Archives de catégorie : Portraits

Hugues AUFRAY… On the road again !

Hugues Aufray fait partie de ces artistes que j’ai toujours rencontrés au fil des décennies puisque, démarrant mon métier dans les années 60, il était déjà connu. Je l’ai donc très souvent rencontré dans les galas, les tournées qui alors duraient deux mois d’été. Et toujours il m’a reçu, on a fait beaucoup d’entretiens, de photos car, au contraire de ces pseudo-stars d’aujourd’hui, il n’a jamais refusé une rencontre.
Le retrouver cette semaine au théâtre Galli de Sanary a été un nième plaisir de pouvoir bavarder avec lui.

« Alors, Hugues, à 94 ans passés, vous voilà toujours en tournée ?
Une mise au point : Une tournée, ça ne veut plus rien dire pour moi aujourd’hui. Avant, les tournées étaient comme un cirque. On allait de ville en ville durant deux mois… Aujourd’hui je fais des concerts, je prends le temps entre deux dates mais je ne prends jamais de vacances. Je ne sais pas ce que c’est car en fait, je ne travaille jamais… Je joue ! Je m’amuse car pour moi, chanter c’est un jeu.
Jamais le trac ?
Le trac ? Je ne sais pas ce que c’est. Je suis peut-être un imbécile mais je n’ai jamais compris qu’on puisse, comme Brel, avoir le trac de faire ce qu’on a choisi de faire. J’ai été un athlète, un champion universitaire du 4×100 mètres et là, je peux vous dire qu’on a le cœur qui bat.
Alors que monter sur scène a toujours été un immense plaisir.
Je vous avoue que je suis un mélange de courage et de paresse. La seule chose pour moi qui n’est pas un travail, c’est la scène, les galas, les potes avec qui je pars. J’ai ma guitare, je chante et c’est là la vraie vie.
Après, il faut écrire et ça, c’est le boulot car me retrouver face à moi-même c’est plus dur que de couper les arbres, monter un mur… ou un cheval !

Premières rencontres… A Toulon…
… Au MIDEM à Cannes

Vous rappelez-vous de la première fois où vous êtes monté sur scène ?
Oui, c’était vers 40/41, après mon service militaire.
Et vous avez tout de suite eu envie d’en faire un métier ?
Mais pas du tout, je n’avais jamais rêvé de gagner ma vie en chantant ! D’ailleurs à l’époque, je ne pensais pas qu’on pouvait être payé pour chanter !
Mais je détestais l’école, j’étais incapable de faire des études, les maths, même l’orthographe, j’avais envie de faire de la peinture, de la sculpture.
Et la chanson alors ?
J’avais toujours avec moi un instrument qu’on appelle la guitare et dont je jouais, comme seuls, alors, le faisaient Félix Leclerc et Gorges Brassens. Et les gitans. C’était alors un instrument rare. Je jouais mais je ne pensais pas à en faire mon métier. J’étais attiré par les arts plastiques. D’ailleurs, aujourd’hui, après avoir abandonné longtemps, je reviens à la sculpture. Je vis à Marly-le-Roi dans la maison d’un des plus grands sculpteurs : Maillol. Ça m’a donné l’envie de m’y remettre… Et même de faire une exposition, chose que je n’ai jamais osé faire. La seule chose que je n’ai jamais exposé c’est un portrait de Dylan.
Revenons en arrière… Voilà que vous décidez de chanter et que vous allez rencontrer Gainsbourg, alors pas connu.
Je m’étais marié très jeune, j’avais déjà deux filles et il fallait que je gagne ma vie. J’ai commencé à chanter dans les cabarets et un jour j’entends Gainsbourg qui chantait deux chansons. J’ai aimé ce qu’il faisait même si pour lui, ça ne marchait pas mais j’ai compris que si je devais chanter, il fallait que je me crée un répertoire. Je lui ai alors demandé si je pouvais chanter ses chansons, dont « Le poinçonneur des Lilas ».
Malheureusement, cela m’a mis en marge du métier car Gainsbourg avait mauvaise réputation à cause de l’alcool et du tabac. Or, ni je busvis, ni je fumais. De ce fait, nous n’avons pas créé des liens permanents.
Et puis j’ai concouru aux « Numéros uns de demain » à l’Olympia et j’ai gagné.
Ente autres rencontres, il y a eu Vline Buggy, qui écrivait déjà des chansons pour Claude François et qui en a écrit pas mal avec vous.
J’ai été présenté à Vline par Jean-Pierre Sabard qui était alors le pianiste de Claude. Je l’ai rencontrée et je venais de récupérer une chanson du folklore américain : « If I had a hammer » que je voulais chanter en français. C’est devenu « Si j’avais un marteau »… Que Vline a donné à Claude ! On s’est quand même accordé et on a fait « Allez, allez mon troupeau » qui a été un vrai succès, malgré Daniel Filipacchi qui ne voulait pas la passer à « Salut les copains ». Mais, le succès aidant, il a bien dû s’y résigner !
Comme passer sur la photo célèbre de Jean-Marie Périer avec tous les yéyés du moment !!!

Vous avez continué à écrire avec Vline … « Céline », « Adieu Monsieur le professeur », « Hasta luego » entre autres…
Oui mais je veux faire une mise au point : Je lui dois autant que ce qu’elle me doit. On a partagé ces chansons et… je n’y suis pas pour rien ! Je pense lui avoir aussi apporté beaucoup !
Autre rencontre : Bob Dylan
Oui, je l’ai rencontré, j’ai tout de suite aimé son style,  ses chansons, et j’ai eu envie de les traduire en français pour les chanter. Et j’ai demandé à Pierre Delanoé de les adapter. Il l’a fait pour me faire plaisir car il n’aimait ni l’artiste, ni ses chansons !
Vous traversez donc les années dites « yéyé » alors que vous êtes totalement à contrecourant… Et ça marche car vous collectionnez les succès !
C’est vrai que je n’ai jamais été « yéyé » et d’ailleurs je déteste ce mot qui ne veut rien dire. J’avais dix ans de plus qu’eux mais c’est vrai que j’ai été incorporé à ces jeunes, moi « le vieux » de la troupe. Mais ça m’a permis de connaître Johnny. Et dans les hits, j’étais devant lui. Il était un peu dans le creux de la vague. Du coup j’ai été pris pour faire ses premières parties.
Et quelques années après, c’est lui qui vous aider à revenir sur le devant de la scène.
Lorsque ma maison de disques m’a lâché parce que je n’étais plus assez vendeur, j’ai décidé de me produire mais hélas, ça a mal tourné car si vous n’êtes pas soutenu par un label, on ne vous reçoit pas. Mais je vous précise que n’ai jamais arrêté de faire des spectacles car le public m’est toujours resté fidèle. Ce sont les médias qui n’ont plus parlé de moi. C’est Johnny qui m’a présenté  à Mercury et je suis ressorti de la boîte.

Et il y a l’Eurovision en 64. Inattendu, non ?
Oui. Il se trouve que, voyant mon succès, Maritie et Gilbert Carpentier me proposent de m’y présenter  pour le Luxembourg avec une chanson de Robert Gall, le père de France : « Lorsque le printemps revient ». Ils me trouvaient beau garçon, aimaient ma voix et mon originalité. D’autant que tout le monde chantait avec un orchestre symphonique alors que je me suis présenté avec trois musiciens : mon Skiffle Groupe. En face de moi il y avait Romuald  pour Monte-Carlo et Gigliola Cinquetti pour l’Italie. Je suis arrivé 4ème et j’avais dit à Gigliola : « Tu vas gagner ». Ce qu’elle a fait !
Et ce beau garçon n’a-t-il pas eu envie de faire du cinéma ?
Oui. J’en ai fait… trois jours ! J’avais fait des essais pour le film « La vérité » avec Bardot, qui était une fille adorable. J’avais d’ailleurs été pris mais je n’ai tenu que quelques jours avec Henri-Georges Clouzot qui n’arrêtait pas d’insulter les gens. Je suis parti avant de lui mettre mon poing dans la figure !
Avez-vous toujours votre maison en Ardèche ?
Oui mais elle n’est plus à moi. Lorsque ma première femme est décédée, je l’ai donné à mes deux filles, Marie et Charlotte et elles y habitent encore.
Et vous êtes installé à Marly-le-Roi !
Oui, avec ma seconde épouse. Je dois vous avouer qu’elle est belle et beaucoup plus jeune que moi, ce qui a un peu fait jaser. Mais je m’en fiche ! Aujourd’hui, les concerts vont se terminer et j’ai pour projet de me remettre à la sculpture et de présenter enfin mon travail que je n’ai jamais montré ».
On va donc enfin découvrir une autre face du talent de l’artiste très bientôt.
Hugues Aufray n’a pas fini de nous surprendre !

Et déjà, il nous a surpris avec un spectacle de plus d’une heure et demi, où il chante autant qu’il parle (comme durant l’interview !, où il raconte ses chansons et nous assène, avec ses cinq remarquables musicien, des succès que tout le monde chante, de « Quand le printemps revient » en passant par « Céline », « Le petit âne gris », « Stweball », « Hasta Luego », « La fille du Nord », « A bientôt nous deux », «L’épervier », « Adieu Monsieur le professeur » que tout le monde chante avec lui les larmes aux yeux, terminant par « Santiano »repris debout par la salle entière. Plein de moments d’émotion et d’humanité  dont cette version de « Je vous salue Marie » de Brassens C’est un cadeau que nous offre cet artiste exceptionnel qui, à 94 ans, n’a perdu ni sa voix, ni sa superbe.
Bravo l’artiste !

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon… et Jacques Brachet !

Barbara BRUN entre dans le monde de Pagnol

Petite, elle avait des ambitions originales. Hormis collectionner les cailloux, elle voulait être sculptrice de… petits beurre ou encore interprète pour oiseaux voyageurs !
C’est dire qu’elle était déjà dans un monde de poésie et du coup, ayant des velléités de dessin, elle s’est lancée dans la peinture, l’aquarelle après avoir fait des études d’art plastique à Nantes.
Elle s’est donc retrouvée à illustrer « les contes de la chouette » d’Éric-Emmanuel Schmitt, « Le fantôme de Canterville » d’Oscar Wilde et de beaucoup d’autres livres. Il y a quelques mois, est sorti « Les loups des quatre saisons » (Flammarion jeunesse) et voici que sort « Le livre de la nature » (Ed Michel Lafond), les poèmes de jeunesse d’un certain Marcel Pagnol. Des poèmes qu’il écrivait déjà enfant et que Flammarion a décidé de lui confier les illustrations, avec l’assentiment de Nicolas, petit-fils de l’écrivain.
Des illustrations magnifiques de poésie, de légèreté et qui s’imbriquent parfaitement aux poèmes naïfs, véritables odes à la nature.

« Barbara, comment êtes-vous venue sur ce projet ?
Je ne l’ai pas fait exprès ! C’est tout à fait par hasard que les éditions Michel Lafond m’en ont parlé et j’ai tout-à-fait aimé cette ligne poétique. D’autant que ça me parlait dans la mesure où je suis de la région, où j’ai de la famille disséminée en Provence. Adulte je suis revenue en Provence, à Valréas et je vis à Grignan. Il y avait plein d’éléments qui faisaient que j’ai très vite aimé ce projet, avec évidemment l’assentiment de Nicolas Pagnol… que je n’ai pas rencontré mais qui m’a donné carte blanche.
Comment avez-vous abordé ce beau projet ?
Je me suis lancé dans la relecture de l’œuvre de Pagnol, entre autres ses souvenirs d’enfance, enfance durant laquelle il a  écrit ses poèmes. Qui sont vrais, touchants, tellement ancrés dans sa Provence. J’ai fait aussi quelques recherches sur son enfance, rassemblé un maximum d’infos sur celle-ci, son état d’esprit d’alors, car tout est lié et je voulais être fidèle à l’auteur. Et je me suis lancée !

Comment avez-vous travaillé entre votre éditeur et Nicolas Pagnol ?
J’avais carte blanche mais, déjà, j’ai essayé de faire un classement des poèmes par rapport aux écrits, aux rythmes, certains se font écho et voulais qu’il y ait une logique dans le déroulement de ces dix-sept poèmes. Un peu comme un calendrier de l’Avent !
Après ça, à chaque fois que j’illustrais un poème, je l’envoyais à l’éditeur, qui le montrait à Nicolas Pagnol. Et qui, à chaque fois, s’est montré enthousiaste. Jamais une fois ne n’ai eu à refaire une illustration.
Vous ne travaillez que sur coups de cœur ?
Oui, très souvent et la plupart du temps grâce à des propositions qui m’arrivent, d’éditeurs ou d’auteurs. J’ai ainsi collaboré avec des auteurs. Mais c’est aléatoire. Il se peut que je n’aie pas de projets qui viennent.
Et alors ?
Alors, on attend ou on fait autre chose. On change de métier. C’est ainsi qu’à une époque j’ai ouvert un salon de tatouages en instaurant un style plus fin et je peux vous dire que le travail à la plume m’a fait évoluer sur mon travail d’illustration. Ca a changé ma façon de travailler, l’esthétique, j’ai appris de nouvelles techniques, ça a été une période très formatrice.
Et vous continuez ?
En ce moment non car depuis quelques années je travaille pas mal et je n’ai plus guère de temps mais je sais que j’y reviendrai car c’est devenu aussi une passion.
En dehors de ce « Pagnol » que faites-vous ou qu’avez-vous fait ?
J’ai sorti au printemps « Les loups des quatre saisons » chez Flammarion et début 2025, sortira un livre chez Rober Laffont. Un livre que nous avons fait avec Céline, une auteure.
J’aime bien travailler en binôme.

Que faites-vous de ces illustrations ?
Je les garde ! Du moins un certain temps car je fais des expositions. Souvent aux salons du livre, je suis invitée dans une classe pour parler de mon travail et je montre ce que j’ai fait.
Je suis aussi demandée dans des expositions comme celle qui aura lieu à la mairie de Valréas et qui débute le 5 décembre.
Peut-on dire que vous avez un style ?
Je ne sais pas car mes illustrations s’adaptent à l’écrit ou à l’auteur. Donc je ne sais pas si l’on peut dire ça. D’ailleurs, plusieurs fois, des gens qui voient mon travail me posent la question de savoir si « tout » est de moi !
Je m’adapte à ce que l’on attend de moi et je ne peux pas garder le même style pour une œuvre d’Éric-Emmanuel Schmitt, des poèmes de Pagnol ou l’univers fantastique d’Oscar Wilde ».

Belle, talentueuse, Barbara entre donc dans le monde de Pagnol.
Normal, non, lorsque l’ami de César s’appelle Monsieur Brun et que la fille de Raimu s’appelait Paulette Brun !
Elle ne dépare pas dans le monde de cet illustre écrivain !

Propos recueillis par Jacques Brachet

Isabelle AUBRET… La voix de l’amour

Thérèse Coquerelle , ouvrière à 14 ans  comme bobineuse dans l’usine où travaille son père, a toujours eu la chanson dans la voix, dans le sang, dans le cœur. En parallèle de ce métier, elle tente tous les concours de chant qui se présentent dans sa région lilloise, jusqu’à ce que Bruno Coquatrix la remarque en 1960 lors d’un concours à l’Olympia. Très vite elle va enregistrer dont une chanson qui vient de gagner l’Eurovision 1961, grâce à Jean-Claude Pascal : « Nous les amoureux ». Et c’est elle qui, un an plus tard, gagne l’Eurovision avec « Un premier amour ».
De là, elle ne cessera de chanter dans le monde entier, même si, les « yéyé » auraient pu la déstabiliser. Pourtant elle va bousculer les barrières et se faire une place entre Sheila, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, Richard Anthony et les autres.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que, dans les années 2000, on la retrouve au milieu de certains de ces artistes dans les tournées « Âge Tendre ».

Invitation à la Seyne-sur-mer
Avec Gérard Meys en tournée

Quant à moi, c’est dans les années 60 que je la rencontre pour la première fois. En 65 exactement, lors de la tournée que je ferai en tant que journaliste, où elle partage la vedette avec Adamo. Je la retrouverai plus tard sur les tournées Âge tendre où des liens d’amitié se noueront entre elle, Gérard Meys, son mari et producteur, producteur également d’un certain Jean Ferrat, et moi.
En 2010, je les inviterai à la Seyne-sur-Mer pour un hommage à Ferrat, chose qu’elle n’avait alors jamais faite. Sur le thème « Les écrivains et la chanson », ils seront entourés par mon autre amie Alice Dona, venue rendre hommage à Gilbert Bécaud, Claude Lemesle avec qui les deux chanteuses ont chanté des chansons de cet auteur-compositeur, orchestrées par Jean-Claude Petit.
Ce furent des journées de ferveur, d’amour, d’amitié et aussi de beaucoup de rires.
Au départ, Gérard m’avait demandé à ce qu’elle ne chante pas. Mais Isabelle, ayant tout prévu, avait apporté une bande sur laquelle elle chanta et nous offrit en prime un poème « Sur le boulevard Aragon ».
C’est grâce à Gérard que je pus rencontrer Jean Ferrat pour la sortie de son disque « Dans la jungle et dans le zoo », qui nous reçut  chez lui à Antraigues où j’ai moi aussi ma maison de famille à quatre kilomètres de chez lui.
Mais, revenons à Isabelle avec qui j’avais fait une longue interview durant les tournées « Âge Tendre », surpris de la retrouver entourée de ces artistes dits « Yéyé », loin de ce qu’elle défendait dans la chanson française.

Age Tendre avec Herbert Léonard
AgeTendre avec Bobby Solo
Age Tendre avec Michel Orso

Elle se mit à rire : « Mais figure-toi qu’à cette époque, je gagnais l’Eurovision en 62,  je rencontrais Ferrat » qui m’offrit « Deux enfants au soleil » puis plus tard « C’est beau la vie » ! En 63 je faisais l’Olympia avec Jacques Brel, en 65 je partais en tournée avec Adamo et j’ai même raté un film : « Les parapluies de Cherbourg » que me proposait Jacques Demy, à cause de mon accident. Et j’ai toujours eu quelque chose qui me bouleverse encore : l’affection et la fidélité du public ».
On a pu le voir lors de ces tournées où elle arrivait sur scène après que Jean Ferrat lui-même, qui avait enregistré un petit clip, la présentait. Et après son tour, sept mille personnes l’acclamaient debout.
Isabelle, deux rencontres ont compté plus que les autres : Brel et Ferrat…
C’est Brel qui m’a choisie alors que je ne le connaissais pas. Il devait partir en tournée avec Michèle Arnaud et il a dit au producteur : « C’est la petite que je veux ». Je croyais rêver. Grâce à cette rencontre, nous sommes devenus amis, je l’ai beaucoup chanté, je lui ai même consacré un disque. Autre jolie histoire : Lorsque j’ai eu mon accident, j’étais explosée de partout, il est venu me voir à l’hôpital et a dit à mon entourage : « Je lui donne « La Fanette »
Puis vient la rencontre avec Jean Ferrat, que tu as toujours appelé Tonton !
Gérard Meys est un jour venu me voir pour me proposer une chanson de Ferrat. C’était « Deux enfants au soleil » qu’il chantait lui-même. J’allais faire l’Eurovision et je lui ai dit : « On en parle après ». J’ai gagné l’Eurovision, on en a parlé, j’ai enregistré « Deux enfants au soleil » sur le même album que « Un premier amour »… Et elle est restée 27 semaines en tête des hitparades ! De ce jour, une amitié indéfectible est née. Tonton a écrit de magnifiques choses sur moi qui m’ont fait pleurer de joie. Il savait toujours choisir le mot qu’il fallait en toutes circonstances, lui qui était si pudique.


Parle-moi de ta première rencontre.
Lors de l’enregistrement de « Deux enfants au soleil », il passe dans le studio, me fait un petit signe mais, aussi timides l’un que l’autre, ça en reste là. Je pars en tournée avec Brel, j’ai mon accident et Jean n’ose pas venir me voir. Lorsque je recommence à marcher, je me rends compte à quel point c’est beau la vie. Ça donne l’idée à Michèle Senlis, qui avait déjà signe « Deux enfants au soleil » de faire une chanson et qui me propose la chanson « C’est beau la vie » en me faisant écouter la version de Jean à la guitare. Dans la foulée nous l’avons enregistrée tous les deux ainsi que « Nuit et brouillard », chanson polémique qui fut interdite d’antenne, surtout venant d’une femme qui venait de gagner l’Eurovision ! Mais on connait le succès et l’impact qu’a pu avoir cette chanson par la suite et de là est née notre amitié. J’ai enregistré quelque 80 chansons signées Ferrat.

Hommage à Ferrat

Dans la foulée, tu rencontres Aragon…
C’était après mon accident. Il m’avait invité à son anniversaire. J’étais très émue et honorée et lors de cette rencontre, il me propose de lire un de ses poèmes « Aimer à perdre la raison ». De ce jour des liens se sont créée et je ne me suis pas privée de le chanter grâce à Tonton. Je te précise que j’ai lu toute son œuvre, dont son dernier poème « L’épilogue ». C’est tellement fort et déchirant que Jean a mis trois ans pour le mettre en musique. « J’ai l’impression de lire son testament, plus jamais de ne mettrai l’un de ses poèmes en musique », m’avait-il dit.
Isabelle, difficile de ne pas parler de son Ardèche, qui est la mienne et qui est devenue la tienne.
C’est le directeur de la Maison de la Culture de Nice, Gabriel Monet, qui parle à Jean d’Antraigues où il a de la famille. Il cherchait un coin tranquille pour se reposer de ses quelque 250 galas, et surtout pas sur la Côte d’Azur. Gabriel l’y emmène et c’est le coup de foudre. Il appelle alors Gérard Meys et lui dit : « Il y a deux maisons à vendre, la belle est pour moi, l’autre est pour toi ! » Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés là-bas. Nous avions envie de le rejoindre, d’habiter pas loin de lui… mais assez loin au cas où nous nous serions fâchés ! Nous sommes à notre tour tombés amoureux de cette belle région.

Première dédicace
Première rencontre en tournée avec Adamo

Et il s’est totalement investi dans celle-ci.
Oui et ce qui est beau, c’est qu’il ne s’est pas considéré à Antraigues comme une vedette. D’ailleurs un jour, un habitant m’a dit : « Ce n’est pas un artiste mais un homme qui chante ». Il a été heureux dans ce village… »
Isabelle m’avoue qu’aujourd’hui elle a du mal à y retourner sans pouvoir y retrouver Tonton.
Elle y a fait quelques incursions pour lui rendre hommage lors de sa disparition où elle a chanté au milieu de milliers d’admirateurs qui pleuraient. Puis elle y venait fêter ses 86 ans
Elle qui fut une gymnaste avant son terrible accident puis qui en eut un second en pratiquant le trapèze, s’est payé pour la seconde fois un saut en parachute !
« Allez, allez la vie », elle est si belle et en même temps « on ne voit pas le temps passer » !
Je t’embrasse Isabelle.
Jacques Brachet
Photos Christian Servandier

Age Tendre avec Georges Chelon et Stone
A la Seyne-sur-Mer avec Alice Dona

Christine MANGANARO, femme de musique et de passion

Cela fait 30 ans que nous nous connaissons.
Nous avons été voisins, nous promenions notre chien ensemble (Ça crée des liens !) puis en tant que journaliste j’ai suivi ses pérégrination musicales, un coup chanteuse, un coup responsable communication.
Elle a une pêche, une énergie folles, elle est belle et elle a une voix exceptionnelle, qu’elle chante Croisille ou Sanson, Scorpions ou Percy Sledge, France Gall ou Aretha Franklin, Amy Winehouse ou Santa… Et j’en passe.
Elle a une tessiture et une puissance incroyables dans la voix.
Elle était ces jours-ci en concert à la crêperie le Saint-Malo à Six-Fours où elle a fait le plein.
Une occasion de se retrouver et faire un portrait de cette femme qui aurait pu faire une belle carrière mais que ça n’intéressait pas particulièrement car sa vie c’est chanter donner et se donner du plaisir.

« La chanson… Comment ça a commencé ?
Très tôt. En fait, ça a commencé par la musique grâce à un papa mélomane qui touchait à n’importe quel instrument, petite j’ai bien sûr hérité de ça, dans la famille on adore chanter, danser… J’ai baigné dans cet esprit festif et musical et puis un jour, j’ai vu quelqu’un jouer de l’orgue Hammond comme Rhoda Scott, j’ai eu envie de jouer de cet instrument et ça m’a beaucoup plu. J’ai appris à en jouer sans faire de solfège, tout d’oreille et j’ai commencé à composer des chansons et à chanter mes textes. J’avais 12/13 ans et dans les fêtes de famille il fallait que je chante !
Mais bon, ça n’allait pas encore très loin ?
Un ami de la famille, qui était chanteur professionnel m’a écouté et m’a conseillé d’aller plus loin. Il m’a prise avec lui dans des spectacle et c’est comme ça que j’ai démarré « officiellement ».
Vers 16 ans je devais payer mes études, j’ai cherché un job au pub Saint-Michel à Paris, à côté de Notre-Dame. C’était un café-concert  à l’époque – on était en 85 – et les musiciens alors tournaient de cafés concert en cafés concert jouaient dix morceaux et changeaient de lieu, se faisaient rémunérer au chapeau.
Et toi dans ces lieux ?
Dans l’un deux j’étais serveuse, il y avait un pianiste et une chanteuse que j’admirais, je suis allée les voir, leur ai demandé si je pouvais chanter quelque chose. J’ai chanté du Véronique Sanson et j’ai commencé comme ça.  Les patrons qui m’ont entendue, m’ont proposé de chanter un quart d’heure chaque soir. A l’étage il y avait une brasserie et les gens descendaient pensant que c’était Véronique Sanson !

Et alors ?
Ça m’a donné de l’assurance, j’ai commencé à faire la tournée des piano bars, j’animais des karaokés et je prenais un plaisir énorme à chanter, à partager. J’ai toujours chanté pour le public, jamais en me regardant le nombril ou à me prendre pour une diva ! Je donne autant que je reçois, je reçois autant que je donne. C’est pour ça que je chante, c’est la communion du cœur.
Tu étais donc parisienne… Ça te gène, ça te gène ??
(Elle rit) Non mais je n’aimais pas la vie parisienne. J’étais mariée à un policier qui s’est fait muter dans le Sud à ma demande car j’en avais marre de Paris. J’étais alors journaliste à Paris pour le Parisien mais lorsque j’ai eu ma fille j’ai eu envie de quitter la capitale
Et te voilà à Six-Fours ! 
Oui. J’étais OK pour arrêter un temps le journalisme… mais pas la chanson.
J’ai écumé les petites annonces pour trouver un groupe et je suis tombée sur l’orchestre Eclipse, j’ai découvert ce qu’était le baloche et j’ai adoré. Nous étions une douzaine sur scène. Puis je suis passée chez Albert Jean où, avec l’autre chanteuse, on se changeait 17 fois dans la soirée ! Ça a été une très bonne école. J’ai rencontré le chanteur américain à la voix d’or, Rudy Wilburn, avec qui j’ai travaillé 5/6 ans avec lui et c’est ce qui m’a fait me lancer dans le r’n’b, la soul et ça, c’était ma tasse de thé.
Avec tout ça, n’as-tu jamais voulu te lancer dans une carrière de chanteuse ?
Non, parce que j’avais trouvé un métier de journaliste car entretemps j’étais entrée à RTL, j’ai travaillé pour France 3 et ce métier me passionnait. Je n’avais pas envie de le sacrifier pour une aléatoire carrière de chanteuse. Je ne voulais pas que ça devienne mon gagne-pain mais que ça reste une passion. Je n’avais pas envie d’avoir ce rapport à la musique, à l’argent. Ceci dit, aujourd’hui je viens d’avoir un bousculement dans ma vie et je me demande si je ne vais pas devenir intermittente. C’est peut-être fou mais je crois que c’est ce que je vais faire… Et je ne sais pas si je ne vais pas tenter le concours de « The Voice » !!! Je n’ai pas encore lancé ma carrière de chanteuse !

Tu composes et écrit des chansons ?
Oui, tu parles d’une autre vie. J’étais adolescente et je chantais « Je t’aime, je t’aimerai toute ma vie »… Tu vois, ça n’allait pas loin. Autant je suis une musicienne vocale, j’ai une très bonne oreille mais je ne suis pas une technicienne, je ne joue pas d’instrument de musique.
Mais aujourd’hui je suis en espèce d’état d’urgence et je veux prendre tout ce qui passe.
Tu as aussi été attachée de presse…
Oui, c’est un peu la logique de mon métier de journaliste. Lorsque j’étais à France 3, j’avais été repérée par le Président Bessudo de la Chambre de Commerce qui voyait que j’étais une journaliste qui posait des questions un peu sensées (même si ça peut paraître prétentieux !) J’étais alors la plus jeune journaliste titularisée à 19 ans lorsque j’ai démarré. J’ai appris mon métier avec de vrais grands journalistes. J’ai gardé un amour pour ce métier.
C’est donc le président Bessudo qui m’a proposé d’être attachée de presse. Étant des deux bords, je connais les attentes des journalistes et ça m’a beaucoup servi.
Aujourd’hui le métier de la presse a beaucoup changé hélas.
Tu as travaillé sur le festival de jazz à Toulon et aujourd’hui te voilà à celui de la Londe…
Pour la Londe, l’organisateur Christophe Dal Sasso avait entendu parler de moi par un ami commun avec qui j’avais collaboré chez Tandem. Le festival a 15 ans, il fait des choses étonnantes avec beaucoup de bénévoles, de petits moyens avec de grandes ambitions. Le festival est aujourd’hui à la fois professionnel et ambitieux. Ça a été ma première et une belle aventure humaine où tout le monde s’investit à fond et j’espère que ça va continuer ».

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon


Antraigues – La Maison Ferrat… En souvenir

La maison d’Antraigues, j’ai eu la chance d’y être invité par Jean Ferrat lui-même en 79, grâce à Gérard Meys, son producteur et compagnon d’Isabelle Aubret, qui sont des amis de longue date.
En 1991 sortant son album « Dans la jungle et dans le zoo » il ne voulait faire qu’une télévision : celle de Michel Drucker et que trois médias : le Dauphiné, la Montagne et… Evasion Mag car il avait appris par Gérard que j’étais mi-ardéchois, mi-varois. C’est ainsi que nous passâmes la journée à écouter chacune des chansons de ce nouveau disque  dont il nous expliquait la naissance et que tout se termina par un repas à la Remise. Inutile de dire la joie que nous avons eue de partager ce moment avec cet immense artiste.
Une fois disparu, je continuais à venir voir Colette, sa femme, avec qui je fis un reportage lorsqu’elle ouvrit ce lieu qu’est la Maison Ferrat, en souvenir de lui.
D’année en année, j’ai continué à venir saluer Colette qui s’affaiblissait, jusqu’à ce 9 mai où elle a rejoint son homme, à l’âge de 88 ans.
Il y a longtemps que je n’étais plus entré dans ce lieu du souvenir, cette année, je m’y décidai et c’est avec un merveilleux sourire que m’y accueillit Anja Wissman, chargée de mission dans ce qui n’est pas un musée mais où des centaines de gens font la queue pour retrouver avec nostalgie, le poète-chanteur qui nous a offert tant de belles chansons.

Coralie Nicolas à l’accueil
avec Anja Wissman
Sa bibliothèque, ses livres, sa guitare...

« Anja, quel est votre rôle dans cette maison ?
Je suis chargée de mission depuis une dizaine d’années mais le lieu est géré par une association, la directrice étant Valérie, la nièce de Colette qu’elle a élevée comme sa fille. La Maison Ferrat existe depuis le 13 mai 2013. On a d’ailleurs fêté ses dix ans l’an dernier.
Expliquez-moi ce qui s’y passe…
Lorsque Colette a créé cette maison, c’était pour offrir un lieu vivant qui ne soit pas seulement un musée statique mais pour qu’il s’y passe des choses. Durant ces années, nous avons accueilli des concerts, proposé des expositions dont celles de Pignon Ernest Pignon qui nous a offert ce magnifique portrait de Jean Ferrat, on a organisé des conférences, nombre de soirées sur la place, des projections, tous les ans nous organisons le Printemps des Poètes. Quant à l’exposition consacrée à Ferrat, on essaie de la renouveler, de ne pas toujours montrer la même chose, nous accueillons de jeunes artistes de l’Ardèche, des expos temporaires en été.
Et il y a  ce festival Jean Ferrat qui vient d’avoir lieu du 17 au 21 juillet
Ce festival a été créé avant la Maison Ferrat en 2011. Au départ c’était la Mairie qui avait initié ce festival puis une association a pris le relais pour le faire perdurer.
Ce sont toujours des concerts autour de Ferrat ?
Au début c’était pour lui rendre hommage. Puis ça s’est élargi au niveau de la durée. D’une journée, nous sommes passés à quatre. Le fil rouge reste bien entendu Ferrat, son esprit, on reste fidèle à ses engagements, on y invite des artistes pas forcément de la chanson française classique, on s’est ouvert à d’autres styles de musiques, le rap, le slam, on a fait aussi un peu de rock mais le point commun au niveau de ces artistes c’est que ça reste 100% francophone ancré dans la personnalité et les idées de Ferrat.

le magnifique portrait dessiné par Ernest Pinon Ernest

Dans ce lieu je reconnais du mobilier que j’avais vu chez Jean…
Lorsqu’il est décédé, il y avait énormément de gens qui erraient dans le village à la recherche de sa maison et du coup, il y avait besoin d’un lieu et c’est pour cela que Colette a eu cette idée de cette place symbolique où on pouvait le voir jouer aux boules. Le lieu, qui était un bar-restaurant – où d’ailleurs Philippe Noiret et Jean-Louis Trintignant venaient lorsqu’ils tournaient le film de Robert Enrico « Le secret » (On le voit d’ailleurs dans le film) – était en vente. Et Colette y a installé des meubles, le piano, sa guitare…
La maison a-t-elle été vendue ?
Non, elle est toujours dans la famille.
Que faisait Jean de ses journées ?
Il continuait à écrire, il passait beaucoup de temps à répondre au courrier qu’il recevait, on a des archives incroyables. Pour lui, c’était important de garder ce contact avec son public, il jouait aux cartes, aux boules avec ses amis, il allait à la pêche.
Est-ce que des artistes connus sont venus jouer ?
Oui, justement nous avons accueilli Jean-Louis Trintignant avec un spectacle libertain, Daniel Auteuil, Arthur H, Francesca Solleville avec qui on a fêté ses 90 ans, son ami Ernest Pignon Ernest, qu’on a accueilli deux fois pour des expositions…

Vous disiez que ce lieu était un bar mais il fut aussi, je crois, un lieu historique ?
Oui, le comédien Gabriel Monnet, né au Cheylard, était un grand résistant, il a inauguré la Maison de la Culture de Bourges en montant une pièce de Pierre Halet « La provocation » sur l’incendie du Reichstag. Pierre Halet, connaissant Jean Ferrat, lui a demandé d’en écrire la musique. Gaby Monnet connaissant Alexandre Calder et Jean Saussac, qui était décorateur de théâtre, leur a demandé d’en faire les décors. Tout ce petit monde s’est donc retrouvé à Bourges puis à Antraigues et c’est grâce à eux que, tous installés dans le village, celui-ci a commencé à être connu artistiquement ».

Il est évident que Ferrat installé, le monde artistique s’est développé autour de lui et aujourd’hui, lorsque vous venez à Antraigues, prenez votre mal en patience pour trouver une place pour vous garer. Mais, armé decourage, vous ne regretterez pas de découvrir la Maison Ferrat mais aussi ce petit village ardéchois tellement beau et vous pourrez vous rendre compte que Ferrat avait raison de dire que la montagne était belle !

Jacques Brachet
La Maison Ferrat – Place de la Résistance – Antraigues sur Volane – 04 75 94 73 49

Pierre-Louis CHIPON… Un bestiaire de fer !

Vous prenez le col tortueux de l’Escrinet et tout à coup, une pancarte on ne peut plus discrète : « Sculpteur ». On descend un petit sentier pierreux et l’on tombe sur une vieille bergerie d’où l’on a une vue incroyable.
Avant d’entrer, on entend des bruits de marteau et l’on se retrouve dans un immense lieu fait de bric et de broc, de ferrailles et de vieux objets rouillés. Et à genoux, un homme masqué soude dans un bruit d’enfer et d’explosions d’étincelles.
Jean-Louis Chipon est en train de s’occuper d’une chèvre couchée sur le flanc.
Car ce monsieur au regard bleu et au sourire avenant, crée des sculptures en fer dans la solitude de ce lieu envahi de fer.
Des animaux, beaucoup d’animaux, chèvres, moutons, poules, coqs, béliers et quelquefois un humain pour tenir compagnie à son cheptel.
Cet homme solitaire et talentueux, à l’imagination débordante, nous consacre un moment pour parler de son œuvre originale qui a envahi ronds-points, collines, jardins.

Pierre-Louis, parlez-nous de la genèse de cette passion et de cet art
Ce n’est pas mon métier au départ. J’étais agriculteur et éleveur de chèvres dans ce lieu même et là où l’on est c’était le bâtiment des chèvres !
C’est en 1986 que je m’installe en Ardèche et en 2000 j’arrête l’élevage de chèvres pour ne faire que de la sculpture.
Comment est venue cette passion ?
J’ai commencé à sculpter en m’occupant des chèvres. J’ai d’abord fait une chèvre que j’ai installée sur le piton au-dessus-de la route. Les gens ont vu la chèvre, ils en ont parlé, ils venaient acheter mes fromages et petit à petit, pour m’acheter des sculptures. Du coup, cette activité a grandi jusqu’à ce que j’arrête l’élevage.
Difficile de faire les deux à la fois !
Au départ c’est ce que je faisais, ça m’allait bien, c’était complémentaire. L’élevage m’obligeait à rester sur place, avec les animaux, je ne pouvais pas me déplacer et j’avais du temps libre. Mais à un moment, il a fallu choisir car mon activité de sculpteur était devenue plus importante que l’élevage. C’est le centre des impôts qui m’a obligé de choisir entre le statut d’agriculteur ou celui d’artiste. Deux statuts, c’était compliqué. Sans compter que l’élevage ne me permettait pas de me déplacer, de faire des expos.

Vous m’avez dit vous être installé en Ardèche. Alors, d’où venez-vous ?
Je suis de Bourgoin-Jallieu en Isère. Quand on connait Bourgoin, on n’a pas envie d’y rester. J’y ai vécu ma jeunesse mais je détestais cet endroit. C’était alors un endroit froid, peut-être aujourd’hui ça l’était beaucoup moins. C’était pluie et brouillard tout le temps, on ne voyait jamais le ciel bleu comme ici. Sans compter que l’autoroute Lyon-Grenoble a été construite juste à côté de notre maison et traverse la ville.
J’ai été au lycée agricole où j’ai rencontré un copain ardéchois qui m’a fait connaître cette région pour faire de la randonnée à vélo et là, coup de foudre.
A ma première visite, nous avons fait le col de l’Escrinet où nous avons dormi au hameau au-dessus. Le hasard a fait que j’ai trouvé une ferme à cet endroit.
Alors, cette sculpture particulière vous est venue comment ?
Par hasard. J’avais besoin d’un poste à souder pour fabriquer et réparer mon matériel. Je n’étais pas doué pour faire des choses techniques car je n’ai pas le compas dans l’œil. J’ai trouvé plus sympa de créer des sculptures. Et ma première chèvre a été la chèvre de l’Escrinet que j’ai mis sur le rocher en 1986. A l’époque c’était chez moi et c’était surtout pour faire la publicité pour mes fromages. En 92, une allemande qui venait d’acheter un mas m’a proposé de m’acheter la chèvre. Elle l’a emmené et ça a fait un pataquès auquel je ne m’attendais pas du tout : la chèvre a disparu, on a volé la chèvre… les infos en ont parlé, France 3 s’y est mis et il y a même eu un article dans le Monde !
Ca a bien sûr beaucoup fait parler de moi, on m’a réclamé une autre chèvre, et mon activité de sculpture a beaucoup augmenté à partir de 92.
Et du coup la ferraille a envahi votre lieu !
Je ne suis pas toujours obligé d’aller la chercher. Chez les fermiers il y a beaucoup de ferraille qui s’entasse et du coup les gens me l’amènent. Il y a des moments où je commence à en avoir trop car tout ne m’intéresse pas. J’achète aussi dans les vides greniers.

Cette ferraille, est-ce elle qui vous donne l’idée d’une sculpture ou avez-vous déjà l’idée de ce que vous voulez faire ?
C’est variable, il n’y a pas de règle, globalement c’est plutôt moi qui ai une idée et qui cherche ce que je vais utiliser. Mais certaines formes me donnent des idées. Ce sont les socs de charrue qui m’ont donné l’idée d’en faire des ailes de rapace.
On trouve beaucoup de vos œuvres sur les ronds-points. Vous travaillez avec qui pour les installer ?
Pour les chèvres ce sont celles qui symbolisent le fameux fromage Picodon.
Et tout ça a été organisé par le syndicat du Picodon qui gère cette appellation et qui est financé par l’Europe. Il a de gros moyens de promotion même s’il ne peut pas faire de publicité. Il a fallu trouver ce système de créer la route du Picodon. C’est ainsi que mes chèvres symbolisent ce fromage sur l’Ardèche et la Drome. Il y a donc nombre de chèvres sur les ronds-points de la région.
Et En dehors de ces commandes ?
Beaucoup de particuliers m’en achètent. Il y a moitié de particuliers, moitié d’organismes. Les particuliers sont des gens de la Drome et de l’Ardèche, qui ont des terrains où installer ces sculptures. Beaucoup de communes et de départements m’en achètent. J’ai aussi fait la route de la Clairette de Die dans la Drome.

Vous travaillez tout seul ?
Oui, toujours tout seul. Je suis incapable de travailler avec quelqu’un. La solitude ne me pèse pas, j’ai besoin de travailler à mon rythme. J’ai essayé quelquefois mais lorsqu’il y a quelqu’un près de moi, ça me perturbe, ça crée des interférences qui me gênent. Je travaille en toute liberté.
Du coup, vous ne passerez pas le flambeau à quelqu’un d’autre ?
Non. On m’a déjà demandé mais ce n’est pas mon truc. Après, je ne suis pas un solitaire, j’ai d’autres activités de loisirs, je sors souvent d’ici, rassurez-vous !


Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Monique Scaletta et propriété du sculpteur
Pierre-Louis Chipon – Col de l’Escrinet
06 30 04 39 69 – chiponpierrelouis@gmail.com

Alexandre THIBAULT
entre Ramatuelle et Vaison-la-Romaine

Dans la famille Thibault, donnez-moi le père : Jean-Marc, magnifique comédien et véritable ami, amitié qui a duré jusqu’à sa disparition. Et puis il y a sa femme, Sophie Agacinski, qui fut une belle comédienne qui gagna ses galons de « vedette » avec la série « Seule à Paris »
Et puis est arrivé Alexandre et si Jean-Marc a continué une belle carrière, Sophie, elle, a préféré s’occuper de son « petit » qui, devenu grand, a suivi le chemin de ses parents.
Il démarre avec son père dans la série « Maguy » en 90, en 92 il entre dans « Une famille formidable », ce qui sera pour lui un grand tournant, et en 95, il retrouve son père pour la série « Terre indigo » auprès de Francis Huster, Christiana Réali, Xavier Deluc, Mireille Darc, Marie-José Nat entre autres.
Et c’est à cette occasion que je fais connaissance avec « le petit »… Malgré notre différence d’âge, nous devenons amis  et je le suivrai dans ses pérégrinations télévisées, de « Julie Lescauit à « Demain nous appartient » en passant par « Sous le soleil », « Les Cordier », « Une femme d’honneur », « Navarro », « Commissaire Moulin » et bien d’autres séries auxquelles il a participé.

Thibault père & fils
En famille avec Mei Chen Chalais, Annie Cordy, papa & maman

Ces jours-ci il vient de tourner entre la Seyne et Sanary dans cette série varoise qu’est « Tom et Lola » après avoir fait une apparition dans « Meurtres sur la côt bleue » à Carry le Rouet, deux séries qu’on verra à la rentrée.
Mais aujourd’hui, le voici toujours dans le Midi, entre Ramatuelle et Vaison-la-Romaine où il dirige deux festivals intitulés « Drôle d’été – Comedy Club » où il reçoit le nec plus ultra de l’humour.
A Ramatuelle, cela se passe durant les deux mois d’été au VLL, centre Léo Lagrange avec une formule assez originale : A chaque spectacle, 50 à 60 invités profitent d’un buffet à 19h30 avant le spectacle. Le repas coûte 27 Euros et le spectacle est gratuit. Inutile de dire que les gens se précipitent pour découvrir les humoristes de demain et applaudir des pointures comme Gil Alma, Sandrine Alexi, Titoff…

Idem pour Vaison-la-Romaine, au Hameau des Oliviers et du coup notre Alex court d’un lieu à l’autre pour recevoir les artistes !
Quand je lui dis en riant qu’il va garder la ligne, lui qui va vers ses 60 ans, même s’il ne les fait pas, il me répond qu’il tourne en rond lorsqu’il ne tourne pas ou qu’il n’organise pas ses deux festivals.
Il a repris ce festival à Ramatuelle cette année et il fallait le faire face au festival créé par Jean-Claude Brialy ! Les Gipsy Kings sont même venus à leurs débuts et ils y ont dormi. Ils essayaient alors de se faire connaître dans le golfe de Saint-Tropez… Et ça a marché !
« Le festival existe depuis pas mal de temps – me confie-t-il – et même Jean-Claude Brialy est venu y présenter son festival
C’est vrai qu’il y a de la place pour tout le monde et que ce genre de festival est un tremplin pour les jeunes humoristes.
Alors qu’il se destinait à la photographie, il n’a jamais regretté de devenir, comme son père un comédien émérite.
La Famille Thibault, à l’instar de la famille Gélin, ou la famille Brasseur, deviendrait-elle héréditaire ?
L’avenir nous le dira.

Une famille formidable
Demain nous appartient
Tom et Lola

Jacques Brachet

Six-Fous – Villa Simone
Nicolas FOLMER… En hommage à Michel Legrand


Nicolas Folmer est un musicien de jazz reconnu, trompettiste, pianiste et chanteur… entre autres et « La Vague classique » a eu l’excellente idée de l’inviter pour une soirée dans ce cadre superbe qu’est la Villa Simone. Concert intitulé « Michel Legrand Story », qui sera toute la soirée accompagné du chant des cigales !
Accompagné de trois pointures, Tony Sgro, basse, Luc Fenoli, Guitare, Jérôme Achet, batterie, il nous a offert un Michel Legrand revu et corrigé où l’on reconnait toujours la pâte du compositeur, même dans la voix de Nicolas, plus basse mais dont les intonations sont similaires.
Des « Demoiselles de Rochefort » aux « Dons Juans » de Nougaro, en passant par des chansons moins connues comme « Les enfants qui pleurent » « How do you keep the music play », « Quand ça balance » ou « La belle au bois dormant » du même Nougaro, ou encore « Les moulins de mon cœur » joué en accéléré, ce ne sont que des envolée jazzy menées par quatre virtuoses, Nicolas, lui, passant du piano à la trompette, de la trompette à la voix lorsque ce n’est pas les trois à la fois !
Et comme bouquet final, « Un été 42 » joué en duo à la trompette avec Luc Fenoli… Un moment de grâce
Du grand, du beau jazz, à la fois maîtrisé et d’une grande originalité.
Quelle belle soirée !
Dans l’après-midi Nicolas Folmer m’accordait un moment d’entretien, moment magique avec un musicien hors pair à la carrière foisonnante.

Luc Fenoli
Tony Sgro
Jérôme Achat

« Nicolas, par quoi tout a commencé : musique ? Jazz ?
J’ai débuté dans un grand orchestre de jazz… J’avais 11 ans !
Ça a été formateur car j’étais avec des gens qui étaient plus âgés que moi. Ça a aussi été une aventure humaine qui a révélé chez moi l’envie de connaître et aimer cette musique.
Vous étiez une famille de musiciens ?
Pas spécialement mais mes parents m’emmenaient aux concerts et je m’y suis intéressé. Quant à ce jazz band dans lequel j’ai commencé à jouer, il m’a ouvert les oreilles ! J’ai commencé à jouer avec des copains et tout est parti de là.
Par la suite avez-vous fait des études musicales ?
Oui, j’ai fait le Conservatoire de Paris où j’ai étudié la trompette et la composition où j’ai plus tard enseigné de 2013 à 2016. Sorti de là j’ai eu  un prix de perfectionnement au conservatoire, classique et jazz et tout de suite après j’ai commencé à jouer.
Du jazz seulement ?
J’ai fait un peu de classique mais c’était surtout la musique de jazz et « ses cousines » comme la musique latine où j’ai beaucoup joué avec des musiciens latino-américains, ce qui a beaucoup complété la formation de jazz que je suivais.
Vous avez travaillé avec beaucoup de grands musiciens comme Manu Katché, Herbie Hancock, Richard Galliano, André Ceccarelli… Michel Legrand, c’est arrivé comment ?
Il m’a u jour appelé pour remplacer au pied levé un musicien de son orchestre. Il avait entendu parler de moi. La rencontre s’est très bien passée, on a eu un flash spontané. Dès le premier soir, on a eu du plaisir à jouer ensemble et on a eu l’idée de faire un disque. C’est ainsi qu’est né notre premier album ensemble. C’était en 2009. Après ça, il m’a invité à nouveau dans son orchestre.
Il est décédé en 2020 et en 2022 j’ai fait un album-hommage un peu différent du premier puisqu’il n’était plus là, avec une relecture de ses musiques, différentes de ce qu’on avait fait ensemble.

Vous connaissiez bien sa musique ?
Oui mais surtout ses musiques de films. Lorsqu’on a enregistré ensemble, je venais d’avoir les Victoires de la Musique et j’avais envie de faire un disque de standards mais pas de standards de Broadway car tout le monde le faisait et au moment où je commençais à réfléchir aux musiques que je voulais enregistrer, au moment où je me posais ces questions-là, Michel m’appelle et je me rends compte qu’il a fait de nombreux standards français. Lui était heureux que des musiciens plus jeunes reprennent ses musiques, avec tout le côté improvisations virtuoses qu’il y a dans le jazz. C’est comme ça que ça s’est fait.
Et pour ce second album hommage, le choix des musiques c’est fait comment ?
Dans ce disque, je chante aussi, ce que je ne faisais pas dans le premier opus et il y a à la fois le côté cinéma et chanson, et jazz bien sûr. Il y a un orchestre à cordes, un big band. Je venais de faire un hommage à Miles Davis et, sur le même principe, je croise son univers avec le mien, je ne rejoue pas sa musique texto mais je fais une relecture personnelle en mélangeant nos deux univers. Par contre, j’ai beaucoup tenu compte des beaux textes des chansons, en français, en anglais, notamment du couple Bergman avec qui il a beaucoup travaillé, des chansons de Nougaro dont les paroles sont magnifiques, ce qui rajoute une émotion.

Vous êtes trompettiste et pianiste, chanteur, compositeur, arrangeur, accompagnateur, chef d’orchestre … Que n’avez-vous pas fait ?
(Il rit) Oh, j’ai fait beaucoup de choses, c’est vrai. J’ai aussi travaillé avec des chanteurs comme Diana Krall, Nana Mouskouri, Henri Salvador, Nathalie Cole, Dee Dee Bridgwater, Claude Nougaro, Charles Aznavour… J’ai tourné avec Dee Dee Bridgewater pendant trois ans dans le monde entier, avec André Ceccarelli d’ailleurs. Une magnifique expérience. J’ai fait un album avec Nana Mouskouri. Elle avait fait un album avec Quincy Jones dans les années 60 et elle a voulu refaire un album avec des musiciens de jazz dans le même esprit.
Ces artistes, c’est vous qui allez les chercher ?
Non, en général ce sont eux qui me choisissent et mon travail est divers, Avec Nana j’étais invité comme soliste, avec Aznavour, c’est Yvan Cassar qui avait fait appel à moi, J’ai retravaillé avec lui pour Nougaro. J’étais plus dans le jazz que dans la variété mais souvent les chanteurs aiment « s’encanailler » avec des musiciens de jazz ! J’ai aussi fait des séances pour Laszlo Schiffrin, Nathalie Cole. C’est vrai, je faisais le job mais ce n’est pas ce qui m’éclatait le plus.
Qu’est-ce qui vous éclatait le plus ?
Ce que je voulais, c’était affirmer une pâte sonore personnalisée. Ce qui m’intéresse, c’est de participer en un morceau en  tant que soliste, d’emmener une improvisation qui va transcender ce morceau. C’est ce qui me plaît vraiment.
Vous êtes également compositeur. Pour qui avez-vous écrit ?
Pour moi d’abord ! J’ai sorti vingt albums personnels, mais j’ai fait pas mal de musiques pour l’image, des pubs, des séries pour Netflix, HPO. J’ai écrit des musiques pour des orchestres, notamment un big band que j’ai dirigé pendant treize ans avec un saxophoniste nommé Pierre Bertand avec qui on a fait dix albums. Le batteur était… André Ceccarelli.
Vous faites donc une carrière internationale !
Oui, même si je me suis un peu calmé. Je vis à Toulon depuis sept ans, j’ai vécu à Paris vingt et quelques années. Et je ne regrette pas d’être venu ici ! »


Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon & Kylian Markowiak


Chateauvallon : Jacques BONNAFFE, un comédien singulier, un homme passionnant

Un homme sorti de n’importe où, surgissant du toit d’un bâtiment qui, tout en soliloquant, va errer dans les bois entre le public assis par terre et une voiture à moitié enterrée. Est-ce un clochard ? Un fou ? Un extra-terrestre ? Un naufragé ?
En tout cas, un homme solitaire, qui erre depuis on ne sait combien de temps, qui, tout en déambulant, quelquefois dos au public, se parle à lui-même sur son rapport avec la nature, avec la solitude, de la peur, du bonheur.
Ce seul en scène qui n’est pas des plus faciles, est signé Clémence Kazémi et Marco Giusti, mené par l’incroyable Jacques Bonnaffé, un comédien hors norme, tous trois nous ayant déjà donné « Léviathan » à Chateauvallon.
Dans ce lieu perdu au-dessus de Chateauvallon où il faut grimper un chemin caillouteux, nous avons, avec le comédien, vécu un instant suspendu, même si, quelquefois, la voix du comédien se perdait dans la nature.
Jacques Bonnaffé a toujours été un comédien singulier qui a travaillé au cinéma avec des réalisateurs comme Godard, Tachella, Doillon, Rivette, Cornaud…
Au théâtre, il a joué Racine, Shakespeare, Gorky, Bourdet, Vinaver, Rimbaud…
Il s’est toujours partagé entre cinéma, théâtre, poésie et télévision… On est surpris par sa carrière incroyablement fourmillante, abondante, débordante.
Et l’on se retrouve devant un homme simple, humble, passionné et terriblement attachant.

« Jacques, parlez-nous de cette pièce quelque peu déroutante…
C’est d’abord une pièce créée sur place et c’est ce qui fait la particularité de Chateauvallon : On peut choisir un lieu et fabriquer notre histoire à partir des données du lieu. Il y avait un prémices avec un extrait de roman de l’anglais James Graham Ballard. Une espèce de roman fantastique où un homme, sorti de l’autoroute, se retrouve dans une sorte d’îlot dont il ne peut plus sortir. C’est un homme piégé, pour qui, tout à coup, tout s’est arrêté, un peu comme Robinson Crusoé. C’est le schéma pour un court spectacle de 45 minutes, particulièrement adapté au lieu. Je pourrais me présenter en tant que comédien ou danseur dont les gestes se font en fonction des pérégrinations, des déplacements… J’espère que ça ne vous paraît pas trop glauque…
(Rires) Particulier, disons. Et vous êtes seul dans ce décor naturel !
Je suis seul mais je ne me sens pas seul car il y a un travail de compositeur de sons très important. Aussi important que ce qui est raconté. Les gens suivent des yeux mon parcours et moi je suis un type perdu. C’est un spectacle, disons, panoramique où le public doit tourner la tête pour me suivre et passer dans un autre décor.
Un peu comme « Les choses de la vie » ; C’est un homme commotionné qui va continuer sa vie sur place. J’ai glissé quelques textes de poètes qui me sont revenus, de courts poèmes médiévaux qui ont une portée symbolique qu’on appelle « les congés » des trouvères de la ville d’Arras, textes d’adieu pour les amis, exprimant leur départ, leur congé. C’est une espèce d’adieu au monde. Et puis il y a des textes plus humoristiques comme « La soupe aux poireaux » de Duras, des citations de Verlaine…

Dans tout ce que vous faites, il y a toujours de la poésie…
Oui, c’est ma confrontation des auteurs avec leurs mots, pour s’interroger sur les langages qu’on utilise. On parle et on est parlé. Dans la poésie, j’adore qu’elle résonne de plusieurs sens, comme s’il y avait des tas de souvenirs dans les phrases. Le souvenir, c’est important dans la poésie. Je ne dis pas ça du tout par nostalgie, c’est plus le fait d’enrichir ce qu’on écoute en entendant derrière, d’autres choses. On sait la puissance de l’image et de la métaphore dans la poésie, il y a toujours un sens caché, il n’y a pas de message à proprement parler mais plusieurs polyphonies, plusieurs sens, plusieurs manières d’écouter
Vous aviez d’ailleurs une émission de poésie sur France Culture ?
Oui mais un jour ça s’est arrêté, pourtant c’était trois minutes et ça ne coûtait pas cher. Mais je rêve de la reprendre car cette émission me semblait indispensable. Ça manque de poésie en direct. Je fais aussi des lectures plusieurs fois par an. J’en prépare autour d’Ulysse avec le traducteur de « L’Odyssée », un long poème de 24 chants et de quelque 1250 vers… On l’a fait à Nice la veille du premier tour. On avait choisi cette date en fonction de l’ambiance joyeuse du moment !!! Bien sûr c’est le hasard. « L’Odyssée » se termine par : « Vous n’échapperez pas ce soir au massacre des prétendants »… On ne pouvait pas mieux être dans l’actualité. Ça serait bien que je revienne ici avec cette lecture.
L’année dernière vous étiez sur tous les fronts : la télé avec « Adieu Vinyle », le théâtre avec « L’Odyssée », le cinéma avec « En fanfare ». Comme Berling ou Huster, vous n’arrêtez jamais !
Vous savez le temps est long, il y a pas mal de temps que je bourlingue, je n’ai plus tout à fait 27 ans… Il y a eu des moments où je n’étais pas mécontent de faire toutes ces choses différentes… J’arrivais alors à le faire, maintenant c’est un peu différent, parfois plus difficile. Par exemple, le cinéma, j’ai dû passer quelquefois à côté car il y avait la poésie qui me prenait du temps. Mais c’est vrai que je continue. Je viens de tourner un George Sand, une série pour la rentrée de janvier sur France 2.

Qu’est-ce qui fait courir Jacques Bonnaffé ?
Demandez à Charles Berling, il vous répondra mieux que moi !  C’est vrai qu’aujourd’hui, et on le ressent plus que jamais, le plus important est d’avoir une vie normale malgré tout, plutôt que de vouloir éblouir avec ses faits de guerre. Vivre auprès des gens, ne pas vivre dans un milieu doré. Une partie de mon temps est constituée à moins m’éblouir, partager des moments avec des gens divers, pour ne pas dire des gens réels
Mais c’est une vie de passion quand même ?
Passion… Ça commence comme patachon !
C’est une peur de manquer ?
Oui… Je suis allé voir un docteur ! Je voulais savoir de quoi je voulais me protéger… Je suis en état de fuite quelquefois. Donc tout s’explique. C’est pour ça que je vous parle de la vie réelle. J’ai perdu des amis, j’étais alors un peu hors d’état, pas tant la tristesse qu’un truc qui déconne, le non-dit, l’oubli, le trou noir. J’avais besoin de parler avec ces disparus, du temps que j’avais oublié de passer avec eux. Quelquefois, on a peur que tous ces événements nous empêchent de vivre ce qu’on devrait vivre. Alors on en fait deux fois plus pour échapper aux tracas quotidiens. Je fais partie de ceux qui ont la bougeotte… « Je suis le vagabond, le marchant de bonheur … » Vous vous souvenez de cette chanson ?
Est-ce qu’il vous arrive de vous retourner sur cette carrière incroyable que vous avez ?
(Rires) Est-ce que j’ai des douleurs lombaires !  Oui, je suis heureux de tout ce que j’ai fait bien sûr. C’est un étrange sentiment… Il y a des comédiens qui gardent toutes leurs images, leurs affiches… J’en ai très peu chez moi, je n’ai pas de boîtes de photos, ni affichées aux murs, je me ballade avec de très bons souvenirs, j’aime bien gratter des carnets pour évoquer des histoires pour ajuster une certaine transmission, les différentes époques traversées, les gens qu’on a connus, des grands auteurs, des grands metteurs en scène que les jeunes générations ont tendance à oublier et on est là pour le leur rappeler, leur rappeler qu’ils ont fait avancer ces métiers. Mais il n’y a aucune nostalgie car j’ai constamment rencontré des gens en devenir, regardé ce qui se prépare et me donner envie de vivre demain. C’est beau la nostalgie, quand ce n’est passéiste, pas teinté de regrets, de demi-plaintes.
Il faudrait idéalement s’en passer… Et ne pas s’en passer ! Et on y arrive ! Et le voyage recommence !

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon


Françoise HARDY… Même sous la pluie…


Paris, hiver, fin des années 60.
Il fait froid.
On peut même dire qu’il gèle.
Une petite brise glaciale vient s’insinuer au travers de mon manteau.
Pour comble de bonheur, il pleut. Une de ces petites bruines parisiennes qui vous transperce jusqu’aux os. Le ciel, uniformément gris et bas, vient se confondre avec la Seine qui coule doucement, frileusement. Seule Notre- Dame a l’air de résister au temps maussade et hivernal, la tête dans les nuages. Elle en a vu d’autres. (Elle est encore loin du drame).
Et, si j’avais encore quelques doutes, je comprends pourquoi je n’ai pas tenu longtemps à Paris, pourquoi j’ai refusé d’y rester pour travailler !
Je traverse un pont. Lequel ? Je n’en sais rien.
Je suis fidèlement le plan que m’a donné Françoise Hardy.
Eh oui, je vais chez Françoise Hardy. Profitant de quelques journées parisiennes, j’ai pris contact avec la plus discrète de nos chanteuses afin de la rencontrer.
Très tôt, elle s’est éloignée de la scène et de ce fait, je n’ai jamais pu la rencontrer en province, sinon lors d’une folle journée au magasin Prisunic où elle est venue faire une animation. Pourquoi ? Elle ne veut plus s’en souvenir tant elle fut traumatisée par la folie des fans.
Alors, j’avais décidé que, si Françoise ne venait pas à moi, j’irais à elle.
Par l’intermédiaire d’une attachée de presse amie qui a fait l’entremetteuse, j’ai reçu une réponse positive.
Ça me réchauffe le cœur… et le corps qui commence à être transi !
Je prends une petite rue de l’île St Louis, calme, grise – mais en fait ici, tout est gris ! – longée d’anciennes et très belles maisons, très souvent transformées en hôtels particuliers. J’entre dans une cour pavée où l’on s’attendrait à voir se ruer une calèche. Je monte trois étages en colimaçon qui me font remonter le temps. Une porte sans nom : juste la tête d’un petit bonhomme dessiné en trois coups de crayon, sur un petit carton. C’est charmant.

1ère rencontre chez elle
2ème rencontre à Toulon en tournée

Je sonne.
Temps mort puis des pas. La porte s’ouvre sur une silhouette longiligne, reconnaissable entre toutes. Pantalon et pull noir, chemisier rosé. Je me présente :
« Vous êtes en avance d’un quart d’heure !« 
La phrase est jetée sans bonjour, sans méchanceté mais elle a tapé au but. C’est vrai que j’ai l’habitude, la qualité – le défaut, me dit ma femme ! – d’avoir tellement peur d’être en retard que je suis sempiternellement en avance. Après, selon les rendez-vous, j’attends l’heure. Mais j’ai une sainte horreur du retard, pour moi et pour les autres !
Là, vu le temps, j’avais pensé qu’à un quart d’heure près et m’attendant chez elle, Françoise n’y verrait pas d’inconvénient… Visiblement elle en voyait un !
Mais, le temps d’avoir grommelé cette phrase d’un air boudeur, un sourire – oh, très fugitif ! – s’esquisse sur ses lèvres pour me faire comprendre que, malgré tout, ça n’est pas un drame.
Tout de même, elle l’a dit et j’apprendrai très vite qu’elle est très directe et qu’elle peut être assassine !
Encore un escalier en colimaçon, tout moquetté.
Une douce chaleur m’envahit, qui fait du bien. Une musique, douce également, en sourdine, des lumières tamisées. Moquette noire, murs blancs immaculés, lampes oranges, meubles design en acier et cuir noir.
Une immense cheminée dans laquelle trône une chaîne hifi entourée de plein de disques.
Me voilà donc dans l’univers de Françoise. Un univers qui lui ressemble étrangement, à la fois sobre, mystérieux, racé, un peu froid mais plein de douceur. Tout y est si feutré qu’on a presque envie de parler bas.
Je découvre. Je me réchauffe.
Je me sens à la fois bien et un peu gêné de déranger la Belle au Bois Dormant.
Françoise, qui n’a plus parlé depuis sa petite phrase lapidaire, me demande, d’une voix aussi feutrée si j’aime.
J’aime. Je le luis dis. Oubliés le vent glacé, la pluie, le brouillard.
Elle me fait installer dans l’un des grands fauteuils noirs et, avant que je lui aie dit quoi que ce soit, elle pose un disque sur la platine. Dans un murmure elle m’invite à écouter des chansons qui feront partie de son prochain album.
Je suis quelque peu surpris car elle vient tout juste d’en sortir un :
« Dès qu’un disque est sorti, pour moi c’est terminé. Je pense au prochain même s’il ne sortira que dans un an ou plus. Je prends le temps de choisir les chansons, de les essayer, j’écris, je réécris, je cherche le style, la couleur que je vais lui donner.
Une année, ça passe vite. Il me faut encore chercher les orchestrations et donc, l’orchestrateur qui donnera la dernière touche et la couleur à l’album.
Je veux avoir tout mon temps pour ne pas me presser ni me tromper. Je sais en principe exactement où je veux aller… »
J’avoue que je découvre une Françoise Hardy différente de l’image que je m’en suis faite. Je la voyais quelque peu nonchalante et passive, faisant ce métier sans vraie passion, presque avec ennui. Je me rends compte alors que, ce qui l’ennuie c’est la promo, les télés, la scène et ce qui lui plaît, c’est d’écrire, de composer, de faire naître des chansons.

Troisième rencontre au Midem à Cannes

Et puis, je la croyais lointaine, inaccessible et la voilà qui me propose de m’installer à même la moquette avec elle et qui me confie ses idées, sa façon de voir le métier, d’y être sans vraiment y entrer, occupant une place à part dans ce show biz avec lequel elle prend beaucoup de recul.
Elle m’explique son horreur et son trac à se rendre malade chaque fois qu’il fallait monter sur scène dans des conditions quelquefois épouvantables : extérieurs, chaleur ou mauvais temps, chapiteaux pourris, sonos défectueuses, toilettes inexistantes et les kilomètres à avaler.
C’est vrai qu’à cette époque, rien n’est fait pour le confort de l’artiste. Aucun d’eux aujourd’hui n’accepterait de faire une tournée dans de telles situations. Les exigences sont loin d’être les mêmes… Très, très, très loin de là !
De tout cet inconfort elle a voulu se débarrasser pour avoir l’esprit libre, du temps devant elle.
Elle continue à faire des disques car c’est un besoin, une envie. La scène ? Terminé. La horde de fans ? Plus jamais.
Le « service après-vente », comme elle dit, elle le fait pour les besoins de la cause : faire connaître ses chansons, vendre son album pour pouvoir continuer à en faire d’autres. Mais c’est vrai que, même à la télé, elle ne fait que le strict nécessaire.
« Quand on m’invite, c’est afin de parler de l’album, je ne vois rien d’autre à raconter.
Je n’aime pas parler de moi. Donc, en dehors de la promo, on ne me voit pas et c’est très bien comme ça. Tant pis si ça ne plaît pas à certains esprits chagrins.
Je suis comme ça. Je suis moi, je ne cherche pas à plaire à tout prix« 
Ce qui ne l’empêche pas de se passionner pour la musique.
Elle écoute beaucoup de choses, se tient au courant des nouvelles tendances, des nouveaux artistes et surtout des auteurs et compositeurs qui pourraient travailler avec elle, faire un bout de chemin sur un disque.
Ainsi me parle-t-elle de Catherine Lara qu’elle a découverte très tôt et dont elle aurait même eu envie de produire son premier disque.
Mais elle sait que la production est quelque chose d’onéreux, d’aléatoire et, avec sa lucidité et sa rigueur, elle a préféré conseiller à Catherine d’entrer dans une maison de disques où elle aurait plus de soutien et de moyens que ce qu’elle aurait pu lui apporter.
Ce qui ne l’a pas empêchée d’enregistrer elle-même des chansons que Lara a écrites pour elle.

De plus, dans sa vie, il y a un sentiment qu’elle cultive particulièrement : l’amitié, dont elle a d’ailleurs fait une jolie chanson. C’est essentiel à sa façon de vivre
Elle a quelques amis, peu mais fiables, qui font partie de sa bulle de vie.
Tout en bavardant, nous avons rejoint les fauteuils.
Le thé qu’elle m’a offert a refroidi mais qu’importe. La musique a cessé sans qu’on s’en rende compte et l’on continue à parler.
Jusqu’au moment où sa voix se tait aussi.
Elle se lève, regarde par la fenêtre la pluie qui continue à ruisseler, se serre les bras en frissonnant rétrospectivement.
Sa longue silhouette est en ombre chinoise ou presque. La nuit est tombée et je sens qu’il est temps pour moi de partir.
Le temps de lui demander de poser pour une photo. Même si ça ne l’enchante pas elle dit oui mais me propose de très jolies photos de presse au cas où mes photos ne seraient pas réussies, et dans la mesure où elle ne peut pas les voir. Elle m’en signe d’ailleurs une avec ce curieux petit bonhomme vu sur la porte.
Je ne ferai que deux photos
Elle ne sourira pas.
Le sourire arrive enfin lorsqu’elle me dit au revoir et qu’elle redescend le petit escalier pour m’ouvrir la porte.
Me revoilà affrontant pluie, nuit, froid mais le cœur encore tout chaud de ces quelques heures passées aux côtés de cette artiste unique entre toutes.
Sauvage ? Peut-être, mais simple et directe.
Timide ? Certainement mais surtout secrète, pudique, jalouse de sa vie privée dont je me serai garder de parler tout au long de notre rencontre.
Je la rencontrerai quelque temps plus tard et par deux fois au MIDEM à Cannes et, se souvenant de moi, elle acceptera une petite séance photo sur la croisette et un court moment d’entretien pour évoquer les derniers événements de sa vie d’artiste.
Bien évidemment, il n’y aura plus cette magie que j’ai vécue un après-midi d’hiver dans cette jolie maison de l’île St Louis qu’elle a quitté depuis mais qui me rappelle une rencontre exceptionnelle que j’aurais aimé renouveler…
La sortie de son autobiographie m’a vraiment surpris car elle n’était pas habituée à des confidences et là, tout à coup, elle déballait tout. Sans compter que sa façon de raconter m’a laissé une drôle d’impression.

4ème rencontre, encore au MIDEM à Cannes où elle est devenue productrice

Revenue de beaucoup de choses, très souvent insatisfaite de son travail, perturbée par son enfance, pas faite pour un métier qu’elle a pourtant choisi, très critique sur son talent, sans beaucoup de compassion pour les chanteurs qui la chantent, elle paraît ainsi très abrupte et si elle ne se ménage pas, elle ne ménage personne.
Elle a pourtant tout eu : la beauté, le talent, la reconnaissance, elle fut une icône avant l’heure et a su le rester avec classe et beaucoup de mystère…
Malgré les énormes ennuis de santé qu’elle trimballait depuis des années et qu’elle vivait au jour le jour.
En fait, elle fut un OVNI dans ces années 60, elle, la romantique-pessimiste, débarquant dans un monde de rythme, de folie, de joie et d’optimisme… C’est peut-être ce total contrecourant qui en a fait ce qu’elle était : un être et une chanteuse à part qui, durant plus de 50 ans, a continué à passionner les gens.
Et malgré tout ça, j’avais gardé une furieuse envie de la rencontrer à nouveau !
Une pierre précieuse, une perle rare dans ce monde féroce de la chanson.

Jacques Brachet