où on ne le voyait plus à la télé, poussé par… ceux avec qui il partagea la vedette sur la fameuse tournée et qui, à leur tour, furent poussés par des petits nouveaux… qu’on retrouve aujourd’hui sur la tournée !!! Il en a beaucoup ri :
« J’ai trouvé ça très amusant que l’on se retrouve tous sur un même programme… C’est un clin d’œil du destin !
Ce qui me fait rire c’est lorsque j’entends des gens dire : « Oh la la… il a pris un sacré coup de vieux, celui-là » ! Mais finalement c’était le principe même de cette tournée : que sont-ils devenus ? Comment sont-ils ? Le but était de faire entendre aux gens les chansons de leur jeunesse…. Et l’on vous parle d’un temps… comme disait son ami Aznavour ! Aznavour qui lui a écrit son plus grand tube « Le mexicain » sans compter que Brassens lui a offert « Le chapeau de Mireille »
Nos rencontres ont toujours été un grand plaisir. Il aimait raconter ses débuts

« Je suis « monté » à Paris en 51. J’avais un peu plus de 20 ans et je me destinais à un métier honorable », quelque chose comme enseignant. Mais très vite j’ai eu ll’appel du théâtre puis de la musique et on me voyait plus sur les planches du conservatoire que sur les bancs de la fac. J’ai donc décidé de quitter Bordeaux où il ne se passait rien à cette époque et de tenter Paris. J’ai eu quelques années un peu dures mais j’ai commencé à percer en 56, date de mon premier Olympia, et je suis vraiment devenu une vedette reconnue avec quelques tubes (qu’on appelait alors succès populaires !)… en 60 ! Voyez, on n’en est pas si loin. Et voyez pourquoi ça m’a fait drôle de chanter aux côtés de ceux qui nous ont chassés !
En 60, je n’avais quand même que 30 ans mais avec leur arrivée j’ai fait office de « vieux briscard » ! Tout est relatif !
Tu n’as  jamais arrêté ce métier ?
Non, jamais et j’ai eu du bol car, lorsque les contrats se sont mis à se faire rares en France, j’allais chanter en Allemagne, en Italie et beaucoup plus loin car je chante en huit langues. J’ai animé des émissions et fait beaucoup de galas et de disques ailleurs, entre autres en Italie. J’ai beaucoup parcouru la planète. Même aux jours les plus difficiles, j’ai pu résister et subsister avec ce métier. Je n’ai jamais arrêté de vivre de la chansonnette et puis, j’avais un autre violon d’Ingres : écrire. J’ai toujours écrit des chansons, des textes, des livres, même si je ne me considère pas comme un écrivain. Si je n’avais pas chanté j’aurais peut-être pu être écrivain ou journaliste ».
Il aurait pu mais il fut écrivain, ayant quelques livres à son actif dont son autobiographie : « Il a neigé… ».
Ton autobiographie a été longue à sortir !
Oh la la… Ca a été un long travail… C’est que je n’ai pas dix ans de carrière, mon bon monsieur !!! J’avais quelque deux mètres cubes de doc à compulser !
Lorsqu’il a été question que je fasse mes papiers pour ma retraite et faire valoir mes droits, ma femme a fait des recherches entre disques, programmes, articles de presse, documents divers… Après, il a fallu tout trier. Bien sûr que je ne raconte pas tout, il faudrait plusieurs volumes mais… il a fallu faire un choix ! Sans compter qu’il n’était nullement question que je raconte mes galipettes car ce n’est pas mon genre, même si je sais que ça plait au public »

Je suis de la génération dite «yéyé», mais, dans les années 50, j’étais bercé par les chanteurs que ma mère écoutait : Trenet, Cordy, Amont et autres.
Sans savoir que, des années plus tard, je deviendrais ami avec ces deux derniers…Et que je retrouverais les deux comparses sur les tournées «Âge Tendre» et fêterais avec eux leurs 80 ans. Tout ça ne nous rajeunit pas, ma bonne dame !
« Bleu, blanc, blond», «Tout doux, tout doucement», «Le clown», «Le chapeau de Mireille», «Le mexicain», «L’amour ça fait passer le temps»… Il en a fait des succès, le père Miramon… On n’appelait pas encore ça des tubes !
Le plaisir a été grand de partager ces tournées « Âge Tendre » avec mes deux plus vieux amis : Marcel et Annie
Et de le retrouver une dernière fois au Théâtre Galli de Sanary où il vint chanter.
Il avait alors 92 ans… Pardon… 91et demi, précisait-il en riant !
«Et toujours bon pied bon œil,  lui dis-je en riant de même après la répet’
Bon… disons-le vite… On n’est pas à un mensonge près ! Mais il ne faut pas s’attendre à ce que je fasse des galipettes sur scène… Ça, c’est fini.
On n’aura donc pas droit à ton légendaire équilibre sur la chaise, comme tu le faisais encore sur la tournée «Âge Tendre»… à 80 ans ?
Depuis, il s’est passé quelques années et je suis entré dans une zone de turbulence… Attention : je ne dis pas que je ne suis plus capable de le faire mais ça devient plus dangereux et, il faudrait quelqu’un pour me réceptionner au cas où je me casse la gueule ! Mais je vous jure que je peux encore le faire !

Ça te fait combien d’années de spectacles aujourd’hui ?
Professionnellement, 70 ans. J’ai commencé en 49 à Bordeaux, je suis «monté» à Paris en 50. J’ai galéré quelques années en chantant dans des bals, des cabarets, tous les lieux où je pouvais chanter.
Sans jamais être « démodé » comme le titre de votre dernière chanson !
Cette chanson, je l’ai faite car je ne supporte pas le mot «ringard» trop souvent employé pour des vieux chanteurs. A la limite, je préfère «Has been», c’est plus juste, on a été… et on est toujours là ! Je suis un ancien qui peut être possiblement démodé !
Mais tu chantes toujours, c’est bon signe !
Vous savez, l’énergie vient de l’intérieur et tant que je l’aurai, cette énergie, je continuerai.
Donc, on fêtera tes cent ans sur scène ?
Pourquoi pas… si je ne sucre pas les fraises !»

Malheureusement, il n’aura pas eu le temps de revenir fêter ses cent ans comme promis.
Je garde de lui des souvenirs magnifiques, de belles pintes de rires avec Annie, des repas où il nous passionnait de ses histoires, de sa vie, qui fut une musique perpétuelle.
Je ne l’oublierai pas

Jacques Brachet
Photos Christian Servandier

Presqu’ile Jazz Impro
Duo Louis SCLAVIS-Bruno DUCRET

Le trio de passionnés (Guy Risbec, Irène Levauffre,Philippe Letimonnier) qui mène allègrement Presqu’île Impro Jazz, invitait en cette soirée du 4 mars 2023 un duo effervescent : Louis Sclavis (clarinettes basse et soprano) et Bruno Ducret (violoncelle).
La belle idée de Presqu’île Impro Jazz est de changer de lieu à chaque concert, afin d’aller avec ce jazz très pointu vers des publics différents. Cette fois on était dans la Halle 901, toute neuve, à Saint Pierre Eglise (près de Cherbourg). La salle était comble. Le public enthousiasmé ; la preuve, les musiciens offrirent trois longs rappels. Dès leur apparition les deux musiciens avaient déjà conquis la salle.
Louis Sclavis est sans conteste l’un des tout premiers clarinettes basse, peut-être le meilleur, et un très grand improvisateur. On ne le présente plus ; il enflamme les publics depuis près de 50 ans.
Bruno Ducret, lui, est encore peu connu. Il termine ses études en 2014 après être passé par plusieurs conservatoires. Il est né dans la musique puisqu’il est le fils de deux très grands improvisateurs bien connus dans monde du jazz, le guitariste Marc Ducret, et la contrebassiste Hélène Labarrière ; tous deux d’ailleurs sont déjà venus à Presqu’île Impro Jazz.
Dès les premières notes on entend que le violoncelliste est au niveau d’un concertiste classique, avec en plus la patte jazz. Il est l’homme orchestre du violoncelle, qu’il tient à la façon d’une viole de gambe, ce qui lui permet de jouer dans différentes positions, car il traite son violoncelle à la fois comme instrument mélodique et percussif, frappant peu la caisse, mais en jouant de toutes les possibilité des cordes, depuis les chevilles jusqu’au cordier. Il joue pizzicato avec les 5 doigts, tout en percutant les cordes en accord. On est époustouflé par tout ce qu’il peut jouer, sans jamais faire de « cirque ».
Louis Sclavis, statue du commandeur derrière sa clarinette basse, fut éblouissant. Un moment grandiose sur « l’Odyssée des Bysantins », ce fut comme si soudain on avait entendu le chant du muezzin. Il avait ôté le bec et chantait dans le bocal sur un mode bysantin ; c’était une caravane de musique qui passait sur la scène.

Leur fonctionnement est simple, on expose le thème tous les deux, et puis quand ça part en solo, l’un accompagne l’autre, de façon assez extraordinaire mêlant rythmique et mélodie. Sclavis avec ses claquements de langue sur la anche. A noter de sa part un long solo en souffle circulaire, ce qui étonne toujours un public non averti.
Ces deux musiciens puisent à des sources diverses. Louis Sclavis est plus essentiellement jazz, il y a du blues à l’intérieur. Il s’est créé un son et un style facilement reconnaissable et envoûtant.
Bruno Ducret en plus du jazz, joue également de la musique de chambre, du rock, de la musique folklorique, pour le théâtre, la danse. Il chante aussi. Lors d’un rappel il nous gratifia d’un traditionnel nivernais étonnant qui définit parfaitement la condition de la femme au temps de la paysannerie : « Je voudrais être mariée, j’irais p’t’être plus aux champs! Voilà la belle mariée, elle va toujours aux champs…elle voudrait être enceinte, accoucher, vieille…Elle va toujours aux champs…Morte, elle est
enterrée dans son champ. » Il le chante seul en s’accompagnant sobrement au violoncelle. Belle idée de reprendre ces chants anciens, ce qu’avaient fort bien réussi les Bretons en les mêlant à la Pop.
Un dernier rappel plein d’émotion et de douceur. Les deux musiciens s’assoient côte à côte pour un blues sobre et intimiste. Fulgurante ovation.
Un grand concert, qui prouve qu’il ne faut pas avoir peur de programmer de la grande musique, même pour un public non initié. Celui-ci sait reconnaître d’instinct le grand art.
Les musiciens arrivait de Bourg en Bresse et n’avait pas encore mangé. Comme quoi la musique permet tous les dépassements.

Serge Baudot