Hugues Aufray fait partie de ces artistes que j’ai toujours rencontrés au fil des décennies puisque, démarrant mon métier dans les années 60, il était déjà connu. Je l’ai donc très souvent rencontré dans les galas, les tournées qui alors duraient deux mois d’été. Et toujours il m’a reçu, on a fait beaucoup d’entretiens, de photos car, au contraire de ces pseudo-stars d’aujourd’hui, il n’a jamais refusé une rencontre.
Le retrouver cette semaine au théâtre Galli de Sanary a été un nième plaisir de pouvoir bavarder avec lui.
« Alors, Hugues, à 94 ans passés, vous voilà toujours en tournée ?
Une mise au point : Une tournée, ça ne veut plus rien dire pour moi aujourd’hui. Avant, les tournées étaient comme un cirque. On allait de ville en ville durant deux mois… Aujourd’hui je fais des concerts, je prends le temps entre deux dates mais je ne prends jamais de vacances. Je ne sais pas ce que c’est car en fait, je ne travaille jamais… Je joue ! Je m’amuse car pour moi, chanter c’est un jeu.
Jamais le trac ?
Le trac ? Je ne sais pas ce que c’est. Je suis peut-être un imbécile mais je n’ai jamais compris qu’on puisse, comme Brel, avoir le trac de faire ce qu’on a choisi de faire. J’ai été un athlète, un champion universitaire du 4×100 mètres et là, je peux vous dire qu’on a le cœur qui bat.
Alors que monter sur scène a toujours été un immense plaisir.
Je vous avoue que je suis un mélange de courage et de paresse. La seule chose pour moi qui n’est pas un travail, c’est la scène, les galas, les potes avec qui je pars. J’ai ma guitare, je chante et c’est là la vraie vie.
Après, il faut écrire et ça, c’est le boulot car me retrouver face à moi-même c’est plus dur que de couper les arbres, monter un mur… ou un cheval !
Vous rappelez-vous de la première fois où vous êtes monté sur scène ?
Oui, c’était vers 40/41, après mon service militaire.
Et vous avez tout de suite eu envie d’en faire un métier ?
Mais pas du tout, je n’avais jamais rêvé de gagner ma vie en chantant ! D’ailleurs à l’époque, je ne pensais pas qu’on pouvait être payé pour chanter !
Mais je détestais l’école, j’étais incapable de faire des études, les maths, même l’orthographe, j’avais envie de faire de la peinture, de la sculpture.
Et la chanson alors ?
J’avais toujours avec moi un instrument qu’on appelle la guitare et dont je jouais, comme seuls, alors, le faisaient Félix Leclerc et Gorges Brassens. Et les gitans. C’était alors un instrument rare. Je jouais mais je ne pensais pas à en faire mon métier. J’étais attiré par les arts plastiques. D’ailleurs, aujourd’hui, après avoir abandonné longtemps, je reviens à la sculpture. Je vis à Marly-le-Roi dans la maison d’un des plus grands sculpteurs : Maillol. Ça m’a donné l’envie de m’y remettre… Et même de faire une exposition, chose que je n’ai jamais osé faire. La seule chose que je n’ai jamais exposé c’est un portrait de Dylan.
Revenons en arrière… Voilà que vous décidez de chanter et que vous allez rencontrer Gainsbourg, alors pas connu.
Je m’étais marié très jeune, j’avais déjà deux filles et il fallait que je gagne ma vie. J’ai commencé à chanter dans les cabarets et un jour j’entends Gainsbourg qui chantait deux chansons. J’ai aimé ce qu’il faisait même si pour lui, ça ne marchait pas mais j’ai compris que si je devais chanter, il fallait que je me crée un répertoire. Je lui ai alors demandé si je pouvais chanter ses chansons, dont « Le poinçonneur des Lilas ».
Malheureusement, cela m’a mis en marge du métier car Gainsbourg avait mauvaise réputation à cause de l’alcool et du tabac. Or, ni je busvis, ni je fumais. De ce fait, nous n’avons pas créé des liens permanents.
Et puis j’ai concouru aux « Numéros uns de demain » à l’Olympia et j’ai gagné.
Ente autres rencontres, il y a eu Vline Buggy, qui écrivait déjà des chansons pour Claude François et qui en a écrit pas mal avec vous.
J’ai été présenté à Vline par Jean-Pierre Sabard qui était alors le pianiste de Claude. Je l’ai rencontrée et je venais de récupérer une chanson du folklore américain : « If I had a hammer » que je voulais chanter en français. C’est devenu « Si j’avais un marteau »… Que Vline a donné à Claude ! On s’est quand même accordé et on a fait « Allez, allez mon troupeau » qui a été un vrai succès, malgré Daniel Filipacchi qui ne voulait pas la passer à « Salut les copains ». Mais, le succès aidant, il a bien dû s’y résigner !
Comme passer sur la photo célèbre de Jean-Marie Périer avec tous les yéyés du moment !!!
Vous avez continué à écrire avec Vline … « Céline », « Adieu Monsieur le professeur », « Hasta luego » entre autres…
Oui mais je veux faire une mise au point : Je lui dois autant que ce qu’elle me doit. On a partagé ces chansons et… je n’y suis pas pour rien ! Je pense lui avoir aussi apporté beaucoup !
Autre rencontre : Bob Dylan
Oui, je l’ai rencontré, j’ai tout de suite aimé son style, ses chansons, et j’ai eu envie de les traduire en français pour les chanter. Et j’ai demandé à Pierre Delanoé de les adapter. Il l’a fait pour me faire plaisir car il n’aimait ni l’artiste, ni ses chansons !
Vous traversez donc les années dites « yéyé » alors que vous êtes totalement à contrecourant… Et ça marche car vous collectionnez les succès !
C’est vrai que je n’ai jamais été « yéyé » et d’ailleurs je déteste ce mot qui ne veut rien dire. J’avais dix ans de plus qu’eux mais c’est vrai que j’ai été incorporé à ces jeunes, moi « le vieux » de la troupe. Mais ça m’a permis de connaître Johnny. Et dans les hits, j’étais devant lui. Il était un peu dans le creux de la vague. Du coup j’ai été pris pour faire ses premières parties.
Et quelques années après, c’est lui qui vous aider à revenir sur le devant de la scène.
Lorsque ma maison de disques m’a lâché parce que je n’étais plus assez vendeur, j’ai décidé de me produire mais hélas, ça a mal tourné car si vous n’êtes pas soutenu par un label, on ne vous reçoit pas. Mais je vous précise que n’ai jamais arrêté de faire des spectacles car le public m’est toujours resté fidèle. Ce sont les médias qui n’ont plus parlé de moi. C’est Johnny qui m’a présenté à Mercury et je suis ressorti de la boîte.
Et il y a l’Eurovision en 64. Inattendu, non ?
Oui. Il se trouve que, voyant mon succès, Maritie et Gilbert Carpentier me proposent de m’y présenter pour le Luxembourg avec une chanson de Robert Gall, le père de France : « Lorsque le printemps revient ». Ils me trouvaient beau garçon, aimaient ma voix et mon originalité. D’autant que tout le monde chantait avec un orchestre symphonique alors que je me suis présenté avec trois musiciens : mon Skiffle Groupe. En face de moi il y avait Romuald pour Monte-Carlo et Gigliola Cinquetti pour l’Italie. Je suis arrivé 4ème et j’avais dit à Gigliola : « Tu vas gagner ». Ce qu’elle a fait !
Et ce beau garçon n’a-t-il pas eu envie de faire du cinéma ?
Oui. J’en ai fait… trois jours ! J’avais fait des essais pour le film « La vérité » avec Bardot, qui était une fille adorable. J’avais d’ailleurs été pris mais je n’ai tenu que quelques jours avec Henri-Georges Clouzot qui n’arrêtait pas d’insulter les gens. Je suis parti avant de lui mettre mon poing dans la figure !
Avez-vous toujours votre maison en Ardèche ?
Oui mais elle n’est plus à moi. Lorsque ma première femme est décédée, je l’ai donné à mes deux filles, Marie et Charlotte et elles y habitent encore.
Et vous êtes installé à Marly-le-Roi !
Oui, avec ma seconde épouse. Je dois vous avouer qu’elle est belle et beaucoup plus jeune que moi, ce qui a un peu fait jaser. Mais je m’en fiche ! Aujourd’hui, les concerts vont se terminer et j’ai pour projet de me remettre à la sculpture et de présenter enfin mon travail que je n’ai jamais montré ».
On va donc enfin découvrir une autre face du talent de l’artiste très bientôt.
Hugues Aufray n’a pas fini de nous surprendre !
Et déjà, il nous a surpris avec un spectacle de plus d’une heure et demi, où il chante autant qu’il parle (comme durant l’interview !, où il raconte ses chansons et nous assène, avec ses cinq remarquables musicien, des succès que tout le monde chante, de « Quand le printemps revient » en passant par « Céline », « Le petit âne gris », « Stweball », « Hasta Luego », « La fille du Nord », « A bientôt nous deux », «L’épervier », « Adieu Monsieur le professeur » que tout le monde chante avec lui les larmes aux yeux, terminant par « Santiano »repris debout par la salle entière. Plein de moments d’émotion et d’humanité dont cette version de « Je vous salue Marie » de Brassens C’est un cadeau que nous offre cet artiste exceptionnel qui, à 94 ans, n’a perdu ni sa voix, ni sa superbe.
Bravo l’artiste !
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon… et Jacques Brachet !