Tout jeune, Joël Carpier aimait, comme des milliers d’ados, Claude François. Passé son CAP de serrurier, il trouve un emploi dans ce métier. Nous sommes en mai 68 et bien évidemment, il participera à cette révolution, il découvre le syndicat CGT auquel il adhère. Puis il y a l’armée, et à son retour, il entre dans les ateliers où travaille son père. Cégétiste convaincu, il découvre aussi le journal « L’Humanité » qu’il va vendre le dimanche matin à la criée. Là, il entend chanter « Ma France » par un certain Jean Ferrat dont il connaissait à peine un refrain : « La mer sans arrêt, roulait ses galets… ». Lors d’une action de son syndicat avec ses camarades, il va entendre la voix, les musiques, les mots de Ferrat qui, plus jamais, ne sortiront de sa tête et de son cœur. Et feront désormais parti de son quotidien, d’autant que nombre de ses chansons résonnent en lui, sont attachées à son propre vécu. II avoue d’ailleurs que, grâce à lui et muni d’un dictionnaire, il a appris nombre de mots de la langue française !
Entrant à la RATP, en 1986, il rejoint l’équipe organisatrice de leur fête annuelle et prendra contact avec Gérard Meys, producteur de Jean Ferrat. On est en 1987 et Ferrat a déjà quitté, sinon le métier, du moins la scène. Ce n’est qu’en 1995 qu’il rencontre Gérard et son assistante, Valérie Gérard afin de faire venir Isabelle Aubret pour la commémoration des cent ans du syndicat de retraités de la RATP. Lorsqu’on approche les 2 Gérard (Valérie et Meys !), on n’est pas loin de Ferrat à qui il a écrit plusieur fois avec toujours une réponse. Car l’artiste a toujours répondu à ceux qui lui écrivaient, j’en sais quelque chose ! C’est en 2003, sur l’émission « Vivement Dimanche » où il est invité par eux qu’il rencontre enfin l’artiste qui lui recommande de recevoir au mieux Isabelle. « Sa messagère ». Ce sera le début d’une longue amitié jusqu’à la disparition de Jean Ferrat, sept ans plus tard. Entretemps Joël entrera dans l’association du Secours Populaire.
C’est alors que nait dans la tête de François Derquenne l’idée d’une exo-hommage intitulée « Jean des encres, Jean des sources » à travers treize panneaux racontant, sa vie, son œuvre, chacun illustré d’une chanson, montrant les aspects artistiques et surtout politiques, sociaux, humains. C’est l’ami de Jean Ernest Pignon-Ernest qui créera cette affiche qui a fait le tour de France, accompagnant cette exposition itinérante aujourd’hui installée dans la Maison Ferrat d’Antraigues. Devenu, à la demande de Jean Ferrat, le responsable de l’exposition, Joël nous raconte, avec son talent de conteur, la genèse de l’expo qu’il a suivie de ville en ville, d’événements en festivals, avec tout ce que cela comporte de soucis, de bonheurs que lui a apporté cette lourde tâche d’être le responsable de celle-ci et en quelque sorte d’être le porte-parole de Ferrat dont il adjoint à chaque étape une conférence. Et c’est ainsi que peu à peu, Joël a fait partie du « Clan Ferrat » : sa femme, Colette, Isabelle Gérard, Valérie, Véronique, Ernest, Francesca Solleville, Edmonde Charles-Roux, le musiciens de Jean Alain Goraguer, l’équipe de l’Humanité, le chanteur Allain Leprest et tous les organisateurs qui, de près ou de loin, ont contribué au succès de cette belle exposition. Sans oublier Jean Saussac, Michel Baissade et Michel Pesenti, amis et maires d’Antraigues. Afin de ne pas oublier ces années vécues autour de Jean et son expo, Joël Carpier nous offre, de sa Normandie, un livre très émouvant « De vallons en collines avec Jean Ferrat (Ed Geai Bleu)* qui nous raconte son aventure originale et exceptionnelle aux côtés d’un homme et d’un artiste hors du commun qui a laissé une œuvre universelle.
Jacques Brachet *Livre vendu au profit du Secours Populaire
Thérèse Coquerelle , ouvrière à 14 ans comme bobineuse dans l’usine où travaille son père, a toujours eu la chanson dans la voix, dans le sang, dans le cœur. En parallèle de ce métier, elle tente tous les concours de chant qui se présentent dans sa région lilloise, jusqu’à ce que Bruno Coquatrix la remarque en 1960 lors d’un concours à l’Olympia. Très vite elle va enregistrer dont une chanson qui vient de gagner l’Eurovision 1961, grâce à Jean-Claude Pascal : « Nous les amoureux ». Et c’est elle qui, un an plus tard, gagne l’Eurovision avec « Un premier amour ». De là, elle ne cessera de chanter dans le monde entier, même si, les « yéyé » auraient pu la déstabiliser. Pourtant elle va bousculer les barrières et se faire une place entre Sheila, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, Richard Anthony et les autres. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que, dans les années 2000, on la retrouve au milieu de certains de ces artistes dans les tournées « Âge Tendre ».
Quant à moi, c’est dans les années 60 que je la rencontre pour la première fois. En 65 exactement, lors de la tournée que je ferai en tant que journaliste, où elle partage la vedette avec Adamo. Je la retrouverai plus tard sur les tournées Âge tendre où des liens d’amitié se noueront entre elle, Gérard Meys, son mari et producteur, producteur également d’un certain Jean Ferrat, et moi. En 2010, je les inviterai à la Seyne-sur-Mer pour un hommage à Ferrat, chose qu’elle n’avait alors jamais faite. Sur le thème « Les écrivains et la chanson », ils seront entourés par mon autre amie Alice Dona, venue rendre hommage à Gilbert Bécaud, Claude Lemesle avec qui les deux chanteuses ont chanté des chansons de cet auteur-compositeur, orchestrées par Jean-Claude Petit. Ce furent des journées de ferveur, d’amour, d’amitié et aussi de beaucoup de rires. Au départ, Gérard m’avait demandé à ce qu’elle ne chante pas. Mais Isabelle, ayant tout prévu, avait apporté une bande sur laquelle elle chanta et nous offrit en prime un poème « Sur le boulevard Aragon ». C’est grâce à Gérard que je pus rencontrer Jean Ferrat pour la sortie de son disque « Dans la jungle et dans le zoo », qui nous reçut chez lui à Antraigues où j’ai moi aussi ma maison de famille à quatre kilomètres de chez lui. Mais, revenons à Isabelle avec qui j’avais fait une longue interview durant les tournées « Âge Tendre », surpris de la retrouver entourée de ces artistes dits « Yéyé », loin de ce qu’elle défendait dans la chanson française.
Elle se mit à rire : « Mais figure-toi qu’à cette époque, je gagnais l’Eurovision en 62, je rencontrais Ferrat » qui m’offrit « Deux enfants au soleil » puis plus tard « C’est beau la vie » ! En 63 je faisais l’Olympia avec Jacques Brel, en 65 je partais en tournée avec Adamo et j’ai même raté un film : « Les parapluies de Cherbourg » que me proposait Jacques Demy, à cause de mon accident. Et j’ai toujours eu quelque chose qui me bouleverse encore : l’affection et la fidélité du public ». On a pu le voir lors de ces tournées où elle arrivait sur scène après que Jean Ferrat lui-même, qui avait enregistré un petit clip, la présentait. Et après son tour, sept mille personnes l’acclamaient debout. Isabelle, deux rencontres ont compté plus que les autres : Brel et Ferrat… C’est Brel qui m’a choisie alors que je ne le connaissais pas. Il devait partir en tournée avec Michèle Arnaud et il a dit au producteur : « C’est la petite que je veux ». Je croyais rêver. Grâce à cette rencontre, nous sommes devenus amis, je l’ai beaucoup chanté, je lui ai même consacré un disque. Autre jolie histoire : Lorsque j’ai eu mon accident, j’étais explosée de partout, il est venu me voir à l’hôpital et a dit à mon entourage : « Je lui donne « La Fanette » Puis vient la rencontre avec Jean Ferrat, que tu as toujours appelé Tonton ! Gérard Meys est un jour venu me voir pour me proposer une chanson de Ferrat. C’était « Deux enfants au soleil » qu’il chantait lui-même. J’allais faire l’Eurovision et je lui ai dit : « On en parle après ». J’ai gagné l’Eurovision, on en a parlé, j’ai enregistré « Deux enfants au soleil » sur le même album que « Un premier amour »… Et elle est restée 27 semaines en tête des hitparades ! De ce jour, une amitié indéfectible est née. Tonton a écrit de magnifiques choses sur moi qui m’ont fait pleurer de joie. Il savait toujours choisir le mot qu’il fallait en toutes circonstances, lui qui était si pudique.
Parle-moi de ta première rencontre. Lors de l’enregistrement de « Deux enfants au soleil », il passe dans le studio, me fait un petit signe mais, aussi timides l’un que l’autre, ça en reste là. Je pars en tournée avec Brel, j’ai mon accident et Jean n’ose pas venir me voir. Lorsque je recommence à marcher, je me rends compte à quel point c’est beau la vie. Ça donne l’idée à Michèle Senlis, qui avait déjà signe « Deux enfants au soleil » de faire une chanson et qui me propose la chanson « C’est beau la vie » en me faisant écouter la version de Jean à la guitare. Dans la foulée nous l’avons enregistrée tous les deux ainsi que « Nuit et brouillard », chanson polémique qui fut interdite d’antenne, surtout venant d’une femme qui venait de gagner l’Eurovision ! Mais on connait le succès et l’impact qu’a pu avoir cette chanson par la suite et de là est née notre amitié. J’ai enregistré quelque 80 chansons signées Ferrat.
Dans la foulée, tu rencontres Aragon… C’était après mon accident. Il m’avait invité à son anniversaire. J’étais très émue et honorée et lors de cette rencontre, il me propose de lire un de ses poèmes « Aimer à perdre la raison ». De ce jour des liens se sont créée et je ne me suis pas privée de le chanter grâce à Tonton. Je te précise que j’ai lu toute son œuvre, dont son dernier poème « L’épilogue ». C’est tellement fort et déchirant que Jean a mis trois ans pour le mettre en musique. « J’ai l’impression de lire son testament, plus jamais de ne mettrai l’un de ses poèmes en musique », m’avait-il dit. Isabelle, difficile de ne pas parler de son Ardèche, qui est la mienne et qui est devenue la tienne. C’est le directeur de la Maison de la Culture de Nice, Gabriel Monet, qui parle à Jean d’Antraigues où il a de la famille. Il cherchait un coin tranquille pour se reposer de ses quelque 250 galas, et surtout pas sur la Côte d’Azur. Gabriel l’y emmène et c’est le coup de foudre. Il appelle alors Gérard Meys et lui dit : « Il y a deux maisons à vendre, la belle est pour moi, l’autre est pour toi ! » Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés là-bas. Nous avions envie de le rejoindre, d’habiter pas loin de lui… mais assez loin au cas où nous nous serions fâchés ! Nous sommes à notre tour tombés amoureux de cette belle région.
Et il s’est totalement investi dans celle-ci. Oui et ce qui est beau, c’est qu’il ne s’est pas considéré à Antraigues comme une vedette. D’ailleurs un jour, un habitant m’a dit : « Ce n’est pas un artiste mais un homme qui chante ». Il a été heureux dans ce village… » Isabelle m’avoue qu’aujourd’hui elle a du mal à y retourner sans pouvoir y retrouver Tonton. Elle y a fait quelques incursions pour lui rendre hommage lors de sa disparition où elle a chanté au milieu de milliers d’admirateurs qui pleuraient. Puis elle y venait fêter ses 86 ans Elle qui fut une gymnaste avant son terrible accident puis qui en eut un second en pratiquant le trapèze, s’est payé pour la seconde fois un saut en parachute ! « Allez, allez la vie », elle est si belle et en même temps « on ne voit pas le temps passer » ! Je t’embrasse Isabelle. Jacques Brachet Photos Christian Servandier
Je suis ardéchois. Enfin, non… Je suis varois En fait je suis des deux puisque né d’un couple de toulonnais et de grands-parents paternels ardéchois. Mais c’est vrai, je me sens très souvent plus ardéchois car mon enfance est surtout marquée par trois mois de vacances l’été chez mes grands-parents. Loin de l’école que je n’aimais pas, l’Ardèche c’était la liberté totale, une famille aimante, des cousins et des copains avec qui le partais dans les collines avec chèvres et moutons, nous pêchions, nous allions nous baigner à la rivière. Une vie comme la raconte Pagnol et que je vivais en Ardèche. J’étais et suis toujours très attaché à cette région que j’ai fait aimer à ma femme et à mon fils, dans cette maison de pierres où j’ai passé le plus beau de ma jeunesse et mon adolescence. J’y retourne toujours avec le même plaisir, même si mon boulot a toujours été à Toulon, surtout l’été ou spectacles, manifestations, festivals m’accaparent dans la région varoise. Mais aujourd’hui le journalisme devient difficile car les réseaux sociaux ont changé la donne : la presse parisienne, OK. La presse régionale… Bof ! Aussi entre les barrières que nous créent producteurs, attachés de presse, agents, organisateurs, difficile d’aborder un artiste. Du coup, adieu les festivals d’été, le show biz et bonjour l’Ardèche où il se passe plein d’événements magnifiques, où l’on est superbement reçu, où l’on est content de recevoir un journaliste. Alors, le choix est facile à faire. Je vous propose quelques belles rencontres dans « ma » région où les artistes ne se prennent pas la tête et sont restés des êtres humains « normaux », abordables, simples et aimables. On a passé un bel été. Jacques Brachet
Lorsque plusieurs générations sont implantées dans un même lieu, les racines sont ancrées à jamais. C’est le cas de Jean-Marc Moutet, ardéchois « cent pour sang » dont les aïeux vivaient dans cette ferme de Lablachère pour y élever les chèvres et cultiver les vers à soie… Dans ce village calme et serein, Jean-Marc a fait de sa ferme ancestrale, un lieu de culture et de musique qu’il dirige avec Cécile, son épouse, où il a créé un petit théâtre et où il reçoit de beaux artistes, célèbres ou non, d’ici ou d’ailleurs mais exclusivement défendeurs de la chanson française et de la poésie. Dans cette Ardèche devenue célèbre grâce à un certain artiste nommé Ferrat, d’autres l’ont suivi et sont venus s’y installer loin de la foule déchaînée parisienne. Parmi eux mon ami Alain Turban grâce à qui j’ai découvert ce lieu où il est souvent à l’affiche lorsqu’il quitte son autre village : Montmartre. Jean-Marc est un passionné de la langue française qu’il défend âprement dans ce magnifique lieu, depuis plus de vingt ans.
Il y a créé entre autre un spectacle en hommage au grand monsieur d’Antraigues, intitulé « Jean d’ici, Ferrat le cri ». Un spectacle vu et approuvé par l’artiste lui-même, qui raconte sa vie, son œuvre, le tout illustré de chansons où l’on retrouve avec émotion la voix de Jean. Spectacle émouvant et original puisqu’on voit arriver… Jean Ferrat du fond de la salle, moment incroyable car Jean-Marc devenu Jean est saisissant. Le moment de surprise passé on entre dans l’histoire qu’il nous conte, aux côtés d’une malle d’où il sort au fur et à mesure photos, programmes, disques, documents qui sont chaque fois reliés à une chanson. Jean-Marc raconte mais ne chante pas, laissant cela à cette voix qui, à chaque fois, nous rappelle combien Ferrat était un grand artiste qui nous a laissé des chansons universelles. Longtemps après que les poètes ont disparu… C’est autour d’un apéro, vin blanc-sirop de châtaigne, que Jean-Marc Moutet nous raconte sa belle aventure.
« Jean-Marc, d’abord racontez-nous l’histoire de cette maison… Ca a toujours été une ferme familiale, mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père sont nés dans cette maison. C’étaient des agriculteurs même si c’était de plus en plus difficile de vivre de l’exploitation. Ils faisaient aussi la sériciculture, c’est-à-dire l’élevage du vers à soie, un peu d’oliviers, un peu de vigne. Lorsque j’étais enfant, je venais voir les brebis et les chèvres, il y avait encore mes grands-parents. Et l’origine de la ferme théâtre ? C’est en 2004 qu’avec Cécile, mon épouse, on a créé la ferme théâtre. Depuis, on la fait vivre à notre façon avec ce spectacle sur Jean Ferrat mais aussi en accueillant d’autres artistes qui viennent chanter, jouer la comédie, beaucoup d’artistes du coin mais aussi des gens connus, des années 70/80 et d’aujourd’hui, comme notre ami Alain Turban, Hervé Vilard, Francis Lalanne, Gilles Dreu, Fabienne Thibeault, Pascal Danel, Michel Monaco… Alors, comment s’est créé ce spectacle « Jean d’ici, Ferrat le cri » Dans les années 80, j’étais étudiant à Aubenas au moment où Jack Lang et François Mitterrand ont libéré les ondes et moi, le mercredi, puis rapidement le week-end, tous mes jours de repos en fait, je passais à la radio où j’avais des émissions essentiellement consacrées à la chanson française. J’interviewais pas mal d’artistes mais hélas Jean n’est jamais venu ! Mais j’aimais ce qu’il faisait et j’ai commencé à énormément me documenter sur lui. J’avais assez de matière pour créer un spectacle sur lui. J’ai eu cette idée le 1er janvier 2001 en discutant avec Joël Bioux, intermittent du spectacle, j’ai eu cette idée car il avait fait un spectacle sur Dalida et il m’a aidé à monter ce spectacle.
Et ça a marché tout de suite ? Oui. Trois mois plus tard, le spectacle était prêt. J’ai joué deux spectacles dans un village vacances en pensant que ça s’arrêterait là. Mais j’ai eu de tellement beaux témoignages que ça ne s’est plus arrêté. Au départ ce n’était pas gagné car le directeur pensait que c’était un spectacle pour les vieux… Il y a vingt ans de ça ! Pour le convaincre je lui ai proposé de le faire gratuitement et après d’animer une soirée dansante bénévolement. J’ai fait ça pendant deux ans car, du moment que son bar était rempli, ça lui convenait ! Mais pas à moi. A mon départ, on a fait un compromis : je ne lui demandais pas d’argent mais il m’envoyait des gens chez moi. Ils venaient d’un peu partout, ils en ont parlé aux agences de voyages qui nous ont intégrés dans leurs programmes. C’est une belle histoire… D’autant qu’un jour Jean Ferrat est venu voir le spectacle. Vous étiez déjà grimé en Jean Ferrat ? Oui mais différemment. Je l’avais déjà rencontré en 2001, je le connaissais plus qu’il ne me connaissait évidemment, je le rencontrais chez Leclerc où il faisait ses courses, au cinéma, dans des concerts. En fait, je connaissais Jean Tenenbaum, son vrai nom, plus que Jean Ferrat car je n’ai jamais pu le voir sur scène. Aviez-vous eu l’autorisation de Gérard Meys, son producteur, de sa famille, pour utiliser les chansons ? Car c’est sa voix que l’on entend, ce n’est pas vous qui chantez. Je me suis bien sûr posé la question de savoir si j’avais le droit de le faire mais lorsque Jean est venu, on a longuement discuté, on s’est retrouvé tous les deux face à la scène, il m’a même avoué qu’il avait oublié la chanson « Les cerisiers » qui date de 85 Pour les chansons, ce n’est pas un problème car on les déclare à la SACEM, c’est un problème de droits, mais c’est surtout sur les photos qui appartiennent à des photographes. J’ai créé ce spectacle sans arrière-pensée, peut-être que je n’aurais pas osé s’il avait disparu avant. Mais j’avais l’aval de Jean et de Gérard. Par contre,j’ai hésité à continuer à le jouer après son décès mais j’ai posé la question à sa famille. Véronique Estel, la fille de sa première femme Christine Sèvres m’a dit de continuer.
Et Jean m’a écrit : « Mémorable récital où j’ai pu voir passer ma vie en chanson de la plus belle façon et avec beaucoup d’émotion » (Jean Ferrat, 4 août 2004) C’est ma plus belle récompense.
Propos recueillis par Jacques Brachet Photos Monique Scaletta La Ferme Théâtre – 445 route d’Alès – Quartier Notre-Dame – Lablachère 04 75 36 42 73 6 contact@lafermetheatre.com
La maison d’Antraigues, j’ai eu la chance d’y être invité par Jean Ferrat lui-même en 79, grâce à Gérard Meys, son producteur et compagnon d’Isabelle Aubret, qui sont des amis de longue date. En 1991 sortant son album « Dans la jungle et dans le zoo » il ne voulait faire qu’une télévision : celle de Michel Drucker et que trois médias : le Dauphiné, la Montagne et… Evasion Mag car il avait appris par Gérard que j’étais mi-ardéchois, mi-varois. C’est ainsi que nous passâmes la journée à écouter chacune des chansons de ce nouveau disque dont il nous expliquait la naissance et que tout se termina par un repas à la Remise. Inutile de dire la joie que nous avons eue de partager ce moment avec cet immense artiste. Une fois disparu, je continuais à venir voir Colette, sa femme, avec qui je fis un reportage lorsqu’elle ouvrit ce lieu qu’est la Maison Ferrat, en souvenir de lui. D’année en année, j’ai continué à venir saluer Colette qui s’affaiblissait, jusqu’à ce 9 mai où elle a rejoint son homme, à l’âge de 88 ans. Il y a longtemps que je n’étais plus entré dans ce lieu du souvenir, cette année, je m’y décidai et c’est avec un merveilleux sourire que m’y accueillit Anja Wissman, chargée de mission dans ce qui n’est pas un musée mais où des centaines de gens font la queue pour retrouver avec nostalgie, le poète-chanteur qui nous a offert tant de belles chansons.
« Anja, quel est votre rôle dans cette maison ? Je suis chargée de mission depuis une dizaine d’années mais le lieu est géré par une association, la directrice étant Valérie, la nièce de Colette qu’elle a élevée comme sa fille. La Maison Ferrat existe depuis le 13 mai 2013. On a d’ailleurs fêté ses dix ans l’an dernier. Expliquez-moi ce qui s’y passe… Lorsque Colette a créé cette maison, c’était pour offrir un lieu vivant qui ne soit pas seulement un musée statique mais pour qu’il s’y passe des choses. Durant ces années, nous avons accueilli des concerts, proposé des expositions dont celles de Pignon Ernest Pignon qui nous a offert ce magnifique portrait de Jean Ferrat, on a organisé des conférences, nombre de soirées sur la place, des projections, tous les ans nous organisons le Printemps des Poètes. Quant à l’exposition consacrée à Ferrat, on essaie de la renouveler, de ne pas toujours montrer la même chose, nous accueillons de jeunes artistes de l’Ardèche, des expos temporaires en été. Et il y a ce festival Jean Ferrat qui vient d’avoir lieu du 17 au 21 juillet Ce festival a été créé avant la Maison Ferrat en 2011. Au départ c’était la Mairie qui avait initié ce festival puis une association a pris le relais pour le faire perdurer. Ce sont toujours des concerts autour de Ferrat ? Au début c’était pour lui rendre hommage. Puis ça s’est élargi au niveau de la durée. D’une journée, nous sommes passés à quatre. Le fil rouge reste bien entendu Ferrat, son esprit, on reste fidèle à ses engagements, on y invite des artistes pas forcément de la chanson française classique, on s’est ouvert à d’autres styles de musiques, le rap, le slam, on a fait aussi un peu de rock mais le point commun au niveau de ces artistes c’est que ça reste 100% francophone ancré dans la personnalité et les idées de Ferrat.
Dans ce lieu je reconnais du mobilier que j’avais vu chez Jean… Lorsqu’il est décédé, il y avait énormément de gens qui erraient dans le village à la recherche de sa maison et du coup, il y avait besoin d’un lieu et c’est pour cela que Colette a eu cette idée de cette place symbolique où on pouvait le voir jouer aux boules. Le lieu, qui était un bar-restaurant – où d’ailleurs Philippe Noiret et Jean-Louis Trintignant venaient lorsqu’ils tournaient le film de Robert Enrico « Le secret » (On le voit d’ailleurs dans le film) – était en vente. Et Colette y a installé des meubles, le piano, sa guitare… La maison a-t-elle été vendue ? Non, elle est toujours dans la famille. Que faisait Jean de ses journées ? Il continuait à écrire, il passait beaucoup de temps à répondre au courrier qu’il recevait, on a des archives incroyables. Pour lui, c’était important de garder ce contact avec son public, il jouait aux cartes, aux boules avec ses amis, il allait à la pêche. Est-ce que des artistes connus sont venus jouer ? Oui, justement nous avons accueilli Jean-Louis Trintignant avec un spectacle libertain, Daniel Auteuil, Arthur H, Francesca Solleville avec qui on a fêté ses 90 ans, son ami Ernest Pignon Ernest, qu’on a accueilli deux fois pour des expositions…
Vous disiez que ce lieu était un bar mais il fut aussi, je crois, un lieu historique ? Oui, le comédien Gabriel Monnet, né au Cheylard, était un grand résistant, il a inauguré la Maison de la Culture de Bourges en montant une pièce de Pierre Halet « La provocation » sur l’incendie du Reichstag. Pierre Halet, connaissant Jean Ferrat, lui a demandé d’en écrire la musique. Gaby Monnet connaissant Alexandre Calder et Jean Saussac, qui était décorateur de théâtre, leur a demandé d’en faire les décors. Tout ce petit monde s’est donc retrouvé à Bourges puis à Antraigues et c’est grâce à eux que, tous installés dans le village, celui-ci a commencé à être connu artistiquement ».
Il est évident que Ferrat installé, le monde artistique s’est développé autour de lui et aujourd’hui, lorsque vous venez à Antraigues, prenez votre mal en patience pour trouver une place pour vous garer. Mais, armé decourage, vous ne regretterez pas de découvrir la Maison Ferrat mais aussi ce petit village ardéchois tellement beau et vous pourrez vous rendre compte que Ferrat avait raison de dire que la montagne était belle !
Jacques Brachet La Maison Ferrat – Place de la Résistance – Antraigues sur Volane – 04 75 94 73 49